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sévère. Il extrayait des ouvrages imprimés (Analysis orationis mentalis ; Moyen court et très facile de faire oraison ; Règle des associes à l’enfance de Jésus ; Le (’.indique dis cantiques de Salomon, interprété selon le sens mystique), et aussi du manuscrit intitulé : les Torrents, soixante-trois propositions qui lui arrachèrent ce cri d’effroi : « Quelle doctrine ! que ne doit-on pas craindre de ces prodigieuses maximes, et des conséquences horribles qu’on en peut tirer ! » Godet Des Marais y reconnaissait quelques-unes des erreurs déjà condamnées dans Molinos par le pape Innocent XI.

Nous retrouverons M me Guyon encore captive en 1696. Entre temps, elle devenait l’occasion d’une rupture et d’une controverse mémorables entre Bossuet et Fénelon. Immédiatement après les conférences d’Issy, Bossuet travailla à son Instruction sur les états d’oraison ; il comptait que l’approbation de l’archevêque de Cambrai ne lui manquerait pas plus que celles de Noailles, devenu archevêque de Paris, et de Godet Des Marais. Mais outre que Fénelon répugnait à approuver les réserves de Bossuet sur le motif spécifique de la charité et sur l’oraison passive, l’évêque de Meaux, dans son Instruction, combattait directement M me Guyon. « Plusieurs croiront, dit-il, que ces livres (les livres quiétistes) ne méritaient que du mépris, surtout celui qui a pour auteur François Malaval, un laïque sans théologie, et les deux qui sont composés par une femme, comme sont le Moyen court et facile et Y Interprétation sur le Cantique des cantiques.. Ces livres, quoique j’en avoue le peu de mérite, ne sont pas écrits sans artifice, etc. Ceux qui sont composés par une femme sont ceux qui ont le plus piqué la curiosité et le plus ébloui le monde ; encore qu’elle en ait souscrit la condamnation, ils ne laissent pas de courir et de susciter des discussions en beaucoup de lieux d’où il nous en vient de sérieux avis… L’Église a eu dès son origine des femmes qui se disaient prophétesses, et les apôtres n’ont pas dédaigné de les noter. Ceux qui ont réfuté Montan n’ont pas oublié dans leurs écrits ses prophétesses. » Traité 7 er, 1. I, n. 10, 11. Fénelon ne voulut pas s’associer au blâme prononcé avec tant d’éclat contre M me Guyon. Bossuet fut profondément blessé de ce refus. « Quoi donc 1 il va paraître, dit Bossuet dans sa Relation sur le quiétisme, sect. iii, 17, que c’est pour soutenir M me Guyon que M. de Cambrai se désunit d’avec ses confrères ! Tout le monde va donc voir qu’il en est le protecteur 1° Fénelon répondit qu’il n’était pas le protecteur, mais l’ami de M m0 Guyon, l’interprète de ses sentiments qu’il connaissait, et non le défenseur d’un langage dont il réprouvait les inexactitudes ; que, de l’aveu de l’archevêque de Paris et de l’évêque de Chartres, il lui suffisait de rendre compte à l’Église de sa foi. L’archevêque de Cambrai s’engageait ainsi à composer le livre qu’il intitula : Explication des maximes des saints sur la vie intérieure.

Cet ouvrage, achevé d’imprimer le 25 janvier 1697, parut un mois avant celui de Bossuet, surpris et mécontent d’une hâte qu’on a attribuée au zèle indiscret du duc de Chevreuse. Nous n’avons pas à retracer ici l’histoire d’une controverse fameuse. « Bossuet avait raison, a dit M. Maurice Masson, Fénelon et M me Guyon, Introduction, p. lxiv, quand il groupait dans sa Relation tous les épisodes de la bataille autour de M me Guyon… C’est elle, disait-il, qui fait le fond de l’affaire. » Relation sur le quiétisme, sect. il, 57. C’est elle que Bossuet vise et que — disons le mot — Bossuet veut décrier. « Il faut prévenir les fidèles contre une séduction qui subsiste encore : une femme qui est capable de tromper les âmes par de telles illusions, doit être connue…, » ibid. ; et pour qu’elle soit mieux connue il rapporte, avec la verve et l’ironie puissante d’un maître, les étrangetés, paroles et actes, de la prophétesse. C’est M me Guyon aussi que défend Fénelon dans

