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IIILAIRE (SAINT ;


sur saint Matthieu et sur les Psaumes, où il s’agit manifestement de Jésus-Christ considéré dans sa nature divine : quod dolorem divinitatis natura non sentit. In ps. LUT, 12, col. 344. Il faut également tenir compte des erreurs que l’Athanase de l’Occident avait en vue, erreurs des ariens, qui prétendaient attribuer au Verbe lui-même les affections de crainte, de tristesse et de douleur. Beaucoup d’auteurs se sont ralliés à cette seconde opinion ; tels de nos jours Franzelin, De Verbo incarnato, th. xlii, schol. 1 ; Stentrup, Christologia, th. lvi, t. ii, p. 896 sq. ; Hurter, Theologiæ dogmatkæ compendium, lle édit., Inspruck, 1903, t. iii, p. 399 ; Ch. Pesch, De Verbo incarnato, 3 « -" édit., Fribourg-en-Brisgau, 1909, n. 228, où la solution est donnée pour commune.

c. Une troisième opinion s’ajoute, qui tient une sorte de milieu entre les précédentes : saint Hilaire écarte bien la douleur de Jésus-Christ, même en tant qu’homme, mais il l’écarté dans un sens relatif, et non pas absolu, c’est-à-dire entendue telle qu’elL existe en nous, avec les diverses imperfections qui l’accompagnent et qui sont une suite du péché originel, notamment avec le caractère de souffrance qui s’impose et qui trouble. Philippe de Harvengt proposait déjà cette interprétation, en disant de l’évêque de Poitiers : Hujus eum infirmitalis non crédit exstitisse, ut scilicet invitus quidquam molestiæ vel in anima vel incorpore pateretur.Episl., , P.L., t. cem, col. 40. Ce fut, en substance, la solution préférée des grands docteurs scolastiques, comme saint Thomas, loc. cit. : Solutio Magistri consista in hoc quod simpliciter noluit removere a Christo dolorem, sed tria quse sunt circa dolorem : primo dominium doloris… ; secundo meritum doloris… ; tertio necessitatem doloris.

Coustant met aussi à profit cette interprétation pour expliquer une partie des textes hilariens, loc. cit., n. 131-136, col. 66 sq. De même Hurter dans son édition du traité De Trinitate, Sanclorum Palrum opuscula selecta, 2e série, t. iv, notes sur les passages difficiles du livre Xe, p. 454, 463 sq., 466, 468, 473. Ajoutons le suffrage d’auteurs récents, soit protestants, comme Dorner et Fôrster, soit catholiques, comme Wirthmùller, Schwane et spécialement A. Beck, Die Lehre des hl. Hilarius von Poitiers ùber die Leidensfàhigkeil Chrisii, et autres articles signalés dans la bibliographie. D’après ce dernier écrivain, la question traitée par Hilaire au livre Xe De Trinitate porterait sur la cause, et non pas sur l’existence de la douleur en Jésus-Christ : une seule force pouvait agir naturellement sur le corps de l’Homme-Dieu, la force même du Verbe ; toute autre force ne pouvait exercer d’influence que d’une façon éventuelle et dépendante ; d’où il suit que le sentiment de la douleur n’était possible en Jésus-Christ qu’en vertu d’une volonté positive de la part du Verbe. Le D r Beck se contente cependant d’une volonté antécédente, venant de ce que le Verbe a pris librement un corps semblable au nôtre, tandis que Dorner, Forster, Wirthmùller et autres exigent, dans chaque circonstance, un acte de volonté formel et distinct.

Le principal fondement de cette troisième interprétation se tire de la combinaison ou de la conciliation de deux séries de textes : d’un côté, la douleur est positivement attribuée à l’Homme-Dieu ; de l’autre, dans les textes où elle est niée, on trouve des termes restrictifs qui réduisent implicitement la négation à un sens relatif : assumptacaro… passionum est permissa naturis, nec tamen ita ut passionum conficeretur injuriis, n. 24, col. 364 ; quam igitur infirmitatem dominatam hujus corpori credis, cujus titntam habuit natura virtutem ? n. 27, col. 367 ; extra corporis noslri infirmitatem est (corpus illud), quod spiritalis conceptionis sumpsit exordium, n. 35, col. 371 ;

et pro nobis dolet, non et doloris nostri dolet sensui nescil in Christo apostolus trepidalionem doloris, n. 47, 48, col. 381. D’ailleurs, pour répondre à l’objection arienne, ne suffisait-il pas d’exclure de l’Homme-Dieu une douleur qui eût été ou nécessaire, ou méritée, ou dominatrice et troublante ?

