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HILDEGARDE (SAINTE)


dans son milieu, comme A. Molinier y invite, à rapprocher de ses œuvres, par exemple, « la biographie de sainte Marie d’Oignies par Jacques de Vitry, les lettres d’Olivier le scolastique, ou encore le De Andchristo de Géroh de Reichersperg et le De duabus civitatibus d’Otto de Freisingen » , à étudier « le mouvement mystique dont l’Allemagne et principalement les vallées du Rhin et de la Meuse furent alors le théâtre » . Mais, loin de la diminuer, ces comparaisons mettent en valeur la beauté de ses écrits et ce qu’ils gardent de jeune, de vivant, de splendide, en dépit de détails vieillis et de conceptions surannées. Stilting, Acla sanctorum, septembris t. v, p. 655, se déclarait stupéfait de ce qu’une femme ignorante et dépourvue d’études, consultée sur les questions les plus difficiles de la théologie et de l’Écriture, eût donné sans hésitation des réponses parfaites. Là est, en effet, la merveille : une moniale, qui sait à peine lire et écrire, en même temps qu’elle est la bonne conseillère des plus illustres de ses contemporains, publie un ensemble de travaux aux vastes proportions qui sont « une Somme de toute la science du moyen âge » , et qui, « à travers les faiblesses manifestes qui sont la part humaine de cette œuvre » , étincellent de beautés, devancent de beaucoup, en matière scientifique, les connaissances du xiie siècle, et évoluent dans les sphères du dogme « avec une sûreté de vue bien merveilleuse quand on pense que cette humble religieuse n’eut pas de maîtres humains. » Franche, Sainte Hildegarde, p. 158, 159, 163. L’Église a-t-elle approuvé les ouvrages de sainte Hildegarde ? Ne tenons pas compte des lettres d’approbation des trois papes, Eugène III, Anastase IV et Adrien IV, qui se lisent dans Migne et qui ont été reconnues apocryphes. Si la lettre d’Eugène III n’est pas authentique, les moines Godefroy et Thierry, Vila sanctse Hildegardis, 1. I, c. i, n. 5, P. L., t. cxcvii, col. 95, nous apprennent qu’il y eut une lettre de ce pape encourageant la sainte à écrire quæcumque pcr Spirilum Sanclum cognovissel ; elle fut rédigée à la suite d’une enquête de délégués pontificaux et de la lecture par Eugène IV du commencement du Scivias (probablement vers la fin de 1147’!. Sur le rôle de saint Rernard, cf. E. Vacandard, Vie de saint Bernard, Paris, 1895, t. ii, p. 318-319, 322, 324. On a cru qu’Hildegarde vint à Paris et à Tours, qu’elle confia ses ouvrages à Maurice de Sully, afin qu’il les fît examiner par les maîtres de l’université, et que Guillaume d’Auxerre les « rendit en affirmant quela doctrine d’Hildegarde était celle des maîtres » mu gistrorumsententia, et que dans ses ouvrages non esse verba humana sed divina. Cf. les Acla inquisilionis de virtutibus et miraculis s sanctse Hildegardis (du temps de Grégoire IX), n. 9, dans Acla sanctorum, septembris t. v, p. 699. Ce voyage d’Hildegarde semble légendaire. Cf. E. Vacandard, op. cit., t. ii, p. 326 ; Franche, Sainte Hildegarde, p. 79-82. Il est possible que Guibert de Gembloux, qui alla à Saint-Martin de Tours vers 1180, ait consulté les professeurs en renom de Paris sur les œuvres d’Hildegarde et que, plus tard, par une confusion assez naturelle, peut-être par l’inadvertance d’un copiste, on ait attribué à Hildegarde elle-même cette consultation et ce voyage. Grégoire IX, « qui fut un pape de doctrine » , dit Franche, p. 163, soumit, avec la vie et les miracles de la sainte, « ses écrits à un examen rigoureux, à une sévère discussion, sans qu’on y relevât une erreur

— témoignage… probant… de l’orthodoxie de sa théologie, puisqu’il émane de l’autorité doctrinale. » En réalité, nous n’avons pas une déclaration explicite de Grégoire IX. Nous savons seulement qu’il ordonna de reprendre le procès de canonisation à cause des vices de forme de la première enquête. Cf. Acta sanctorum, septembris t. v, p. 678. Tout porte à croire que les ouvrages d’Hildegarde subirent à leur honneur

l’épreuve de l’examen en vue du culte public à rendre à leur auteur ; rien de positif ne l’établit.

