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GEORGIE
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la tutelle des patriarches d’Antioche, cela contredit maint document historique et cela paraît invraisemblable. L’Église de Géorgie se serait alors déclarée autonome ou bien elle aurait fait sa soumission à Constantinople qui avait depuis longtemps éclipsé tous les autres patriarcats orientaux. Tout ce qu’on peut admettre, c’est qu’il s’établit dès l’origine des relations de bon voisinage entre les chrétientés de Géorgie et celles d’Arménie, et que ces dernières, déjà mieux organisées, ont pu aider celles-là, mais rien de plus.
V. Entre Arméniens et Géorgiens.
Nous
venons de voir que les Arméniens prétendent avoir converti la Géorgie au christianisme. Ils vont plus loin encore et affirment que leurs catholicos ont exercé une juridiction effective sur le pays voisin depuis l’introduction de la vraie foi jusqu’à la fin du vie siècle, c’est-à-dire pendant près de trois siècles. De leur côté, les Géorgiens protestent énergiquement qu’ils n’ont jamais eu de relations intimes avec les Arméniens et surtout qu’ils n’ont à aucun moment dépendu de l’Église arménienne. D’après eux, il a tout au plus existé entre les deux Églises des rapports de bonne fraternité chrétienne, mais pas autre chose. Il n’est pas facile d’opérer le départ exact entre le vrai et le faux quand on se trouve en présence d’assertions aussi opposées qu’un patriotisme jaloux a certainement influencées. Nous allons cependant essayer d’élucider la question à l’aide des documents qui nous sont parvenus de cette époque lointaine.
De prime abord, il semblerait que l’Église de Géorgie a réellement été soumise à celle d’Arménie. Moïse de Khorène, Agathange, la version arménienne de Fauste de Byzance (le texte primitif a certainement été remanié par le traducteur), etc., donnent plusieurs exemples de la juridiction exercée par les catholicos arméniens sur la Géorgie. Varthanès, fds de saint Grégoire l’Illuminateur et son second successeur, établit son fils aîné, Grégoris, âgé de quinze ans, catholicos des Ibéiïens et des Aghovans ou Albanais. Fauste de Byzance, Histoire, 1. III, c. v. Nersès le Grand (364 ?384), autre catholicos arménien, envoie pour gouverner l’Église de Géorgie son diacre Job. Au commencement du v c siècle, Mesrob, inventeur de l’alphabet arménien, en compose un de même genre pour les Géorgiens et s’occupe de faire traduire les Livres saints dans leur langue. Nous verrons plus loin ce qu’il faut penser de cette assertion. Enfin, un certain nombre d’éveques géorgiens assistent au fameux synode national arménien de Vagharchapat (491) qui adopta les erreurs monophysites et condamna le concile de Chalcédoine. Aux textes arméniens que nous venons de résumer s’en ajoutent d’autres qui ont une source géorgienne. M. Marr, professeur à Saint-Pétersbourg, a découvert plusieurs documents qui semblent donner raison aux prétentions des Arméniens. Un recueil de Vies de saints du xe siècle découvert par lui au monastère d’fviron, au mont Athos, nous apprend qu’autrefois les Géorgiens fêtaient les mêmes saints principaux que les Arméniens. Marr, Voyage d’étude au mont Athos, Saint-Pétersbourg, 1899 (en russe), p. 16. De plus, un très ancien manuscrit géorgien du Sinaï dit que les deux Églises avaient admis les usages si énergiquement condamnés par les prélats byzantins, c’est-à-dire les madaghs (sacrifices) et le jeûne d’Artchavour établi en mémoire de celui des Ninivites et que les grecs ont toujours poursuivis de leurs anathèmes. Marr, Rapport préliminaire sur les travaux concernant le Sinaï… et Jérusalem, Saint-Pétersbourg, 1903 (en russe), p. 12-13. Le Sinaï possède encore deux hymnes, l’une en l’honneur de saint Grégoire l’Illuminateur dans laquelle les Géorgiens sont appelés le « troupeau de saint Grégoire, » l’autre en l’honneur de sainte Nino qui cite la Géorgie comme faisant partie de l’Église de
DICT. DE THEOL. CATUuL.
