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personnalité, et par le fait même de sa conscience di inc. Thomasius s’appuie sur un autre passage, De Trinitate, XI, 48, col. 431, où il est question de la vertu illimitée du Fils de Dieu comme s’ét <nt restreinte, autant que l’exigeait l’humble condition du corps humain qu’il s’était approprié ; donc le Verbe, en s’incarnant, s’est dépouillé de ses attributs divins d’ordre relatif : toute-puissance, omniscience, ubiquité.

Indépendamment des fausses suppositions qu’elles renferment, ces interprétations sont incompatibles avec la doctrine générale du saint évêque sur l’immutabilité divine et sur la consubstantialité parfaite du Père et du Fils. Qu’elles soient également contraires à sa réelle pensée sur le dépouillement du Christ, c’est chose démontrée par beaucoup d’auteurs : soit catholiques, comme Co stant, P. L., . ix, col. 292, 485 ; Wirthm lier, op. cit ; Baltzer, Die Christologie des hl. Hilarius von Poitiers, p. 5 sq. ; soit protestants, comme Ch. Gore, Dissertations on subjects connected with Ihe incarnation, Londres, 1895, p. 147 sq. ; Loofs, art. Kenosis, op. cit., p. 254. La « forme de Dieu » , dont le Verbe se dépouille en s’incarnant, ne peut être ni la personnalité divine, ni la nature divine considérée soit en elle-même, soit dans ses propriétés absolues ou relatives, puisque Hilaire affirme expressément la permanence intégrale de l’une et de l’autre : evacualio fonnæ non est abolitio naturse, quia qui se évacuât, non caret sese, et qui accipit, manel, De Trinitate, IX, 14, col. 293 ; ita ut naturæ posterions adjectio nullam defeclionem naturæ anlerioris afferret. Inp. liv, 2, col. 348- L’ubiquité du Verbe ne subit pas plus d’éclipsé que sa nature ou sa puissance : in forma servi manens, ab omni intra extraque cseli mundique circulo cseli ac mundi Dominus non abfuit. De Trinitate, X, 16, col. 355. Le seul changement qu’il y ait, c’est dans l’état oi la manière d’être : non virtutis naturœque damno, sed habitas demutatione. De Trinitate, IX, 38, col. 309. Entendez la condition ou la manière d’être de Dieu considérée pour ainsi dire par le dehors, c’est-à-dire l’état de gloire propre à une personne divine. Le point de départ, où le dépouillement commence, a pour contre-partie le point d’arrivée, où le dépouillement cesse, en d’autres termes le retour du Christ à l’état de gloire dont jouit le Père : in naturæ paternæ gloriam, ab ea per dispensationem evacuatus, assumitur, De Trinitate, IX, 41, col. 315, ad resumendam gloriam Dci Patris. In ps. cxxxviii, 5, col. 795.

Mais ce dépouillement de l’état de gloire propre à une personne divine doit-il s’entendre dans un sens absolu, comme si le Verbe ne l’eût 14 s possédé effectivement, du jour où il se fit homme et tant que dura sa mission ici-bas ? Tout autre est la pensée de l’évêque de Poitiers. L’incompatibilité qu’il dit exister entre la « forme de Dieu » et la « forme de serviteur » , non conveniente sibi formée ulri sque concursu, s’applique au Christ, considéré comme subsistant dans la nature humaine, Christus Jésus, Christus homo, et non pas au Christ considéré comme subsistant dans la nature divine, Christus spiritus ; car, so s ce dernier aspect, le Christ est essentiellement dans la même « forme » que le Père, dont il est, comme Fils, l’image parfaite : Quam enim signaveral Dcus, aliud prse’erquam Dei forma esse non potuit : nec separari potest a Dei forma, cum in ea sit, De Trinitate, VIII, 45, 47, col. 270 sq. ; aboleri autem Dei forma, ut lantum servi essel forma, non potuit. I i ps. LXVIII, 25 ; cxxxviii, 2, col. 485, 793. Dans le texte allégué par Dorner : Non utique substanlia… quse se ipsam inaniens hauserat, il suffit d’achever la lect re de la phrase, pour comprendre que l’assertion doit s’entendre dans le sens purement relatif de non-existence

apparente : nullo autem mo’o se caruil, qui se ipsum exinanivit évacuons ; nec tamen idipsum videbatur exstare. Aussi le saint docteur afQrme-t-il la coexistence des deux « formes » dans l’unique personne du Verbe incarné : Unum eumdemque non Dei defeclione, sed hominis assumplione profilenlis et in forma Dei per naturam divinam, et in forma servi ex conceplione Spiritus Sancti secundum habilum hominis repertum fuisse. De Trinitate, X, 22, col. 360.

