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GERSON

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assure la jouissance, comme un avant-goût de la céleste béatitude.

Mentionnons d’abord la Montagne de contemplation, qui est son chef-d'œuvre en ce genre ; mais Gerson s’est aussi élevé jusqu’aux plus liantes régions de la science sacrée, dans la Théologie mystique, à laquelle il faut ajouter le travail postérieur : l'Éclaircissement scolasliquc de la théologie mystique ; le Carmen sur la purification des sens intérieurs ; la Méditation, traité qui porte le nom de Consolatorius ; Y Illumination du cœur ; la Simplicité et la pureté du cœur ; la Direction et la droiture du cœur ; VŒU et son objet ; les Remèdes contre la pusillanimité, les scrupules, les consolations trompeuses de l’ennemi et les subtiles tentations ; les Diverses tentations du diable ; Y É pitre à ses sœurs pour enseigner ce que chacun doit penser chaque jour ; les Exercices appropriés aux dévols simples (De exercitiis discrelis devolorum simplicium) ; les Trois traités sur les cantiques ; les Douze considérations que doit faire l’homme à l'égard de Dieu pour que la prière soit exaucée ; la Prière du pécheur lorsqu’il a beaucoup d’inquiétudes sur ses péchés ; les Quelques pieuses méditations de l'âme sur l’Ascension ; les Plaintes des défunts dans le feu du purgatoire à l'égard des amis sur la terre ; le Testament quotidien du pèlerin, suivi de Considérations sur ce même sujet et terminé par le Testamentum mclricum du même pèlerin ; les Conseils évangéliques et l'état de perfection, où l’auteur s'élève de l’ordre naturel aux hauteurs de l’ordre surnaturel, en commentant ces mots : Ulrum aurora mane rutilons solem ediderit ; la pièce de vers qui est Y Épilhalame mystique du théologien et de la théologie sous la figure de Jacob et de Rachel et qui s’ouvre ainsi :

Oro per cervos capreasque campl, Oro sanctos per amoris ignés, Per fidem sanctam, decus et honorem, Jacob, amas me ?

enfin une autre pièce de vers ayant pour titre : M iroir de la vie humaine.

Les principes qui dirigent Gerson dans cette science si délicate et si sublime ont été complètement résumés par Schwab. D’après notre docteur, la théologie mystique est la fin et l’achèvement suprême de toute discipline théologique en général, comme aussi elle approche beaucoup plus près de la vision béatiiique, notre fin tout à fait dernière. Et de fait, au lieu que la théologie scientifique se meut dans le domaine des conceptions abstraites et du raisonnement discursif, la théologie mystique est essentiellement une connaissance expérimentale de Dieu (experimentalis Dei perceplio), transcendante à tout discours, qu’on peut seulement vivre au dedans de soi-même, et vivre par l’amour ; si bien que c’est la vis affectiva qui y tient le premier rôle. Pour y atteindre, il faut laisser absolument de côté toute détermination empruntée aux créatures, et c’est en ce sens que la théologie mystique est négative, qu’elle doit être ravie dans une obscurité ou des ténèbres divines (rapi in divinam caliginem) ; mais ce qui se trouve ainsi plongé dans la nuit, ce sont uniquement les puissances inférieures de l'âme, soit puissance de connaître, sens, imagination et raison (dans l’acception scolastique du terme, c’est-à-dire comme faculté de raisonnement ou discursive), soit puissance de désirer, appétition sensible et même appétition rationnelle (en tant que subordonnée à l’entendement discursif). Les puissances supérieures, intelligence et surtout amour purs, ne s’en déploient que plus librement, dans un acte ou plutôt un état sublime de surélévation ou de ravissement ou de transport spirituel (supermentalis excessus vel supra spiritum), qui est tout ensemble « contemplation » et « dilec tion extatique » du souverain bien. Et par là dépasset-il éminemment le simple savoir théorique. Par où l’on comprend aussi qu'à la différence de la théologie dialectique ou argumentative, la théologie mystique ne requiert pas un acquis scientifique considérable, mais seulement la foi en Dieu et l’amour de Dieu comme Bien suprême, sans aucune science livresque ; d’où il suit qu’elle est à la portée des plus simples et même des ignorants. En troisième lieu, elle a le privilège, toujours par rapport à la théologie d'école, de nous apporter, par l’adhésion et l’union à Dieu, fruit de l’amour même, le parfait contentement de nos âmes avec la totale et définitive pacification de nos désirs. Cette union (union mystique) est d’ailleurs à entendre dans un sens exclusivement moral, c’est-à-dire que l'âme, en s’attachant à Dieu par l’amour, ne fait qu’un avec lui par la parfaite conformité du vouloir, mais une conformité tellement parfaite qu’elle rejaillit jusqu'à la substance même de l'âme, qui adhère ainsi à Dieu par son fond ; à cause de quoi Gerson compare le rapport de l'âme avec Dieu dans l’union mystique à celui de la même âme avec la grâce sanctifiante (en tant que distincte des vertus) dans la justification. L’union mystique, enfin, ainsi définie, et par elle la théologie mystique elle-même, avec l’amour dont elle est l’expression, coïncide et s’identifie avec la prière parfaite ou prière par excellence, qui ne consiste pas en paroles, même imaginées ou intérieures, mais dans un suprême ravissement de la pensée et du cœur audessus d’eux-mêmes pour se perdre et s’absorber en Dieu, sursum corda… ad Dominum.

