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HABITUDINAIRES


avec l’affection au péché, on ne peut prétendre que l’habitude soit, par elle-même, opposée à une sincère détestation du péché. N’est-il pas d’expérience que certaines choses que l’on fait très facilement par l’effet de l’habitude, deviennent non pas plus agréables, mais plus fastidieuses, à mesure qu’on les accomplit plus facilement par l’effet de l’habitude acquise ? par exemple, la lecture, le chant, la peinture, la musique instrumentale, la couture, le tricotage, etc., car assueta vilescunt. L’attachement à une chose ne croît donc pas en proportion de la facilité qu’on acquiert à l’accomplir. Très souvent, au contraire, c’est le dégoût qui grandit en proportion.

Cette remarque vise l’assertion trop chère à plusieurs théologiens que pravus habitus reddit pcccalorem propensiorem ad peccandum. Ce n’est pas toujours exact, en effet, car s’il résulte de l’habitude une certaine inclination physique à l’acte matériel du péché, il n’en résulte pas toujours une égale inclination morale au mal, La chose est évidente pour certains péchés dont l’acte devient extrêmement facile par l’habitude, et qui, cependant, ne renferment en eux rien qui paraisse désirable ou délectable : par exemple, les imprécations, les blasphèmes, etc. Il arrive alors que ces actes échappent fréquemment à l’inadvertance du pécheur malgré la ferme volonté qu’il a de les éviter. Ici, par conséquent, l’habitude qui dégénère en facilité extrême n’est pas une preuve que l’habitudinaire ne déteste réellement ces actes, qu’il lui arrive si souvent encore de poser, mais comme machinalement et malgré lui. Il n’y a donc dans cette propension extrême à l’acte du péché aucune attache au péché, rien qui s’oppjse à la vraie détestation de la faute, ni rien qui puisse faire douter des bonnes dispositions et de la ferme volonté du pécheur de revenir sincèrement à Dieu. L’habitude physique, ou la propension qui en résulte, persiste ordinairement, même après la conversion de celui qui est vraiment repentant. Pour changer le cœur et la volonté, il ne faut qu’un instant à la grâce ; mais, pour déraciner une habitude invétérée, à moins d’un miracle, il faut toute une série d’actes contraires, répétés pendant plus ou moins de temps, suivant que l’habitude est plus profonde et plus ancienne.

Si l’on considérait toujours cette propension au mal comme une preuve de manque de ferme propos, il semble qu’on devrait douter des bonnes dispositions de n’importe quel pénitent, vu l’existence de la concupiscence chez tous, depuis la chute originelle, car, selon ce que dit l’Écriture sainte elle-même, sensus enim et cogitalio humani cordis in malum prona sunt ab adolescentia sua. Gen., viii, 21.

On ne saurait donc admettre indistinctement que la facilité pour l’acte du péché, résultant de ce que ce péché a été commis trois ou quatre fois, doive faire douter des dispositions du pénitent que l’on considérait pour cela comme habitudinaire. De fait, lorsque les anciens théologiens parlent d’une habitude mauvaise comme d’une preuve du manque de disposition pour l’absolution, ils parlent d’une habitude tellement invétérée et profonde, qu’elle est passée à l’état de seconde nature : quod autem queepiam facilitas, quw. ex actu ter qualerve repetito, forte potentise accedere fingatur, sit judicinm anirni minus disposili, vel indispositionis suspectionem debcat injiccre, vel inducat indisposilionem, sunt inventa, ne dicam commenta, ridicula, quse veteribus universis plane incompcrla fuerunt. Palmieri, Opus theologicum morale, tr. X, De sacramentis, sect. v, De pœnilentia, c. i, dub. ii, n. 218, 5° ; n. 261, p. v, p. 121-144. Saint Alphonse reconnaît aussi qu’une propension au péché, cnez l’habitudinaire, n’est pas une preuve de manque de dispositions actuelles, mais qu’on doit le supposer bien disposé,

à moins qu’on ait quelque signe positif du contraire : nisi obslet aliqua positiva præsumptio in contrarium ; nain licet pravus habitus reddat peccalorem propensiorem ad peccatum (ad aclum peccati), non tamen dal præsumptionem suæ infirmée voluntatis. Theologia moralis, 1. VI, tr. IV, De sacramento pœnitentiæ, c. i, dub. ii, § 2, n. 459, t. iii, p. 467.

