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HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE


en conséquence, ne s’oppose pas directement à la foi catholique ; il a sa source plutôt dans l’ignorance de ce qu’est en réalité la règle de la foi que dans le rejet de cette règle ; aussi le doute négatif, pour les théologiens, constitue plutôt une infidélité négative, qui peut être, sans doute, gravement coupable, mais ne constitue pas encore le péché d’hérésie. Suarez, De fi.de, disp. XIX, sect. iv, n. 8. Le doute positif, volontaire et délibéré, comporte en réalité un jugement positif et erroné relativement à la règle de la foi : celui qui doute positivement se croit en droit, pour des motifs suggérés par son jugement personnel, de ne point adhérer pleinement à une vérité que le magistère de l’Église lui propose cependant comme certaine et révélée par Dieu ; en définitive, il n’adhère donc plus, selon la remarque très juste de saint Thomas, à la doctrine de l’Église cr mme à une règle infaillible, mais à son propre jugement. Et c’est là la note caractéristique de l’hérésie. Tous les théologiens, à part quelques-uns, comme M. Cano, De locis, 1. XII, c. ix, n. 4 ; Sanchez, Opus morale in prsecepla decalogi, 1. II, c. vii, n. 12 ; Malderus, De virtutibus Iheologicis, Anvers, 1616, q. xi, a. 2, m. iv, admettent que le doute positif équivaut à l’hérésie. Est hæreticus qui affirmative de aliquo arliculo fidei dubilat, hoc est judical esse dubium, dit saint Alphonse, Theologia moralis, 1. II, tr. I, c. iv, dub. m. Tout comme le rejet d’un article de foi, le doute positif repousse la règle de foi et, par elle, atteint et blesse la révélation elle-même : il est, en effet, de l’essence de la foi d’être ferme et indubitable. Voir Foi, col. 206, 207. Les théologiens et canonistes qui défendent l’opinion de saint Alphonse sont légion. Cf. Ballerini-Palmieri. loc. cit., n. 89. Suarez, toc. cit., n. 20, cite les noms de ses principaux devanciers : dans leurs commentaires sur la II a II a>, q. x, a. 5 ; q. xi, a. 1, Cajetan, Pierre d’Aragon, Banez et Grégoire de Valencia ; Gabriel Biel, In I V Sent., 1. IV, dist. XIII, a. 1, note 3 ; 1. III, dist. XXIII, q. ii, a. 1 ; Adrien VI, Quæstiones quodlibelales, Lyon, 1547, quodl. II, q. i ; A. de Castro, De justa hæreticorum punitione, 1. I, c. vii, ix ; Adversus hæreses, 1. I, c. x ; Corduba, op. cit., 1. IV, part. II, c. xii ; Tolet, Summa, 1. IV, c. iv, n. 3 ; Azor, Institut iones morales, Lyon ; 1625, part. 1, 1. VIII, c. ix, q. v ; Sa, Summa, au mot Hæresis, n. 1 (la l re édition, Naples, 1748, semblait favoriser l’opinion de Sanchez ; la 2’édition corrigée, Naples, 1753-1755, indique que l’opinion opposée est communis sententia quæ tenenda est ; cf. S. Alphonse, op. cit., édit. Gaudé, loc. cit., t. i, p. 310, note). On peut encore ajouter Pirhing, Jus canonicum, Décrétai., )^, tit. vii, 4, Venise, 1759, t. iv, p. 50 ; Reilïenstuel, Jus canonicum, tit. vii, n. 10 ; Ferraris, op. cit., au mot Hæreticus, n. 4, 14. Le cardinal Billot, De virtutibus infusis, th. xxiv, dit simplement que la vertu de foi est perdue par un doute pleinement délibéré. Cette doctrine commune s’appuie sur l’enseignement explicite de l’Église. Voir les Décrétâtes de Grégoire IX, c. Dubius, i, X, De hsereticis : dubius in fide infldelis est (donc, concluent les théologiens, si le doute est émis par un baptise 1, il engendre l’hérésie) ; de Clément V, c. Firmitcr, § 1, De summa Trinitate, déclarant ennemie de la foi catholique toute doctrine… révoquant en doute la vérité définie de l’âme forme du corps humain. Cf. Denzinger-Bannwart, n. 481. On trouve des expressions identiques dans le Ve concile de Latran : Damnamus et reprobamus omnes asserentes animam inlclleclivam mortalem esse et hoc in dubium verlenles, n. 738 ; dans le symbole d’Athanase : nisi fideliler firmitcrque credideril, salvus esse non poterit, n. 40. Le concile du Vatican, Constitutio de fide catholica, c. ni, déclare que les fidèles qui ont reçu la foi du magistère de l’Église ne peuvent jamais avoir une juste cause de changer cette foi ou de la révoquer en doute, n. 1794 ; cf. can. 6, n. 1815. C’est aussi la doctrine des Pères. Saint Augustin déclare qu’on ne peut,

sans pécher contre la foi catholique, dire : Peut-être le Christ est né de la Vierge, De Trinitate, 1. VIII, c. v, P. L., t. xlii, col. 952 ; ce « peut-être » marque le doute. De même, saint Bernard : Fides ambiguum non habet, et si habet, fides non est. De consideralionc, 1. V, c. ni, P. L., t. clxxxii, col. 790. Hugues de SaintVictor : Ubi dubilalio est, fides non est. De sacramentis, 1. I, part. X, c. ii, P. L., t. cxxxvi, col. 327-331. Voir Foi, col. 88-98.

