Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/604

Cette page n’a pas encore été corrigée
2439
2
MILAIRE (SAINT)
440

seulement à notre chair dépêché. De Trinilate, X, 25, col. 364 sq. Les misères propres à nos corps, engendres selon la loi du péché, sont étrangères au corps dont la conception fut surnaturelle : extra lerreni est corporis mala, non terrenis inchoatum elementis. De Trinitate, X, 44, col. 378. Quelle est la portée de cette dernière affirmation ? Car il y a des affections qui sont, prises en elles-mêmes, indépendantes de toute idée de péché ou de vice ; tels les maux physiques ou infirmités corporelles d’ordre commun : faim et soif, fatigue et sommeil, souffrance et mort ; telles encore les passions dans le sens large du mot : crainte, tristesse, douleur, avec les larmes qui peuvent en être la conséquence ou l’expression. Jésus-Christ fut-il soumis à ces affections, et de quelle manière ? La doctrine de saint Hilaire sur ces divers points, en particulier sur la douleur en Jésus-Christ, donne lieu à des objections spéciales ; il importe de procéder avec d’autant plus de discrétion que beaucoup d’auteurs appliquent trop facilement à ces diverses affections des textes du saint docteur dont la portée est plus restreinte.

1. En général, Jésus-Christ fut-il soumis aux infirmités et affections humaines ; et de quelle manière ? — La réponse à la question de fait n’offre aucune difficulté. Hilaire attribue nettement au Sauveur nos infirmités physiques : naturæ nostrse infirmilales homo natus assumens. In ; >s. CXXXVIII, 3, col. 794. Ailleurs, il entre dans le détail : « Né d’une vierge, il s’était avancé du berceau et de l’enfance jusqu’à l’âge parfait ; il avait vécu en homme, passant par le sommeil, la faim et la soif, la fatigue et les larmes ; maintenant il va être tourné en dérision, flagellé, crucifié. » De Trinitate, III, 10, col. 81. La mort devait s’ajouter, comme dernier complément de cette vie humaine : ad explendam q idem hominis naturam, etiam morli se… subjecil. In ps. lui, 14, col. 346. Ces affections, en particulier la flagella ion, le crucifiement et la mort, disent manifestement souffrance physique : Passus quidem est Dominus Jésus Christus, dum cœditur, dum suspenditur, dum cruciflgitur, dum moritur. De Trinilate, X, 23, col. 362. Ainsi, passion physique ou organique, suivant le sens que le saint évêque donne lui-même à ce mot : Passio esteorum quse sunt illata perpessio. De syn., 49, col. 516. Ce qui vaut des infirmités physiques vaut aussi de l’âme. Hilaire ne pouvait méconnaître une doctrine expressément enseignée par les saintes Lettres, qui nous montrent Jésus-Christ soumis à la crainte et à la tristesse, ou versant des larmes. Matth., xxvi, 37 sq. ; Marc, xiv, 33 sq. ; Luc, xix, 41 ; Joa., xi, 35. Il ne l’a pas méconnue : mœstus fuit et flevil ; jlet interdum, et ingemiscit, et tristis est, In ps. lui, 7 ; lxviii, 12, col. 341, 377 ; tout cela réellement : vere Jesum Christum flevissenon dubium est. De Trinitate, X, 55, col. 387.

Mais de quelle manière Jésus-Christ fut-il soumis aux infirmités physiques et aux affections communes de notre nature ? Autrement que nous. Une première différence concerne l’objet des affections de l’âme ; Hilaire n’admet pas que, dans l’Homme-Dieu, la tristesse, la crainte, les larmes aient porté sur ses propres maux, comme sa mort ou les humiliations et les souffrances de la Passion : nec meluendi de se in eum infirmilalem incidisse aliquam ; non ergo sibi tristis est, neque sibi orat. De Trinitate, X, 10, 37, col. 350, 373. D’après le texte évangôlique, Jésus fut triste jusqu’à la mort, mais non pas à cause de la mort ; sa tristesse venait des apôtres et de nous. Ibid., 36 sq., 41, col. 371 sq., 376. Il ne deman< a pas que le calice s’éloignât de sa propre personne, mais qu’il passât à ses disciples et qu’ils le bussent avec lui : transilum calicis non sibi, sed suis deprecatur. In Matth., xxxi, 5, col. 1068. De même pour les larmes : ce n’est pas sur

lui-même que Jésus a pleuré, mais sur nous : ut flens non sibi flerel…, sed nobis. De Trinilate, X, 24, 55 sq., 63, col. 364, 387 sq., 392.