c) Conclusions. - — Le lecteur ne s’étonnera pas que, dans une question si complexe et si discutée, il soit nécessaire de procéder par degrés, en allant du plus certain au moins certain. Et d’abord, quoi qu’il en soit d’une exclusion absolue de la douleur, saint Hilaire l’écarté incontestablement de l’Homme-Dieu dans le sens relatif qui vient d’être expliqué. Les textes invoqués et les arguments apportés par les partisans de la troisième opinion prouvent surabondamment cette première assertion. Mais, en réalité, le saint docteur n’exclut pas la douleur d’une façon absolue, puisqu’il l’affirme en termes catégoriques dans la seconde série de textes signalés ci-dessus, col. 2443, sq. La douleur attribuée par Hilaire à f Homme-Dieu est souvent une douleur purement spirituelle, indépendante de toute douleur corporelle ; ainsi en est-il de la douleur que le Sauveur ressentit pour les péchés’ou pour les maux des hommes. Mais cette interprétation ne convient pas à tous les passages ; parfois il s’agit manifestement de la douleur corporelle : Percussus ergo est Dominus, peccala nostra suscipiens, et pro nobis dolens, ut in eo usquead infirmitatemcrucis morlisque percusso, sanitas nobis per resurrectionem ex mortuis redderetur… Hune igitur ita a Deo perseculi sunt, super dolorem vulnerum dolorem persecutionis hujus addenles. Inps. lviii, 23, col. 484. Beste à concilier les deux séries de textes apparemment contradictoires, ceux qui affirment et ceux qui nient la douleur en Jésus-Christ.

Cette conciliation ne peut pas s’obtenir par une simple distinction entre Jésus-Christ en tant qu’homme et Jésus-Christ en tant que Dieu, comme si la douleur n’était exclue que de la nature divine. Même quand il s’agit de certains textes qui semblent décisifs aux tenants de la seconde opinion, par exemple, In ps. LUI, 12 col. 344 : quod dolorem divinitatis natura non sentit, on peut se demander s’il est bien vrai qu’ils écartent la douleur du Verbe considéré uniquement dans sa nature, ou s’ils ne l’écartent pas plutôt du Verbe considéré dans toute sa personne, du Verbe en tant que Dieu, premièrement et dans un sens absolu, du Verbe en tant qu’Homme-Dieu, secondairement et dans un sens relatif. En tout cas, l’interprétation ne tient pas, si l’on considère l’ensemble des textes, et non pas tels ou tels en particulier. C’est au Verbe en tant qu’homme qu’Hilaire attribue ces affections : pâli passus est, vim pœnæ in se desœvientes excepit, et refuse les autres : non tamen dolorem passionis injerrent ; et virtus corporis sine sensu pœnæ vim pœnæ in se desœvientis excepit. Dans ce dernier texte, l’expression virtus corporis ne doit pas s’entendre du Verbe, considéré dans sa nature divine, comme saint Thomas le faisait déjà remarquer, loc. cit. : Sed huic non consonant verba auctoritaiis, quæ jaciunt meniioncm de Chrisii carne. Vainement fait-on appel aux passages où l’évêque de Poitiers donne au Verbe divin l’appellation de Virtus ou de Virtus œterna ; ce sont là des appellations notablement différentes de cette autre : virtus corporis, prise dans le contexte et déterminée d’ailleurs par divers passages du même livre : At vero si dominici corporis sola ista natura sit, ut sua virtute, sua anima feratur in humidis ; cujus (corporis) lantam habuit natura virtutem ; quod si hœc in Christi corpore virtus fuit ; nempe et Allissimi virtus virtutem corporis, quod ex conceptione Spirilus virgo gignebat, admiscuit. De Trinitate, X, 23, 27, 28, 44, col. 363, 367, 368, 378. Il s’agit d’une vertu propre