Notons que la distinction établie par les théologiens entre doute négatif et doute positif paraît à plusieurs bien subtile : comment concevoir un doute qui soit simplement la suspension de tout jugement ? Aussi ne faut-il pas s’étonner d’entendre les moralistes faire la remarque pratique suivante : « On doit observer que, si quelqu’un suspend son jugement d’une façon délibérée et avec pertinacité, parce qu’il juge que les motifs de ne pas croire rendent incertaine la vérité de foi, il doit être tenu pour hérétique. Son doute, en ce cas, est vraiment positif, à l’égard de la vérité de foi, puisqu’il juge avec délibération et pertinacité que ne sont point certains tous les dogmes que l’Église propose cependant comme tels. » S. Alphonse, op. cit., 1. VII, c. ii, n. 302 ; cf. De Lugo, De fide, disp. XX, n. 16 ; Sylvius, In IP m II*, q. xi, a. 1 ; Wigandt, Tribunal confessariorum et ordinandorum, Venise, 1754, tr. VII, n. 49 ; Antoine, Theologia moralis universa, Rome, 1748, De fide, c. ni, q. vi ; Salmanticenses, Cursus moralis, tr. X, De censuris, c. IV, n. 54 sq., ete Voir S. Alphonse, op. cit.. édit. Gaudé, Rome, 1912, t. iv, p. 428.

Une première conclusion à tirer de cette doctrine, c’est que, lorsque le jugement erroné ne porte pas sur la règle de la foi, mais, l’adhésion à cette règle restant sauve, sur l’objet matériel de la foi, il ne saurait plus être question d’acte d’hérésie. Si un homme baptisé, tout en professant explicitement ou implicitement sa soumission à l’égard du magistère de l’Église, nie un article de foi parce qu’il ignore que cet article a été défini, ou bien s’il tient pour révélée une doctrine qu’à tort il croit proposée comme telle par l’Église, « il commet une simple erreur de fait sur ce que commande la règle de la foi » , mais il ne commet aucune erreur touchant la règle de foi elle-même ; il n’y a donc pas, en cet acte, de péché d’hérésie. Toutefois, cette erreur de fait peut être coupable dans la mesure ou est coupable l’ignorance qui en est la cause. Cf. S. Alphonse, op. cit., 1. II, tr. I, c. iv, dub. iii, n. 19 ; Laymann, Theologia moralis, Venise, 1630, 1. II, tr. I, c. xiii, n. 2 ; Coninck, De moralitalc, natura et effectibus actuum supernaturalium in génère et fide, spe ac charitate, Lyon, 1624, De fide, disp. XVIII, n. 97 sq. ; Billot, De virtutibus infusis, th. xxiii ; De Ecclesia Christi, th. xi. Bouquillon, loc. cit., appelle hærcsis laie dicta cette erreur de fait. On ne peut approuver cette terminologie.

Une seconde conclusion s’impose : en l’absence de jugement formulé par l’intelligence, il ne peut y avoir hérésie proprement dite. Quelqu’un qui extérieurement feindrait l’hérésie, sus donner à cette simulation de consentement intérieur, se rendrait coupable d’un acte par ailleurs gravement répréhensible, cf. De Lugo, op. cit., disp. XIV, n. 31-44, mais non d’un acte d’hérésie. Voir Filucci, Quæslionum moralium, Lyon, 1634, tr. XXII, n. 162-163 ; Lcssius, Sanchez, Opus morale, in præcepta Decalogi ; Benoît XIV, De sijnodo diœcesana, 1. IX, c. iv, §4 ; Suarez, op. cit., disp. XIV, sect. vi, n. 4 ; disp. XXI, sect. ii, n. 1 ; De virtutibus et statu religiosis, tr. II, 1. II, c. vi, n. 20 ; S. Alphonse, loc. cit. Cf. S. Thomas, Sum. theol., IP II æ, q. xii, a. 1, ad 2 U ™.

Voici enfin une troisième conclusion : l’homme baptisé qui adhère à une vérit de foi, croyant que cette vérité est condamnée par l’Église comme pronosition hérétique et qui y adhère par esprit d’opposition au magistère de l’Église et d’une manière consciente,