Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/428

Cette page n’a pas encore été corrigée
2087
2088
HEBREUX


rhétorique. Quant aux doctrines et aux idées, on a signalé la même manière d’interpréter symboliquement l’Ancien Testament, la même conception du monde visible et de ses rapports avec le monde invisible, les choses d’ici-bas ayant au ciel leur plan et leur modèle, les attributs du Fils de Dieu identiques aux attributs du Logos chez Philon. Toutefois, on ne peut pas dire que l’auteur de l’Épître soit un disciple de Philon et qu’il ait lu ses écrits : il ne connaît pas le Logos, il donne aux expressions communes un autre sens que Philon. On peut conclure seulement que l’auteur de l’Épître a subi l’influence de l’hellénisme, qu’il a emprunté des termes à sa langue et qu’il représente la théologie judéo-hellénistique plutôt que la théologie judéo-palestinienne. On ne peut pas même affirmer catégoriquement qu’il était un juif alexandrin, car ses tendances juives et ses procédés d’exégèse étaient répandus chez tous les juifs de la dispersion.

De ces divergences de style, de diction, de manière de traiter le sujet et de ces tendances hellénistiques, on conclut généralement la différence d’auteurs, ou au moins de rédacteurs. Cependant on a relevé même sous ce rapport, de nombreuses ressemblances entre l’Épître aux Hébreux et les lettres de saint Paul. Voir Heigl, op. cit., p. 73-92. On ne peut nier que les deux catégories d’écrits n’aient, au point de vue de la diction et du style, des éléments communs. Mais les caractéristiques propres de chacune d’elles ne se rencontrent chez l’autre qu’accidentellement, par exception, çà et là, en passant, et non pas d’une façon continue, de telle sorte que les deux styles demeurent foncièrement différents. Origène l’avait bien vu et il en concluait que si les pensées de l’Épître sont dignes de l’apôtre, le style n’est pas de lui. C’est la position que gardent les critiques catholiques contemporains. A leur sentiment, l’Épître aux Hébreux n’est pas directement paulinienne, n’ayant pas été composée par l’apôtre lui-même ; mais ils estiment qu’elle est l’œuvre d’un de ses disciples. Les critiques rationalistes vont plus loin. Joignant la différence de doctrine à la diversité du style, ils prétendent que l’auteur de l’Épître n’est pas un disciple strict de l’apôtre, mais un disciple qui a joint ses idées personnelles aux doctrines du maître et qui représente un paulinisme modéré ou secondaire, et qui est un juif helléniste, peut-être d’origine alexandrine, parce que plusieurs de ses doctrines et de ses expressions propres ressemblent à celles de Philon.

Le 24 juin 1914, la Commission biblique a publié une décision sur l’auteur, le mode et les circonstances de la composition de l’Épître aux Hébreux. Elle reconnaît d’abord que les doutes qui se sont produits dans les premiers siècles, en Occident, chez quelques esprits sur l’inspiration et l’origine paulinienne de cette Épître, principalement à cause de l’abus qu’en faisaient les hérétiques, n’ont pas une force telle, qu’en présence de l’affirmation perpétuelle, unanime et constante des Pères de l’Église orientale, à laquelle s’ajoute le plein consentement de toute l’Église d’Occident i le ive siècle, en considération des actes des souverains pontifes, des conciles, surtout du concile de Trente, et de l’usage perpétuel de l’Église universelle, il soi ! permis d’hésiter de la recenser, avec certitude, non ci lement au nombre des écrits canoniques — ce qui est défini de foi — mais même parmi les Épîtres authentiques de l’apôtre Paul. Elle déclare aussi que les arguments, tirés soit de l’absence insolite du nom de Paul et de l’omission de 1 exorde accoutumé et des salutations finales, soit de la pureté de la langue grecque, de l’élégance et de la perfection de kvdiction et du style, soit de la manière dont l’Ancien Testament et cité et dont les argumenis en sont décrits, soit de quelques prétendues différences de doctrine, ne sont |

pas capables d’infirmer en quelque manière l’origine paulinienne de cette Épître. Elle reconnaît plutôt que l’accord parfait de la doctrine et des idées, les ressemblances des admonitions et des exhortations et aussi l’accord des locutions et des mots eux-mêmes, accord reconnu même par plusieurs critiques non catholiques et constaté entre cette lettre et les autres écrits de l’apôtre des gentils, prouvent et confirment son origine paulinienne. Cependant, l’apôtre Paul n’est pas à considérer comme l’auteur de cette Épître au point qu’il soit nécessaire d’affirmer non seulement qu’il l’ait conçue et exprimée tout entière sous l’inspiration du Saint-Esprit, mais même qu’il lui ait donné la forme qu’elle a, salvo ulteriori Ecclesiæ judicio. Cf. Acta apostolicse sedis, Rome, 1914, t. vi, p. 417-418.