II. De l’absolution des habitudinaires. — 1° En restreignant le sens du mot habitudinaire au pécheur qui, ayant contracté l’habitude de pécher, s’en confesse pour la première fois, la doctrine communément admise, et rappelée par saint Alphonse, est qu’on peut absoudre ces habitudinaires, même s’il n’y a eu aucun amendement avant la confession, pourvu qu’ils se proposent sérieusement de se corriger. Theologia moralis, loc. cit., n. 459, t. iii, p. 467. Lacroix affirme aussi que c’est l’opinion commune. Theologia moralis, 1. VI, n. 1820, 3 in-fol., Venise, 1710-1750. En effet, on ne doit pas supposer le pénitent tellement mal disposé, qu’il veuille, de gaîté de cœur, profaner le sacrement ; d’autre part, il y a des raisons de le supposer bien disposé, car la confession spontanée qu’il fait de ses fautes est un signe de contrition, à moins qu’il ne conste du contraire. Dolor seu conlritio per confessionem manifeslatur, selon un axiome généralement reçu. Cf. Salmanticenses, Cursus theologiæ moralis, tr. XVII, De juramento, c. ii, p. ix, § 3 n. 168-170, t. iv, p. 201 sq. ; Suarez, De religione, tr. V, 1. III, c. viii, Opéra omnia, t. xiv, p. 694 sq. A l’appui de cette thèse, saint Alphonse apporte le texte du Catéchisme du concile de Trente, De sacramento pœnitentiæ, n. 60 : Si, audita confessione, judicaverit (sacerdos) neque in enumerandis peccatis diligentiam, nec in detestandis dolorem pœnilenli omnino defuissc, absolvi polcrit. Et le saint docteur appelle l’attention du lecteur sur ces mots, omnino defuisse. Ce texte du Catéchisme romain est d’autant plus frappant qu’il n’entend point parler de l’habitudinaire qui se confesse pour la première fois : ce texte s’applique donc a fortiori à celui-ci.

Il n’est donc pas nécessaire que le pénitent, avant de recevoir l’absolution, ait montré la sincérité de sa conversion, en restant un temps relativement long sans commettre cette faute dont il a l’habitude, ainsi que le prétendaient les auteurs rigides, plus ou moins apparentés au jansénisme, qui perd les âmes sous le fallacieux prétexte d’assurer aux sacrements le respect qui leur est dû. Qui morlaliter peccarunt ex consuetudine, dit Juenin, non debent absolvi, nisi multo, ad viri prudenlis judicium, tempore, conversionem operibus probaverint… Toti anliquitati persuasum fuit conirilionem non esse diei unius opus, sed multorum mensium, imo et nonnunquam annorum… Commentarius historicus et dogmalicus de sacramentis in génère et in specie. diss. VI, q. vii, c. iv, a. 7, n. 1, in-fol., Lyon, 1696 ; Venise, 1778. Il dit, ailleurs, qu’on doit suivre la même règle, par rapport à la longueur de l’épreuve avant l’absolution, même si le pénitent n’a péché qu’une fois, semel, quand il s’agit de fautes particulièrement graves : eliamsi pœnitens semel patraverit aliquod énorme peccatum, ut perjurium, adultcrium, homicidium, et similia. Inslilutiones theologicæ. De psenitentia, q. vi, c. v, a. 2, concl. 2° ; Commentar. de sacramentis, loc. cit., a. 7.

Que toute l’antiquité chrétienne ait ainsi pensé, loti anliquitati persuasum fuit, c’est faux, comme il est facile de le prouver par le témoignage d’une foule de saints docteurs, en particulier de saint Jean Chrysostome, dont nous rapportons plus bas les paroles. P. G., t. lxi, col. 502.

Les rigides comme Juenin, dont saint Alphonse trouve la rigueur intolérable, étaient de singuliers médecins spirituels, réservant pour ceux qui se por-