L’unité de personne et la dualité de natures, soulignées dans ce dernier texte, donnent véritablement la clef du problème. Subsistant dans la nature divine, comme Fils et Verbe, le Christ est essentiellement dans la « forme de Dieu » , c’est-à-dire dans l’état de gloire propre à une personne divine, mais ne se manifestant pleinement qu’a i ciel ; subsistant dans une nature humaine semblable à la nôtre, il fut et il apparut ici-bas dans « la forme de serviteur » , c’est-à-dire dans un état d’obscurité, d’humilité et d’infirmité. Faute d’avoir tenu compte de cette distinction ou d’en avoir compris la portée, des auteurs n’ont vu que des incohérences dans les divers passages du docteur gaulois ; d’autres ont jugé sa doctrine beaucoup plus compliquée qu’elle ne l’est en réalité.

Un dernier passage, De Trinitate, IX, 38, col. 310, confirmera l’explication donnée en la complétant. Saint Hilaire y parle de l’unité ou égalité entre le Père et le Fils comme brisée par l’incarnation, puis rétablie par la résurrection et l’ascension du Sauveur. Il veut dire qu’avant l’incarnation le Fils était purement et simplement, en toute sa personne, dans la « forme <e Dieu » , sur un pied de parfaite égalité avec le Père, vivant comme lui dans l’état de gloire propre à une personne divine : en s’unissant à la nature humaine telle qu’il l’a prise, il change de condition, il cesse d’être purement et simplement, en toute sa personne, dans la « forme de Dieu » , car, en tant que subsistant dans la nature humaine, il est dans la « forme de serviteur » . S’il demande au Père de posséder la gloire dont il jouissait auprès de lui avant la création du monde, c’est donc qu’en sa condition actuelle, il n’est pas tout entier en posses ion de cette prérogative : non erat idipsum lotus, quod i t fieret precabatur. In pl. ii, 27, col. 277 L’unité, l’égalité se rétablissent seulement le jour où, son humanité étant souverainement glorifiée, le Fils se retrouve, purement e si iplement, en toute sa personne, dans la « forme de Dieu » , dans l’éclat qui convient à une personne divine et qui contraste merveilleusement avec l’obscurité, l’humilité et l’infirmité, dont il fut enveloppé ici-bas. En ce sens Hilaire a pu dire du Christ glorifié qu’il est désormais Dieu tout entier, et non pas en partie seulement ; non ex parte Deus, sed Deus lotus, De Trinitate, XI, 40, col. 425 ; qu’i reprend, en toute sa personne, la « forme de Dieu » , l’égalité avec le Père, dont il s’était dépouillé pendant sa vie mortelle, conformément à l’économie de la rédemption : nunc donalio nominis formæ reddidit œqualilalem, De Trinitate, IX, 54, col. 324 ; et rursum in gl ria Dei Palris est, forma videlicel servi in gloriam ejus cujus forma ante manebat proficienie. Inps. cxxxviii, 19, col. 802.

Cette doctrine suppose manifestement, dans le Fils de Dieu fait homme et vivant ici-bas, une certaine limitation, en particulier une limitation de puissance ; mais cette limitation ne porte point sur la puissance divine du Verbe prise en elle-même, elle porte uniquement sur l’exercice de cette puissance par rapport à la sainte humanité du Sauveur ; le Verbe, en la prenant, ne l’a pas dotée des prérogati s réservées au temps de la glorification suprême : se ipsum exinaniens, est intra se latens, et intra suam ipse vacuefaclus potestutem. De Trinitate, XI, 48, col. 432. La limita-