Voilà pour la partie spéculative de la théologie mystique. Gerson, en effet — et c’est une division qui lui appartient en propre — y distingue en outre une partie pratique, exposant les conditions et les moyens préparatoires (industrice) de la contemplation mystique. Ces induslriæ sont les suivantes : 1° attendre l’appel de Dieu ; 2° bien connaître son tempérament individuel ; 3° avoir égard à sa vocation et à son état ; 4° tendre sans cesse vers une perfection plus haute ; 5° éviter autant que possible la multiplicité des affaires et, en tout cas, ne pas se laisser absorber par elles ; 6° écarter tout vain désir de science (toute vaine curiosité) ; 7° se tenir bien calme et s’exercera la patience ; 8° connaître l’origine des affections et passions ; 9° choisir le temps et l’endroit qu’il faut ; 10° éviter toute exagération, soit en plus, soit en moins, dans le sommeil et la nourriture ; ll°s’entretenir dans les pensées qui excitent de pieuses affections ; 12° écarter de son esprit toutes les images (ce qui est par excellence modus simplificandi cor in medilationibus et producendi contemplationem).S>ciwab, op. cit., p. 325 sq. Les traités mystiques de Gerson se trouvent surtout dans le t. ni de ses œuvres (édition Ellies Dupin). Bien que dans ce résumé la science mystique telle qu’elle est exposée par notre docteur paraisse très complexe, cependant l’auteur désire que cette théologie soit mise en pratique par des personnes simples, sans lettres, idiolæ (expression que M. Jourdain a tort de traduire par idiots. Dictionnaire des sciences philosophiques, p. 613).

Ses guides préférés sont Alexandre de Halos et saint Bonaventure, dont il loue la doctrine mclliflua et ignea. Opéra, t. i, col. 117. Dans les grandes discussions sur la théologie mystique, qui ont eu lieu entre Bossuet et Fénelon, Gerson est souvent cité par Bossuet. L'évêque de Meaux combat comme lui Ruysbroeck, ainsi que certains autres mystiques qui emploient des enflures de style et des expressions exorbitantes ou délibérément obscures. Il se montre aussi avec lui l’adversaire de ceux qui s’en rapportent en tous points à leur expérience personnelle pour échapper au jugement de l'Église. Préface sur V Instruction pastorale de M. de Cambrai, xxv ; Préface sur les états d’oraison, ni et iv.