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1999
2000
GUYON


n. 5. Toujours, il vit en elle une sainte qu’on opprimait, lettre à Chantérac, 8 décembre 1697. Cette persistante sympathie pour M me Guyon, cette haute idée des lumières qu’une vie qui semblait perdue en Dieu lui avait procurées, sont attestées par des œuvres d’une indéniable authenticité. Mais le recueil de lettres attribuées à M me Guyon et à Fénelon par le pasteur vaudois Philippe Dutoit, et publiées en 1767-1768, nous apprend autre chose encore. Sont-elles authentiques ? M. Maurice Masson, professeur à l’université de Fribourg (Suisse), qui les édita en 1907, précédées d’une longue et suggestive introduction, n’hésite pas à l’affirmer. Sans doute, les originaux ont disparu, niais les preuves qu’il apporte ont paru convaincantes à des esprits versés dans l’histoire et dans la littérature féneloniennes. Aux répugnances, aux dénégations de M. Gosselin. qui n’y retrouvait ni le style ni les idées de l’archevêque de Cambrai, M. Maurice Masson répond : « Le lecteur judicieux jugera. C’est à lui de sentir si ces lettres qu’on prétend apocryphes et les pages les plus authentiques de Fénelon, que j’ai cru devoir en rapprocher, n’ont pas entre elles une évidente parenté, parfois même une presque identité de pensée et d’expression. La meilleure, ou du moins la plus complète démonstration d’authenticité sera donc la lecture même de cette correspondance : les notes et références, qui soulignent le texte par le menu, apporteront pour la plupart des faits, des idées et des mots, la confirmation de ceux-là mêmes à qui les lettres sont adressées. » Fénelon et M me Guyon, Introduction, p.xix, xx. Or, non seulement Fénelon reçoit dans ces lettres une véritable direction, mais il accepte la confidence de songes étranges, de chimériques espérances, le tout exprimé dans un langage enfantin ; il se prête à ces mièvreries, à ces rêves. « Il faudrait une extrême’ingénuité, dit M. Maurice Masson, pour prendre au sérieux ces enfantillages mystiques et le cri de ralliement : Heureux les fous ! Il serait plus qu’injuste d’abuser de quelques couplets de Gascon (allusion aux vers puérils qu’échangent les deux correspondants ; il y a là cependant de Fénelon quelques strophes légères et dansantes) pour décrier un très grand esprit. » Fénelon et M me Guyon, p. xc.i. Certes, Fénelon demeure grand par son génie, par ses vertus, par ses malheurs, par son dévouement sans réserve à la France envahie, durant la guerre de la succession d’Espagne ; par la lutte infatigable que soutint son zèle perspicace contre le jansénisme, précurseur et inconscient promoteur de l’incrédulité prochaine ; mais l’influence exercée par M me Guyon sur Fénelon nous semble un très regrettable épisode dans cette glorieuse existence. « En exaspérant chez lui le conflit de l’homme purement homme et du chrétien, ou, si l’on veut encore, de l’homme naturel et de l’homme intérieur, a-t-on dit, en creusant cette conscience par la doule ::r, en lui révélant ainsi à lui-même des puissances insoupçonnées de vertu et de corruption, elle (M me Guyon) a assoupli et nuancé une âme déjà très riche et très dherse. » Fénelon et M me Guyon, Introduction, p. xcv. C’est possible ; mais pour arriver si haut, était-il nécessaire que Fénelon passât par des voies étranges, par des voies bizarres ; était-il nécessaire que, sous prétexte de défendre et, pour ainsi dire, de remparer la doctrine du pur amour, il donnât dans l’erreur d’un quiétisme raffiné ? On n’a pas prouvé que « de celui qui, sans elle, n’aurait été qu’un homme « d’esprit, cette demi-sainte, demi-folle a fait un type « d’humanité. » A un point de vue plus général, au point de vue du développement de la doctrine, plusieurs n’ont pas regretté la controverse que provoquèrent les idées de M me Guyon « Avant l’effort de Fénelon pour systématiser la science mystique, dit le P. Gratry, non sans quelque exagération, les écrits des plus saints auteurs renfermaient sur ce point des inexactitudes,

non d’intention mais d’expression, de sorte que le point principal de la théologie mystique, dernier mot de la vraie sagesse, fut alors, et alors seulement, défini et lixé. » Connaissance de Dieu, part. I, c. vii, Fénelon.

