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GILBERT DE LA PORRÉE


l’erreur au maître qui leur apprend a se corriger. » Ces « porrétains » se recrutèrent en partie parmi les disciples que Gilbert forma à Chartres ou à Paris. Il en vint d’ailleurs. Nous sommes mal renseignés sur leur compte. C'était un disciple ce Nicolas d’Amiens, qui nous était connu par son De arce fidei, et en qui des travaux récents ont révélé un commentateur des Commentaires de Gilbert sur Boèce et sur saint Paul. Cf. M. Grabmann, Geschichle der scholaslischen Méthode, Fribourg-en-Brisgau, 1911, t. ii, p. 431-432. Un manuscrit des Commentaires de Gilbert sur Boèce donne, avec l’image de Gilbert, celles de Nicolas et de trois autres disciples, quorum nomina suscripla sunt quia digni sunt : Jourdain Fantasma, un Anglais ; Ives, qui fut doyen de Chartres ; Jean Belelh, l’auteur du nationale divinorum offleiorum. Jean Beleth, nous l’avons vii, cite Gilbert en matière liturgique. Bien ne prouve que ni lui, ni le doyen de Chartres, ni Fantasma, aient adhéré, après le concile de Beims, aux erreurs de Gilbert. Bien ne le prouve non plus pour ce Guillaume Corborcnsis, qui dédia ù Gilbert une Explicatio quorumdam vocabulorum grsecorum, surtout si on doit l’identifier avec Guillaume de Corbeil ou, comme le propose

A. Clerval, Les écoles de Chartres au moyen âge, p. 187, 231, avec Guillaume de Combourg, abbé de Marmoutier, morts le premier en 1136 et l’autre en 1124, donc avant le concile, et il n’est pas sûr que Guillaume ait suivi les leçons de Gilbert. D'Ébrard de Béthune nous savons seulement qu’il se rattache au « porrétanisme » philosophique : ne simus nominales in hoc sed polius porrelani, dit-il. Anlilurresis, c. i, Max. bibl. vct. Patrum, Lyon, 1677, t. xxiv, p. 1529. Un anonyme, dans une épitaphe conservée à la fin d’un manuscrit des Commentaires sur Boèce, cf. Berthaud. Gilbert de la Porrée, p. 318, fait de Gilbert un éloge enthousiaste qui, par de la le « maître très célèbre, intrépide, sage, et supérieur à tous les maîtres, » pourrait bien viser le théologien hétérodoxe. Dans certains cercles du clergé séculier malveillants pour saint Bernard, on qualifiait Gilbert de la Porrée de prsesul prwsulum. Cf. Walter Mapes, De nugis curialium, édit. T. Wright, Londres, p. 40 ; The latin poems commonly altributed to Walter Mapes, Londres, 1851, p. 54. Etienne de Alinerra, qui avait assisté au concile de Beims, déclarait, au rapport d’Hélinand de Froidmont, Chronic, an. 1148, P. L., t. ccxii, col. 1038, qui l’avait entendu souvent de sa bouche, Bernardum nihil adversus Gislebertum prævaluisse. Jean de Salisbury, manifestement sympathique à Gilbert dans son Mctalogicus, est tout à fait pour lui si YHistoria ponlificalis est son œuvre. Othon de Freising lui est si favorable que, au moment de mourir (1158), il craignit d’avoir outré l'éloge et demanda à son frère d’y changer ce qui paraîtrait excessif.

Il y a, dans ce qui précède, parmi diverses incertitudes, des preuves de l’existence d’un parti fidèle à Gilbert, à sa mémoire et à ses doctrines. Des précisions importantes sur le caractère de cette petite église se sont produites au cours de ces dernières années.

B. Geyer a publié les Sententiæ divinitatis. Munster, 1909, d’un anonyme de l'école de Gilbert, qui dut écrire entre 1140 et 1148. Cf. p. 62. L’auteur ne suit pas exclusivement Gilbert ; il fait des emprunts à la Summa attribuée à Hugues de SaintVictor, et il s’inspire d' Abélard. Sur la question du péché originel notamment, il dépend, ainsi que Nicolas d’Amiens, des théories abélardiennes. Cf. B.-M. Martin, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, t. xiii, p. 684-691. Mais l’ensemble de ses idées, surtout son enseignement trinitaire et sa christologie, cf. Geyer, p. 10-28, est gilbertin. Un autre sentencier de l'école de Gilbert fut Baoul Ardent, qu’on avait placé à tort au xie siècle et qui est de la fin du XII e. Cf. B. Geyer, Radulphus Ardens und das Spéculum universale, dans la Tluologische Quarlalschrif l, Tubing, ue,

