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HELVETIUS


de l’Église n’ont d’autre but que d’assurer son pouvoir « par la stupide crédulité des peuples » , sect. i, c. ix. Helvétius expose ses théories religieuses dans les sections i, iv, vii, ix principalement. Les religions existantes sont toutes nuisibles : « Le mal qu’elles font est réel et le bien imaginaire. » Quel bien feraient-elles : a Ce n’est ni de la vérité d’une révélation, ni de la pureté d’un culte, mais uniquement de l’absurdité ou de la sagesse des lois que dépendent les vices et les vertus d’un citoyen, » sect. i, c. iv et note I. D’ailleurs « presque toute religion défend aux hommes l’usage de leur raison, les rend brutes, malheureux et cruels » , sect. vii, note 18. C’est un effet nécessaire de ce que « l’intérêt du corps sacerdotal est partout isolé et distinct de l’intérêt public » . Ibid. Des religions positives les moins nuisibles furent la païenne ; « la plus absurde, si l’on veut, mais sans dogmes, par conséquent tolérante ; … elle n’exigeait point un grand nombre de prêtres et n’était point nécessairement à charge à l’État, » enfin elle n’étouffait pas les passions, source d’énergie, sect. i, c. xv ; et aussi la religion des Scandinaves « dont la Réputation était le dieu » , ce qui était également source d’énergie. Des religions chrétiennes la forme inférieure est le catholicisme qu’il appelle le papisme. Les pays luthériens ou calvinistes sont plus riches et plus puissants que les pays catholiques, sect. i, note 32. « Le plus sûr moyen d’affaiblir l’Angleterre et la Hollande serait d’y établir la religion catholique. » Ibid., note 35. Le papisme n’a rien « de cette religion douce et tolérante établie par Jésus-Christ » , sect. ix, c. xxx. Il ne peut se réclamer d’un droit divin : il est « d’institution humaine » : l’Église romaine a fait de lui « l’instrument de son avarice et de sa grandeur » , sect. i, c. xii ; « une pure idolâtrie » ; les saints sont des fétiches : « La France a dans saint Denis son fétiche national, dans sainte Geneviève une fétiche de sa capitale. » Ibid., note 29. Helvétius lui reproche surtout « l’ascétisme de sa morale : il fausse le jugement sur la vie et condamne les passions ; il tue ainsi l’action » . « La vie n’est qu’un passage, le ciel est la vraie patrie de l’homme : de tels discours attiédissent en lui l’amour de la parenté, de la gloire, du bien public et de la patrie, » c. ix. « Que trouver chez un peuple sans désir ? des commerçants, des capitaines, des hommes de lettres, des ministres habiles ? Non, mais des moines, » c. xv. Ce que le catholicisme coûte à l’État, c. xiv, et l’ignorance où il tient les peuples, sont « le principe le plus fécond en calamités publiques, » car « c’est de la perfection des lois que dépendent les vertus des citoyens et des progrès de la raison que dépend la perfection des lois. Toute religion qui honore la pauvreté d’esprit est dangereuse. La pieuse stupidité des papistes ne les rend pas meilleurs » , sect. vii, c. m. On trouve dans le catholicisme l’intérêt, c’est-à-dire l’amour des richesses et l’ami ilion du pouvoir qui est l’unique ressort de son action et qui lui a fait commettre tant de crimes. « Point de ruses, de mensonges, de prestiges, d’abus de confiance, enfin de moyens vils et bas que les prêtres n’aient employés pour s’enrichir, » sect. i, note 30. « Partout le clergé fut ambitieux et dut l’être… Il veut une auto rite suprême ; mais il ne peut s’en revêtir qu’en dépouillant les légitimes possesseurs, les princes et les magistrats, » sect. ix, c. xxv. Helvétius revient souvent sur cette accusation : ouvrant une tactique chère aux philosophes, en attaquant l’autel, il feint de défendre le trône, l’État et le parlement. Les papes ont tout fait « pour accréditer l’opinion de la prééminence de l’autorité spirituelle sur la temporelle. » Ibid. Ils n’ont même pas reculé devant le régicide : au reste « toute religion intolérante est essentiellement régicide » . Ibid. Pour rt’ialser ses rêves d’universelle domination, l’Église se donne comme la dépositaire