De crainte qu’on n’en abusât, Fénelon n’avait point voulu que les manuscrits de M me Guyon, qui circulaient librement à Saint-Cyr, fussent communiqués au dehors ; l’évêque de Chartres, Godet Des Marais, en eut cependant connaissance parM me de LaMaisonfort. Ce prélat, homme d’une haute vertu, « fort savant et surtout profond théologien » (ainsi parle Saint-Simon, qui d’ailleurs se plaît à le rabaisser), prémunit M me de Maintenon qu’il dirigeait, contre une doctrine qui « invitait à cette liberté des enfants de Dieu dont on ne se servait que pour ne s’assujettir à rien. » Alarmée, M me de Maintenon consulta des hommes d’une autorité incontestable : Tronson, le maître de Fénelon, qui regarda comme suspects les écrits de M rae Guyon, et Bourdaloue. dont la réponse atteste une rare connaissance des âmes et particulièrement des âmes de son siècle. « Fénelon, dit Bausset, voyait sans s’étonner, et presque sans s’en apercevoir, un orage se former contre lui. » Bossuet était encore à ses yeux le maître par excellence ; il conseilla à M me Guyon de confier à l’évêque de Meaux ses écrits les plus secrets, et de se soumettre à sa décision. M me Guyon communiqua à Bossuet le manuscrit où elle exposait sa doctrine, les grâces insignes qu’elle disait avoir reçues, ses prophéties et ses visions. Bossuet lut cette Vie écrite parelle-même dont, avec une ironie grave qui éclate parfois, il cite des fragments dans sa Relation sur le quiétisme (Fénelon déclare n’avoir fait de ces écrits qu’une lecture rapide et incomplète). Après avoir tout examiné, l’évêque de Meaux eut avec M me Guyon un long entretien à Paris chez les religieuses du Saint-Sacrement de la rue Cassette ; il essaya de rectifier ses idées, et la jugeant sincère, « plus digne de pitié que de censure, » dit Bausset, il l’admit à sa messe et la communia de sa propre main. Pour vaincre les résistances de M me Guyon, il lui adressa (mars 1694) une lettre doctrinale dont le ton est paternel. « Je vous dirai, écrivait-il, que la première chose dont il me paraît que vous devez vous purifier, c’est de ces grands sentiments que vous marquez de vous-même… Déposez donc tout cela… d’autant plus que l’endroit où vous dites : « Ce que je lierai « sera délié, » est d’un excès insupportable… Je mets encore dans le rang des choses que vous devez déposer toutes prédictions, visions, miracles et, en un mot, toutes choses extraordinaires, quelque ordinaires que vous vous les figuriez dans certains états… » C’est surtout le quiétisme de M me Guyon, cette doctrine qui exclut la prière de demande et l’action de grâces, qui, par une pente logique, conduit l’âme à une contemplation oisive, ce sont ces raffinements d’une piété sans règle, qui effraient l’inflexible théologien. « Je n’ai trouvé ni Écriture, ni tradition, ni exemple, ni personne, qui osât dire ouvertement : En cet état (l’état des parfaits) ceserait une demande propriétaire et intéressée, de demander pour soi quelque chose, si bonne qu’elle fût, à moins d’y être poussé par un mouvement particulier ; et la commune révélation, le commandement commun fait à tous les chrétiens ne suffit pas. Une telle proposition est de celles qui ne laissent rien à examiner, et qui portent leur condamnation dans les termes. » L’évêque tire du fond de sa conscience la déclaration suivante, qui explique d’avance la conduite qu’il tiendra dans l’affaire du quiétisme, et, quels que doivent être certains excès de sa polémique, en découvre le vrai motif. « J’écris sous les yeux de Dieu, mot à mot comme je crois l’entendre de lui par la voix de la tradition et de l’Écriture, avec une entière confiance que je dis la vérité. » Et il ajoute, avec un indéniable accent de charité : o Je vous permets néanmoins de vous expli-