Bref, toute l’approbation officielle des révélations de sainte Hildegarde se réduit à l’encouragement à écrire tout ce que lui faisait connaître le Saint-Esprit, qui lui vint du pape Euglne III dans les circonstances que nous avons dites (Benoît XIV, De servorum Dei beatificatione et beatorum canonizationc, 1. II, c. xxv, n. 3 ; c. xxxii, n. Il ; 1. III, c. ult., n. 18, Bassano, 1767, t. ii, p. 118, 139, 278, n’en mentionne pas d’autre), et à l’inscription de son nom dans le martyrologe romain. C’est moins que l’Église n’a fait pour une sainte Brigitte et une sainte Thérèse ; c’est assez pour attribuer une haute valeur aux révélations hildegardiennes. Quand l’Église approuve des révélations privées, elle ne les impose pas à la foi des fidèles ; c’est un laissezpasser qu’elle donne, non une déclaration positive d’authenticité. A plus forte raison en va-t-il de la sorte quand elle se prononce comme dans le cas présent. La liberté de l’adhésion reste donc entière ; mais, à la suite de l’assentiment relatif de l’Église, on est fortement incliné à admettre l’existence de dons surnaturels lorsqu’une femme illettrée, qui s’affirme éclairi e d’en haut, traite magnifiquement des plus hautes questions, et que, par ailleurs — c’est le cas pour Hildegarde — elle est une merveille de vie humble et sainte.

Les prophéties.

Faut-il attribuer des prophéti’s

à Hildegarde ? Ses contemporains le firent. Au xiii a siècle, Gebenon d’Everbach recueillit, sous le titre de Spéculum juturorum temporum, tout ce que la sainte de prsesenti statu Ecclesise et de juturis temporibus usque ad Antichristum et de ipso Antichristo prophelavit. Pitra, p. 483. Le bollandiste Stilting, au xviiie siècle, se complut à relever toutes les prophéties qui lui parurent accomplies. Cf. Pitra, p. xvi-xvii. Au xixe siècle, Gôrres, La mystique divine, naturelle et diabolique, trad. C. Sainte-Foi, Paris, 1855, t. i, p. 468, vit dans des faits récents la réalisation de ce qu’elle avait annoncé. Il y a mieux ; un anonyme, dans un article intitulé : Le passé, le présent et l’avenir de l’Église, publié par la Revue du monde catholique, Paris, 1874, t. xl, p. 23-31, prétendit, développant une pensée de Gebenon, dans Pitra, p. 488, qu’Hildegarde est l’aigle de l’Apocalypse, viii, 13, l’aigle second succédant directement à saint Jean, qui fut l’aigle premier, que l’esprit prophétique se serait éteint jusqu’à elle et encore après, sainte Brigitte et sainte Catherine de Sienne n’étant que des prophètes partiels, qu’elle a contemplé les destinées de l’Église. Sans adopter « cette hypothèse intéressante sans doute, mais peut-être un peu confiante » , et tout en jugeant que, si Dieu lui a révélé le mystère, « il ne lui a pas transmis le verbe qui éclaire ces ténébreuses régions de l’avenir » , Franche admet que les écrits d’Hildegarde « contiennent l’annonce du protestantisme » et que, dans sa lettre au clergé de Cologne, en particulier, P. L., t. cxcvii, col. 244-253. il est aisé de saisir « tout le dessin de la Réforme >. Sainte Hildegarde, p. 171, 129, 131 ; cf. p. 181.

Un mot de Gebenon aide à ramener ces interprétations à de justes limites. Des lecteurs sont rebutés par l’obscurité des livres d’Hildegarde ; ils ne comprennent pas, dit le bon prieur d’Everbach, quod hoc est argumentum verse prophétise, omnes enim prophétie obscure loqui quasi in usu habent. Pitra, p. 485. La vérité, c’est que les prédictions d’Hildegarde, sans en excepter celles qu’on a appliquées au protestantisme, sont si obscures et, d’ordinaire, formulées en des termes si vagues, si généraux, que nous ne pouvons en faire état avec certitude. Où l’on signale, par exemple, le portrait des luthériens il serait aussi légitime de distinguer celui des cathares. Incapables de discerner sûrement l’accomplissement des prophéties hildegardiennes dans les siècles écoulés entre la sainte et nous, plus encore ne sommes-nous pas en