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HASARD

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azzardo. L’étymologic du mot est incertaine. Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, 1874, t. il, p. 1088, dit que « beaucoup d’étymologies ont été proposées, toutes dénuées de preuves ; la plus plausible est celle de M. Mann : arabe sehar et sâr, dé, et avec l’article al, assahar, assar. Mais en l’absence de tout renseignement, il n’y a aucune raison pour rejeter l’opinion de Guillaume de Tyr…, à savoir que le hasard est une sorte de jeu de dés, et que ce jeu fut trouvé pendant le siège d’un château de Syrie nommé Hasart, et prit le nom de cette localité. On remarquera que Guillaume de Tyr est du temps des croisades et a vécu dans les lieux où elles se sont faites ; on remarquera en outre que, primitivement, hasard signifie non pas dé en général, ce à quoi s’appliquerait l’étymologie de M. Malin, mais un certain jeu de dés qui put mieux recevoir une dénomination accidentelle qu’une dénomination générale. Dans tous les cas, on voit par l’historique que le sens primitif de hasard est un certain jeu de dés, de sorte que c’est le hasard jeu de dés qui a dénommé le hasard, chance, événement fortuit, et non l’événement fortuit qui a dénommé les jeux qui se jouent sans calcul. »

Dans la langue grecque, le hasard fut d’abord désigné par deux mots qui eurent la même signification tuyï] et aÙToiiocTov. Mais « le premier, qui était le plus usité dans la langue commune, ne tarda pas à se modifier. Il fut presque tout de suite, comme tous les mots qui intéressent la destinée humaine, accompagné de deux qualificatifs qui se placent comme aux deux pôles de la vie de l’homme : heureux ou malheureux. » H. Piéron, Essai sur le hasard : la psychologie d’un concept, dans la Revue de métaphysique et de morale, t. x, p. 68. Et enfin, la tendance optimiste des Grecs le fixa dans un sens tellement précis et tellement exclusif qu’il ne signifia plus que la bonne fortune. On en trouverait une preuve excellente dans ce fait que la déesse T-jy/i, qui n’est que la forme déifiée du concept, représente surtout, et on peut dire uniquement, la Bonne Fortune. Quant au terme de ajTO|j.aTov, il ne sortit pour ainsi dire pas du vocabulaire philosophique, qui le protégeait contre les déformations populaires : il « continua de signifier le hasard dans toute son indifférence. » H. Piéron, loc. cit., p. 68.

Le latin possède aussi deux mots, casus et fortuna, qui correspondent assez exactement aux mots grecs otÙToij.aTov et tj/7]. On retrouve dans les deux langues à peu près la même différence. La tj/jo des Grecs et la fortuna des Latins n’avaient qu’une application restreinte : on ne les employait que dans les choses humaines et là où la volonté libre a sa part ; fortuna non est nisi in his quse voluntaric agunt ; inde est quod neque inanimatum neque puer neque beslia, cum non ayant voluntarie quasi liberum arbitrium non habentes, agunt a fortuna. S. Thomas, Phys., 1. X, lect. x. On peut remarquer du reste que, dans la langue latine par exemple, le mot fortuna et le qualificatif fortunatus sont restés très fidèles à cette signification. On dit : audaces fortuna juvat et o fortunalos nimium ; on les appliquerait moins bien à des objets inanimés. Le hasard, désigné en grec par aÙTo ; j.a- : ov et en latin par casus, s’étendait même aux choses naturelles. Son domaine était clone beaucoup plus vaste que celui de la fortune ; Aristote le considérait comme un genre dont la fortune ne serait qu’une espèce : casus est in plus quam fortuna, quia omne quod est a fortuna est a casu, sed non convertitur. S. Thomas, loc. cit.

II. Définition.

Le hasard peut se définir une rencontre, utile pour nous ou intéressante, de deux causes ou de deux séries de causes indépendantes. Il y a donc trois idées qui entrent dans la définition du hasard.