1911, t. xciii, p. 63-89. Un écrit anonyme, mis en lumière par P. Fournier, Éludes sur Joachim de Flore, Paris, 1909, et intitulé : Liber de vera philosophia, reprend les thèses fondamentales de Gilbert, sauf son adoptianisme, p. 81-86. Écrit après le IIIe concile œcuménique de Latran (1179), il paraît avoir pour auteur un religieux de la Provence ou du Languedoc, probablement un supérieur écrivant pour l’instruction de ses moines, très savant et tenant en défiance le savoir humain, au courant de la langue et de la patristique grecques. Il s’en prend à saint Bernard, à Hugues de SaintVictor et à Pierre Lombard. Contre eux il multiplie les citations des Pères. La tâche lui a été facilitée par un de ses amis, maître A., chanoine de Saint-Buf, un gilbertin lui aussi, lequel, pendant plus de trente ans, a colligé, et publié ensuite sous le titre de Collcctio, les autorités quas vidil ad doctrinam sancte Trinilatis et ejusdem unilalis et Verbi incarnationis et corporis et sanguinis Domini necessarias fore. Quel serait l’auteur du Liber de vera philosophia ? P. Fournier avait d’abord pensé à Joachim de Flore. P. Mandonnet, Bulletin critique, 2e série, Paris, 1901, t. vii, p. 70-73, a fait valoir contre cette identification des raisons si fortes que P. Fournier a nettement abandonné l’hypothèse qu’il avait proposée. Cf. p. 99-100, note. Mais, que ce soit par le chanoine de Saint-Buf, ou par le Liber de vera philosophia, ou par un autre canal, ou directement, il est certain que Joachim de Flore recueillit les doctrines de Gilbert de la Porrée. Son ouvrage contre Pierre Lombard, le De unitate Trinilatis, qui fut solennellement condamné au IVe concile œcuménique de Latran, et divers passages de son Psallcrium decem chordarum et de son Commentaire de l’Apocalypse, sont comme une réédition, assez conforme à l’exposé du Liber de vera philosophia, de la grande erreur de Gilbert. Tout le système de Joachim de Flore semble avoir été influencé par cette vue. Après avoir séparé les trois personnes dans le dogme, il divisa leur action dans l’histoire, distinguant les trois âges de l’humanité soumis à l’action distincte de chacune des trois personnes divines : l'âge du Père, inauguré à la création ; l'âge du Fils, commencé à la rédemption ; l'âge du Saint-Esprit, qui allait s’ouvrir. « C’est ainsi, dit P. Fournier, p. 80, que toute la postérité mystique de Joachim de Flore, les spirituels et les fraticelles du xiiie siècle et du xive, et, avec eux, tant d'âmes ardentes qui attendirent la régénération de l'Église d’un avènement nouveau de l’Esprit divin, descendent, par l’intermédiaire de l’abbé de Flore, d’un théologien fort peu mystique, Gilbert de la Porrée. »

En dehors de son école, Gilbert n’a pas affecté beaucoup, de façon directe, l'œuvre de Pierre Lombard Cf. B. Geyer, Die Sententiæ divinitatis, p. 21-23 ; J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du XIIe siècle, p. 108-109. A. Lasson, dans Ueberweg-Heinze. Grundriss der Geschichle der Philosophie der palrislischen und scholaslischen Zeit, 9e édit., Berlin, 1905, p. 358, et S. M. Deutsch, Realencijklopâdie, 3e édit., Leipzig, 1898, t. v, p. 151, ont signalé à tort une dépendance d’Eckart vis-à-vis de Gilbert de la Porrée relativement à la différence entre Dieu et la divinité ; sur ce point Eckart s’exprime correctement. Voir t. iv, col. 2064. Où l’influence de Gilbert fut réelle et durable ce fut dans l’enseignement scolaire. Son Liber sex principiorum devint classique ; il eut cet honneur, qu’aucun autre traité produit par la scolastique n’a connu, d'être rangé auprès des écrits logiques d’Aristote, de Porphyre et de Boèce. Il fut commenté, entre autres, par Albert le Grand et saint Thomas d’Aquin, au xiiie siècle, le carme Geoffroy de Cornouailles et le franciscain Antoine Andréa, au xive, et le dominicain Buonagrazia d’Ascoli, au xv » .

I. Œuvres. — Ont été imprimés : le Commentaire sur