Ainsi donc la Commission biblique, tout en affirmant très catégoriquement l’origine paulinienne de l’Épître aux Hébreux, admet que Paul n’en est pas l’auteur au même titre que de ses autres lettres. L’Épître n’a pas nécessairement été entièrement conçue et rédigée par lui ; quelque autre personnage y a ajouté du sien sous l’inspiration divine, et lui a donné sa forme actuelle. La troisième réponse de la Commission biblique autorise, en termes généraux et un peu voilés, peut-être à dessein, les opinions émises par les critiques catholiques sur la rédaction de l’Épître aux Hébreux. Elle reconnaît équivalemment ce qu’on peut appeler l’authenticité paulinienne indirecte de cette Épître, puisqu’un autre que l’apôtre a pu y ajouter pour le fond et lui donner la forme actuelle. Elle adopte ainsi les vues qu’avait déjà exposées Origène, en unissant la critique à la tradition. Cf. L. Méchineau, L’Epistola agli Ebrei secondo le risposte délia Commissionc biblica, dans La Civiltà catholica. 1916, t. i, p. 271284, 665-679 ; t. ii, p. 156-169, 529-545 ; t. iii, p. 1324, 271-282, 532-546 ; t.iv, p. 21-34, 277-287, ^28-539 ; 1917, t. i. p. 161-174, 407-420, 663-677 ; t. ii, p. 143156 ; 480-493 ; Nit. iii, p. 45-57, 311-320.

IIIAUTEURS OU RÉDACTEURS DIFFÉRENTS AUXQUELS

ON A attribué L’ÉPÎTRE. — 1° Dès l’antiquité. — 1. Saint Luc.

Clément d’Alexandrie pensait que l’évangéliste avait traduit en grec la lettre écrite par Paul en hébreu, pour une raison critique, à cause de la ressemblance du style de l’Épître avec le style de saint Luc. Pour la même raison, quelques critiques modernes ont pensé que Luc était l’auteur de la lettre aux Hébreux. Ainsi, parmi les catholiques, Hug, Dôllinger, Zill, Huyghe, et parmi les protestants, Stier, Ébrard, Delitzsch, Belsheim. Il est certain que le style de saint Luc est plus pur que celui des autres évangélistes. Westcott, op. cit., p. xxviii, a relevé 19 mots ou constructions dont la fréquence dans les Actes caractérise le style de cet écrivain et qu’on retrouve dans l’Épître aux Hébreux. Mais ces ressemblances n’ont rien de frappant ni de décisif ; elles ne sont ni caractéristiques ni individuelles, et elles peuvent s’expliquer par le fait que saint Luc est, lui aussi, un disciple de Paul qui écrit le grec littéraire. Saint Luc, il est vrai, a accompagné saint Paul à Rome et a connu Timothée ; mais on n’en peut conclure qu’il a rédigé à Rome une lettre où il est incidemment parlé de Timothée. Le séjour à Rome n’est qu’une simple coïncidence qui confirmerait l’attribution de l’Épître à saint Luc, si elle était prouvée par ailleurs, mais qui ne la prouve pas. L’attribution à saint Luc est exclue par cette considération que Luc, païen converti, ne pouvait guère connaître à fond le rituel mosaïque du temple de Jérusalem, comme le connaît l’auteur de l’Épître, ni prendre tant d’intérêt à des observances cérémonielles qui étaient sans valeur à ses yeux, à moins qu’il ne le fît au nom de Paul, qui les connaissait, lui, et qui, tout en les tenant pour abrogées, s^en servait pour confirmer dans leur foi les chrétiens de Jérusalem, venus du judaïsme.