Une autre différence tient à la modalité des infirmilés physiques et des affections de l’âme : elles ne s’imposaient pas au Christ comme elles s’imposent à nous ; en lui, elles étaient volontaires à un double titre. D’abord, préalablement, car le Fils de Dieu n’est pas susceptible de ces infirmités et de ces affections dans sa nature propre, celle qu’il tient de son Père céleste, mais seulement dans la nature humaine qu’il a faite sienne librement, en la prenant par condescendance pour sauver le genre humain. Tel est le sens, et l’unique sens, comme l’affirme justement Coustant, Piœf. gen., n. 144-147, col. 70 sq., d’un certain nombre de textes, tels que ceux-ci : his omnibus non natura, sed ex assumptione subjectus, In pl. Lin, 7, col. 341 (édit. Zingerle, p. 140) ; non fuit ergo unigenilo Dei naturalis inftrmilas, sed assumpta ; suscepilcrgo infirmitates, quia homo nascitur. In ps. cxxxviii, 3, col. 475, 794. C’est dans le même sens, semble-t-il, qu’Hilaire a dit du Verbe qu’il a voulu pâtir, sans être passible : pâli voluil et passibile esse non petuit. De syn., 49, col. 516. En second lieu, ces infirmités et ces affections furent volontaires même si l’on considère Jésus-Christ en tant qu’homme ; car il n’était pas nécessairement soumis aux causes, agents ou forces, qui les produisent, tenant de son origine surnaturelle et de son union personnelle avec le Verbe une vertu capable de faire échec à ces causes, s’il le voulait et quand il le voulait : dum pati vull. quod pâli ei non licet ; ut sitiens silim non polalurus depellerel, ete uriens non se cibo escse alicujus expleret…, vel cum polum et cibum accepit, non se necessitati corporis, sed consuetudini tribuit. De Trinitate, IX, 7 ; X, 24, col. 286, 364 ; potensnon mori, etiam timorem in se mortis ingruentem non renuit ; extra necessitatem et limoris posilus et doloris ; permissum corpus passioni est, sed permissa sibi, dominala mors non fuit. Inps. LIV, 6 ; lxviii, i ; CXXXIX, 14, col. 350, 471, 821.

Ces textes et autres du même genre ne sont pas sans difficulté ; dans la controverse déjà signalée entre Philippe de Harvengt et le prévôt Jean, ils donnèrent lieu à discussion. Le prévôt soutenait qu’en Jésus-Christ la passibilité est naturelle, bien qu’acceptée volontairement. Epist., xxiv, P. L., t. cem, col. 173. L’abbé de Bonne-Espérance, invoquant les textes de saint Hilaire, voyait dans l’impassibilité la condition naturelle de l’Homme-Dieu ; l’infirmité physique et la souffrance ne pouvaient donc exister dans son corps et dans son âme qu’en vertu d’une intervention spéciale et miraculeuse du Verbe, præter natun m et permiroculum. Epist., xxv, Hunaldiadpiwpo Hum, P. L., t. ce ni, col. 175 sq. Voir t. vi, col. 10151016. Les vues de Philippe de Harvengt se retrouvent dans Baur, op. cit., t. i, p. 689 ; Watson, op. cit., p. lxxv, et quelques autres. Mais cette interprétation est loin de s’imposer. Les textes qu’on invoque prouvent uniquement que le Verbe pouvait toujours soustraire sa nature humaine à l’influence des lois qui régissent la nôtre. Ainsi en fut-il, par exemple, pendant les quarante jours de jeûne au désert ; la faim se fit seulement sentir quand, ce temps étant écoulé, le Verbe ramena son corps aux conditions normales de notre vie : Vi tus illi qu dri ginl di rum non mota jejunio, naturæ suæ hominem dereliquil. In Matth., iii, 2, col. 928. C’est donc que, laissée à elle-même, la nature humaine du Sauveur était vraiment susceptible d’éprouver, comme nous, le besoin d’aliments. La même idée se retrouve expressément ailleurs : Qui se somno et lassitudini sœpe commiserit y etiam usque ad sitis et esuritionis necessitatem. In ps. lxviii, 6, col. 474 ; cf. Baltzer, Die Christologie