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I1ILDEGARDE (SAINTE)


supercherie grossière, qui pourrait remonter au temps des luttes de Guillaume de Saint-Amour contre les dominicains et les franciscains et qui aurait subi des changements dans la suite. Cf. Papebroch, Acta sanctorum, 3e édit., Paris, 1865, martii t. i, p. 665666 ; Stilting, ibid., septembris t. v, p. 676 ; J.-G.-V. Engelhardt, Observationes de prophetia in fralres minores falso adscripla, Erlangen, 1833.

2° La composition des œuvres. — Dès l’âge de trois ans, Hildegarde vécut habituellement dans le monde ries visions surnaturelles. En 1141, un trait de feu parti du ciel entr’ouvert pénétra son cerveau et son cœur. < A l’instant, je recevais l’intelligence du sens des Livres saints, c’est-à-dire du psautier, de l’Évangile et des autres livres catholiques de l’Ancien et du Nouveau Testament » , raconte-t-elle, préface du Scivias, dans Pitra, Analecta sacra, t. viii, p. 504. En même temps une voix d’en haut lui disait : « Cendre de cendre, pourriture de pourriture, dis et écris ce que tu vois et entends. » Hildegarde, par humilité, ne voulait pas écrire. Mais la voix insistait, et la maladie fondit sur elle jusqu’à ce qu’elle obéît. Or, sa culture littéraire se bornait à savoir lire et écrire, ainsi qu’à une connaissance élémentaire du latin. Elle eut donc besoin de collaborateurs pour suppléer aux insuffisances de sa formation intellectuelle.

Le premier collaborateur d’Hildegarde, comme l’a établi dom H. Herwegen, de qui nous résumons ici les belles études publiées par la Revue bénédictine, Maredsous, 1904, t. xxi, fut Volmar, moine de Disibodenberg, plus tard premier præposilus (chargé de la direction des moniales et de l’administration des biens) du monastère de Rupertsberg, le confident le plus intime de la sainte abbesse. Il corrigea les expressions d’Hildegarde « suivant les règles de la grammaire, mais sans chercher à les revêtir des ornements du style » , dit-elle. Pitra, p. 432-433. En même temps que Volmar, deux filles spirituelles d’Hildegarde prêtaient leur main à son œuvre ; tandis que Volmar avait la charge de grammairien, elles tenaient la plume et écrivaient sous la dictée de leur mère et amie. Hildegarde allègue, en tête de ses écrits mystiques, le « témoignage » de Volmar et des deux moniales. Ce témoignage paraît être « non pas en faveur de la sainte, mais plutôt du lecteur à qui sont proposés des mystères si sublimes. Il doit avoir la certitude que l’auteur n’était pas sans témoin, quand il écrivait des choses aussi sublimes, que ces 1 rmoins avaient confiance en la sainte et se portaient garants de ce qu’elle proposait » . Le moine et les moniales « attestent donc que l’abbesse ne se hâta point de publier ses révélations, mais qu’alors enfin elle se mit à écrire lorsque Dieu par une maladie la contraignit à obéir. » Revue bénédictine, t. xxi, p. 201, 307. Après la mort de Volmar, Louis, abbé de Saint-Eucher de Trêves, et Wescelin. prévôt de Saint-André rie Cologne, lui succédèrent comme collaborateurs de la sainte. Mais leurs occupations ne leur permettaient pas de séjourner longtemps à Rupertsberg. Pendant leur absence, ils se firent remplacer par les moines Codefroy et Thierry, les biographes d’Hildegarde. Pour ia collaboration de Louis et de Wescelin, nous avons un texte qui ne laisse pas de doute ; pour celle de Godefroy ! t de Thierry, nous avons des probabilités. La tâche des uns et des autres doit être placée entre la mort de Volmar (plutôt après qu’avant 1170, cf. Revue bénédictine, t. xxi, p. 386-388) et l’arrivée de Guibert de Gembloux (1177). Leur collaboration ne fut qu’occasionnelle, tandis que celles de Volmar et du moine de Gembloux s’exercèrent d’une façon continue (celle-ci de 1177 à la mort de la sainte en 1179).