saint Barthélémy Marr, op. cit., p. 41. (On sait que les Arméniens veulent que cet apôtre ait évangélisé leur patrie.) Saint Georges Mtatsmindéli, higouméne du monastère des Ibères au mont Athos, un des principaux traducteurs géorgiens du xie siècle, reconnaît lui-même dans la préface de ses ouvrages que les Arméniens avaient semé la « zizanie » , c’est-à-dire l’erreur, dans les textes des Livres saints, ce qui l’obligea à reviser les traductions existantes. Khakhanachvili, Histoire de la littérature géorgienne, Tiflis, 1904 (en géorgien), p. 98. Cette infiltration des erreurs arméniennes n’indiquerait-elle pas une union très étroite entre les deux Églises ? Il est à peu près prouvé, du reste, qu’une bonne partie des premières traductions de l’Écriture en géorgien fut faite sur le texte arménien.
Nous avons expliqué plus haut les raisons pour lesquelles il nous paraît impossible d’admettre que la conversion de la Géorgie ait été l’œuvre des Arméniens. Mais il ne s’ensuit nullement qu’il n’ait pas existé dans la suite une union très étroite entre les deux Églises et que la Géorgie n’ait pas dépendu pendant un certain temps des catholicos arméniens. Devant la concordance des textes que nous venons de résumer nous devrions reconnaître que l’Église arménienne exerça momentanément une juridiction effective sur tout ou partie de la Géorgie. Il faut se rappeler, en effet, que ce pays ne formait pas un seul royaume, mais plusieurs principautés plus ou moins autonomes, en sorte que certaines provinces ont pu être soumises aux catholicos arméniens sans que la nation tout entière participât à cette dépendance. A quelle époque se serait faite cette union ? Nous en sommes réduits à des hypothèses. La partie orientale de la Géorgie tomba sous le joug des Perses vers 498, comme l’Arménie en 451. Ce que nous savons de la politique religieuse des chahs nous porte à croire qu’ils ont probablement exercé une pression sur les Géorgiens pour les soumettre à l’Église arménienne, afin de les soustraire par là à une autorité spirituelle étrangère à leur empire et nécessairement suspecte au gouvernement.
Mais aux documents arméniens on peut opposer ceux que la Géorgie fournit et qui ne méritent pas un moindre crédit. Les Géorgiens se font fort du reste d’expliquer ceux que leur opposent leurs adversaires. Il est donc à peu près impossible, dans l’état actuel de nos connaissances, de se faire une opinion certaine sur la dépendance de la Géorgie tout entière vis-à-vis des catholicos arméniens. Nous aimons mieux laisser en suspens une question aussi délicate, plutôt que de donner dans un sens ou dans l’autre une conclusion hâtive. On comprend tpie les Géorgiens protestent contre l’union des deux Églises, car si elle a réellement existé, elle a cn1 rainé des conséquences très graves au point de vue de la foi. Les Arméniens ayant peu à peu admis les erreurs monophysites, les Géorgiens en auraient fait autant. Quant aux vingt-deux évêques géorgiens qui auraient assisté au synode de Vagharchapat, les Géorgiens affirment que c’était des Aghovans qui ne sont pas de même race qu’eux. Les auteurs arméniens semblent leur donner raison sur ce point.
Quelles qu’aient été les relations entre les deux Églises, une violente réaction se produisit vers la fin du vi° siècle, plus nationale peut-être que religieuse. Sous l’impulsion du catholicos Kvirion (Kiouron, Kyron, le Quiricus ou Quirinus des latins) de Mtzkhéta, les Géorgiens secouèrent le joug du catholicos arménien et se proclamèrent partisans du concile de Chalcédoine. Au synode de Tvin (596 ou 597), le catholicos arménien Abraham excommunia solennellement les dissidents et interdit sévèrement à ses fidèles d’aller vénérer la relique de la vraie croix à Mtzkhéta. A cette défense, Kvirion répondit en inter VI. - 40