infaillible d’oracles divins et « par ce moyen se soumit les peuples et fit trembler les rois » , c. xxvi. Enfin « le prêtre est toujours l’ennemi du magistrat » , sect. viii, c. il. « Lors de la destruction projetée des parlements en France, quelle joie indécente les prêtres de Paris ne firent-ils point éclater ? » Ibid., note a. Helvétius consacre à l’intolérance religieuse les c. xviiixxi et les notes 61-77 de la section iv, mais il y revient un peu partout. L’intolérance religieuse lui paraît absurde : « Quoi 1 des gens honnêtes se persécutent parce qu’ils portent les noms divers de luthériens, de calvinistes, de catholiques » , c. xviii ; antichrétienne : Jésus l’a condamnée chez les pharisiens ; contraire à un droit fondamental : « Nul n’a droit sur l’air que je respire, ni sur la plus noble fonction de mon esprit, sur celle de juger par moi-même. » Ibid. Malgré cela, comme « l’intolérance est le fondement de leur grandeur » , les prêtres papistes n’acceptent ni la science, ni le libre examen : « Ils se sont élevés contre Galilée ; ils ont proscrit dans Bayle la saine logique, dans Descartes l’unique méthode d’apprendre… ; ils ont jadis accusé tous les grands hommes de magie ; maintenant que la magie a passé de mode, ils accusent d’athéismeet de matérialisme » , c.xx. Leur intolérance n’a jamais reculé devant le sang : on connaît les crimes de l’Inquisition, le massacre des vaudois : « le ; neiges des Alpes étaient teintes de sang, c’est ainsi que la douce religion catholique, ses doux ministres et ses doux saints ont toujours traité les hommes, » sect. iv, note 6. Et ces vices lui sont inhérents. Elle sera toujours « une religion destructrice du bonheur national » , une religion « de discorde et de sang… régicide ; sa grandeur fondée sur l’intolérance » doit toujours « appauvrir les peuples, avilir les magistrats…, jamais l’intérêt du sacerdoce ne pourra se confondre avec l’intérêt public » , sect. ix, c. xxx. Comment l’empêcher de nuire ? Helvétius propose des^mesures particulières : enlever à l’Église les richesses « que le clergé a usurpées sur les pauvres et sur lesquelles la puissance temporelle a la charge de veiller » , sect. i, c. xiv, note a. Comme solution générale, il indique, en passant, mais formellement, la séparation de l’Église et de l’État : « En Pensylvanie, point de religion établie par le gouvernement ; chacun y adopte celle qu’il veut. Le prêtre ne coûte rien à l’État ; c’est aux habitants a s’en fournir, selon leur besoin, à se cotiser à cet effet. Le prêtre y est, comme le négociant, entretenu aux dépens du consommateur. Qui n’a point de prêtre et ne consomme point de cette denrée ne paye l’on. La Pensylvanie est un modèle dont il serait à propos de tirer copie, » sect. i, note 37. Cf. Mathiez, Les philosophes et la séparation, dans la Revue historique, janvier 1910. C’est une solution du même ordre qu’il propose, sect. ix, c. xxxi : « enlever au catholicisme son caractère de religion d’État, de religion exclusive et établir la liberté des cultes. La multiplicité des religions dans un empire affermit le trône. Des sectes ne peuvent être contenues que par d’autres sectes… La tolérance soumet le prêtre au prince, » sect. i, c. xivet note 44 ; sect. ix, c. xxxi. Mais il a pour idéal une solution plus radicale. Comme il est impossible « de faire concourir les puissances spirituelle et temporelle au même objet, c’est-à-dire au bien public » , il faut les concentrer dons les mêmes mains ; le pouvoir temporel maitre de la puissance spirituelle, les prêtres simples officiers de morale et ces fonctions aux mains des magistrats, cette solution seule peut assurer le bonheur public. Ibid. Il rêve « la religion universelle » , couronnement de la morale universelle fondée sur la vraie nature de l’homme, créée comme cette morale par le pouvoir législatif : « C’est uniquement du corps législatif que l’on peut attendre une religion bienfaisante et qui n’aurait que la félicité des peuples pour objet, » sect. i,