Hildegarde avait appelé Guibert uniquement pour avoir un correcteur assidu. Quelle fut la nature de cette collaboration ? « Ce n’est pas sans quelque appréhen sion que l’on voit un homme dont le style manque absolument de simplicité et de naturel, un homme possédé de la manie de corriger et de changer, devenir le collaborateur de notre sainte. » Il tenta tous les efforts pour qu’elle lui permît de revêtir ses écrits des ornements du style, ainsi qu’il s’exprime. Elle céda enfin à ses instances, mais en marquant deux restrictions : elle exigeait de conserver pleinement le sens du moins quant aux visions, salva, sicut præmisi, quantum ad visiones pcilinet, sensuum quos posuerim inlegrilate, et la permission se limitait aux écrits qu’elle avait jusqu’à ce jour adressés à Guibert ou qu’elle lui adresserait à l’avenir. « Guibert a-t-il bien rempli ce mandat, a-t-il fidèlement observé ces restrictions ? Pour autant que les textes permettent de juger, nous croyons devoir répondre affirmativement » , conclut dom Herwegen. Revue bénédictine, t. xxi, p. 393 ; cf. p. 393-396.

Valeur des révélations.

Sainte Hildegarde, dans

la lettre De modo visitationis suæ, cf. Pitra, p. 331-334, s’explique sur le caractère de ses visions. Elle était plongée dans une lumière, qu’elle appelle « l’ombre de la lumière vivante » . Et, ut sol, luna et stellse in aquis apparent, dit-elle, ila scripluræ, sermones, virtutes et quædam opéra hominum formata mihi in illo resplenclenl. Ses sens, cependant, agissaient dans leur sphère propre. C’est en parfait état de veille, les yeux ouverts, le jour et la nuit, qu’elle recevait ses visions. Quand il plaisait à Dieu, son âme montait sur les hauteurs du firmament et allait au milieu des peuples divers habitant des pays éloignés. Parfois, et non fréquemment, dans cette lumière elle voyait une autre lumière, quse Lux vivens mihi nominala est, ajoute-t-elle, et quando, et quomodo illam videam proferre non valeo ; atque intérim, dum illam video, omnis tristilia et omnis anguslia a me aufertur, ita ut tune velut mores simplicis pucllæ et non vetulæ mulieris habeam.

Telles que ses écrits nous les livrent, les visions d’Hildegarde sont des visions-images. Elles suivent toujours le même processus : dans la lumière qui luit en elle, comme sur un écran, une image lui apparaît de forme matérielle et agrandie. C’est une montagne, un coin de firmament, un abîme, un édifice, une tour, une silhouette de bête ou d’homme ou de monstre (ces dernières sont particulièrement saisissantes). « La sainte voit donc : elle ne saisit pas tout d’abord. Alors, du foyer de lumière, une voix s’exhale qui explique la signification symbolique et mystique de la projection. Nous étions avec la voyante devant une énigme, et l’énigme se change en un tableau d’où se dégage l’enseignement doctrinal, historique, prophétique, ou moral. » Franche, Sainte Hildegarde, p. 160161. L’Écriture est abondamment mise à contribution, mais sans qu’Hildegarde cesse d’être originale dans le tour de ses expressions et la forme de ses images.

Du reste, elle décrit et elle explique à la façon de son temps, qui aime l’allégorie, se plaît aux subtilités, ne redoute pas les crudités du style et, « si facilement, éparpille la grimace dans la splendeur des formes architecturales. N’oublions pas, dit justement Franche, p. 160, que Dieu agit sur des instruments humains qu’il pourrait transposer, mais dont il respecte les données et les aptitudes, évitant de les dénaturer et de les délocaliser. Hildegarde résume en elle tout l’esprit religieux, toute la mystique du moyen âge. » C’est se tromper lourdement que de qualifier d’« élucubrations d’une femme malade » et de « visions obscures, biscornues et incohérentes » , comme l’a fait A. Mobilier, dans la Revue historique, Paris, 1904. t. lxxxv, p. 88, les révélations de la bénédictine de Bingen, sous prétexte qu’elles portent la marque de leur siècle, que certains des matériaux qui servent à traduire sa pensée sont pour nous hors d’usage. Certes, il y a profit, pour comprendre Hildegarde, à la replacer