1° La première est celle de l’indépendance des

causes, qui est le fondement même ou la base de la définition. « Il faut, pour bien s’entendre, dit A. Cournot, s’attacher exclusivement à ce qu’il y a de fondamental et de catégorique dans la notion du hasard, savoir, à l’idée de l’indépendance ou de la non-solidarité entre diverses séries de causes. » Essai sur les fondements de nos connaissances, Paris, 1851, t. i, p. 56. On trouve, en effet, des causes ou des séries de causes qui sont solidaires ou qui s’influencent les unes les autres : on ne dira point que l’effet qui résulte de cette solidarité ou de cette influence réciproque soit un effet du hasard. Mais il y a des causes ou des séries de causes indépendantes, « c’est-à-dire qui se développent parallèlement ou consécutivement, sans avoir les unes sur les autres la moindre influence. » A. Cournot, loc. cit., p. 59. Ainsi un fossoyeur, en creusant la terre, trouve un trésor : ulpote si fossurse sepulcri adjungatur per accidens invenlio thesauri. S, Thomas, loc. cit., lect. vin. Une telle trouvaille est un résultat du hasard, parce qu’elle provient de deux causes qui sont totalement indépendantes l’une de l’autre : il n’y a, en effet, aucune liaison entre les causes qui ont amené l’avare à cacher là son trésor et celles qui ont amené le fossoyeur à creuser la terre justement à l’endroit où l’avare avait enseveli ses richesses. Cournot donne cet exemple contraire. Un homme, surpris par l’orage, se réfugie sous un arbre isolé et y est frappé de la foudre. Cet accident n’est pas purement fortuit ; car la physique nous apprend que le fluide électrique a une tendance à se décharger sur les cimes des arbres comme sur toutes les pointes. Il y avait donc une raison pour que l’homme, ignorant des principes de la physique, courût à l’arbre isolé comme à un abri, et il y en avait une autre, tirée aussi de la forme de l’arbre et de son isolement, pour que la foudre vînt le chercher précisément à cette place. Au contraire, si l’homme avait été frappé au milieu d’une prairie ou d’une forêt, l’événement serait fortuit, parce qu’il n’y aurait aucune liaison entre les causes qui l’ont amené sur le lieu de l’accident et celles qui font que la foudre s’y rencontre en même temps que lui.

2° Mais l’idée de l’indépendance des causes n’épuise pas toute la définition du hasard ; et tout en étant « ce qu’il y a de fondamental et de catégorique » dans cette définition, elle n’en est cependant, si l’on peut ainsi dire, que l’élément négatif. Il y a quelque chose de réel et de positif dans le hasard : c’est le concours ou larencontre des causes indépendantes. « Pour moi, dit Jean La Placette, je suis persuadé que le hasard renferme quelque chose de réel et de positif, un concours de deux ou plusieurs événements contingents, chacun desquels a ses causes, mais en sorte que leur concours n’en a aucune que l’on connaisse. Je suis fort trompé, si ce n’est là ce qu’on entend lorsqu’on parle du hasard. » Traite des jeux de hasard, La Haye, 1714, Préface, p. iv. « Deux séries de faits absolument indépendants l’un de l’autre, dit P. Janet, sont arrivées à coïncider l’une avec l’autre et à tomber d’accord, sans aucune influence respective. Ce genre de coïncidence est ce que l’on appelle le hasard…. Le hasard est la rencontre des causes ; il est un rapport tout extérieur, mais qui n’en est pas moins réel entre des phénomènes indépendants. » Les causes finales, Paris, 1876, p. 25. Voir également S. François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, 1. II, c. iii, Œuvres complètes, Paris, 1839, t. iv, p. 218 : « Ces cas fortuits se font par la concurrence de plusieurs causes, lesquelles n’ayant point de naturelle alliance les unes aux autres, produisent une chacune son effet particulier, en telle sorte néanmoins que de leur rencontre réussit un autre effet d’autre nature, auquel, sans qu’on l’ait pu prévoir, toutes ces causes différentes ont contribué. » L’histoire des sciences confirme cette définition du hasard.