sa Réponse, si fine et si éloquente. En vain, il paraît se détacher d’elle : « Laissez-la, écrivait-il à M me de Maintenon, avec une feinte indifférence, laissez-la mourir en prison. Je suis content qu’elle y meure, que nous ne la voyions jamais et que nous n’entendions jamais parler d’elle. » Lettre du 7 mars 1696. Il ne la revit plus, en effet, mais ils ne s’oublièrent pas. « Si l’on en croit M. Gosselin, qui avait sans doute en main les preuves de son affirmation, dit M. Maurice Masson, c’aurait été M. Dupuy, l’ancien gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne, disgracié lui aussi en 1698, qui servait d’intermédiaire entre les deux amis… Ce fut même par son entremise que Fénelon et ses amis intimes continuèrent, après la conclusion de l’affaire du quiétisme, d’entretenir avec M me Guyon une correspondance fondée sur une mutuelle estime. » Fénelon et M me Guyon, Introduction, p. lxvii, lxviii. M m0 Guyon avait lu « avec respect et admiration » le livre des Maximes des saints. « Tout en gros, je le crois très bon, et que les crieries viennent de l’ennemi de la vérité… « Lettre inédile à… de 1697, 1 er recueil Chevreuse, dans Fénelon et A/ me Guyon, Introduction, p. lvii.

Elle était restée enfermée à Vincennes jusqu’au 16 octobre 1696 ; après des hésitations et des résistances, elle avait consenti à souscrire un projet de soumission, rédigé d’abord par Fénelon, mais rectifié et complété par Tronson ; elle y avouait les erreurs contenues dans ses livres, et promettait de se conformer à l’avenir à la conduite et aux règles que l’archevêque de Paris voudra bien lui prescrire (28 août 1696). Elle fut reléguée à Vaugirard, dans une petite maison, sous une surveillance étroite : « On serait tenté de croire, par une lettre de M me de Maintenon au cardinal de Noailles, dit Bausset, que Bossuet avait vu avec peine ce faible adoucissement accordé à M me Guyon. » Lettre de M me de Maintenon, Lavallée, 428. Le passé de la prophétesse lui faisait regretter que, libre, elle ne reprît une propagande quiétiste, et le spectacle des désordres dont sa province natale était alors le théâtre, augmentait encore ses craintes. H. Chérot, Le » quiétisme en Bourgogne et à Paris en 1698, Paris, 1901. De là ce parti pris de rigueur injuste et inutile, qui afflige et qui étonne chez Bossuet. M me de Maintenon avait raison contre Bossuet, quand elle écrivait à son archevêque : « Je crois qu’il est de mon devoir de dégoûter des actes violents le plus qu’il est possible » (23 septembre 1696). Son tort fut de ne pas mettre d’accord avec sa raison le pouvoir dont elle disposait.

Exilée dans une terre de sa fille qui allait devenir duchesse de Béthune, M me Guyon fut enfin autorisée à se retirer à Blois et s’y éteignit à l’âge de soixante-dix neuf ans, le 9 juin 1717. « Au moment de mourir, elle fit un testament, à la tête duquel elle inscrivit sa profession de foi, qui atteste la sincérité de ses sentiments en matière de religion et l’innocence de ses mœurs, malgré toutes les calomnies dont elle avait été la victime. » Bausset, Histoire de Fénelon, I. III, 89. Nous n’avons pas contesté ses vertus ; nous ne contesterons pas davantage la sincérité de sa foi, mais cette foi n’excluait pas l’illuminisme ni l’infatuation de l’esprit propre. M me Guyon avait une confiance obstinée en ses lumières. « Je portais à mon fond, a-t-elle écrit, un instinct de jugement juste qui ne me trompait jamais. » Et à cette confiance en elle-même se joignant « des phénomènes bizarres et extraordinaires >. Gombault, Madame Guyon U le quiétisme, p. 45. « Je sentais en moi une telle autorité sur les démons qu’il me semblait que je les aurais fait fuir en enfer. Le démon n’osait pas m’attaquer moi-même : il me craignait trop. » Et cette femme, humble sans doute dans son fond, nous apparaît comme atteinte d’une véritable mégalomanie religieuse ; elle se croit investie, dans l’Église, d’une mission que sainte Thérèse ni