Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/377

Cette page n’a pas encore été corrigée
1935
1986
GUILLELMITES


été « la source de toutes les inexactitudes, que les historiens se sont transmises les uns aux autres, en augmentant la dose. » De là probablement, de certaines expressions de la bulle — conventicula faciunt nocturna, cfficaciores Mas orationes affirmant qux a nudatis tolo corpore ofjcruntur, mulieres invicem se desponsant, marcs midi hujusmodi seclie damnalse feminas antecedunt — est venue l’imputation de rites obscènes que la secte aurait pratiqués dans les souterrains d’une église. Elle se lit dans les historiens, depuis Donat Bosso, le vieux chroniqueur milanais (1492), jusqu’à Bzovius, Annal, eccles., an. 1300, n. 12, et Sponde, Annal, eccles., an. 1300, n. 10, et a été reproduite par G. Giulini, Memorie spettanti alla storia, al governo cd alla descrizione délia cittàe campagna di Milano, édit. M. Fabi, Milan, 1855, t. iv, p. 670. C’est une pure légende, qui fut démolie, au xviie siècle, par l’archiprètre J.-P. Puricelli, dans une étude restée inédite, mais utilisée par Muratori.’Giulini lui-même, Tiraboschi, Tamburini, Cafïî, etc. Puricelli s’était placé sur le vrai terrain ; il avait demandé la connaissance des guillelmites aux actes du procès que l’Inquisition dirigea contre eux. F. Tocco, qui a publié ces actes, confirme la thèse de Puricelli. Les interrogatoires des prévenus, remarque-t-il, ne portent pas trace de cette accusation. Les inquisiteurs ne posèrent pas une seule question là-dessus ; ils n’auraient pas manqué de le l’aire s’il y avait eu lieu. Tout ce qu’il y a de vrai dans la légende, c’est qu’une des guillelmites réunit chez elle, en l’absence et à l’insu de son mari, dans un banquet commémoratif, les adhérents de Guillelma. L’imagination des écrivains, excitée sans doute par quelques passages de la bulle de Boniface VIII, a brodé le reste sur le type des « nouvelles » de Boccace. Cf. Tocco, Guglielma boema, p. 22-23.

Cette fable éliminée, l’essence du guillelmitisme est indiquée ainsi par Jean XXII, bulle Dudum ad nostri aposlolatus, du 23 mars 1324, dans Baynaldi, Annal, eccles., an. 1324, n. 9 : Manfreda… in persona cujusdam, qux Guillelma nomine vocabatur, Spiritum Sanctum asscruit incurnatum ipsamque Guillclmam a Deo assumptam mirabiliter xetitisse. Le Verbe s’incarna en un homme ; le Saint-Esprit s’est incarné en une femme. Comme si ce n’était pas assez, les guillelmites ajoutaient que, bien qu’opérée avec un changement dans le sexe, ia seconde incarnation ne s’était pas accomplie dans un corps différent de celui de la première ; en d’autres termes, le corps de Guillelma était le corps de Jésus, comme le prouvaient les cinq plaies des stigmates, qu’une des fidèles de Guillelma avait touchées et lavées de ses mains. « Ce n’était donc pas un mystère, mais trois mystères à la fois : nouvelle incarnation d’une personne de la Trinité, changement de sexe dans la nouvelle incarnation, et pourtant identité du corps dans les deux incarnations, » dit F. Tocco, Guglielma boema, p. 27. La dogmatique et l’organisation de la secte se déroulaient conformément à cette donnée initiale. Elles nous sont révélées par le procès, surtout par les dépositions de sœur Manfreda, Il processo dii guglielmiti, p. 27-30, 69-71, et d’André Saramita, p. 59-64, 71-72. Voici les grandes lignes. Comme le Christ, Guillelma était ressuscitée et devait monter au ciel à la vue de ses disciples ; en attendant son ascension, elle se tenait où elle voulait et apparaissait parfois à ses fidèles. Après son ascension, elle enverrait le Saint-Esprit, c’est-à-dire elle-même, sous forme de langues de feu, et elle aurait son vicaire, qui serait le vrai pape, la papauté de Rome et le collège des cardinaux devant être abolis. Du reste, dès à présent, le pape de Rome, Boniface VIII, n’avait pas le pouvoir d’absoudre ni de condamner, quia non est juste creatus, Il processo, p. 17 ; ici les guillelmites rejoignaient les fraticelles. Le pape vicaire du Saint DICT. DK THÉOL. CATHOL.

Esprit serait une femme, et ce serait sœur Manfreda ; ses cardinaux seraient des femmes ; l’une d’elles devait être Taria, une simple servante, qui, interrogée par l’Inquisition si elle voulait nier que Guillelma fût L’Esprit-Saint, répondit ingénument quod non vult negarc nec affirmare, sed bene vellet quod ipsa Guillelma esset Spirilus Sanctus. Il processo, p. 52. Manfreda recevrait au baptême les juifs, les sarrasins et tous les infidèles. Elle célébrerait la messe d’abord au tombeau de Guillelma, puis, de façon solennelle, à Sainte-Marie-Majeure de Milan ; elle y prêcherait. En attendant, elle prêchait à un petit groupe de femmes, et elle distribuait des hosties qui avaient été placées sur le tombeau de Guillelma ; on lui baisait les pieds et les mains. // processo, p. 12, 22, 25, 31, 33, 37, 47, 54, 57, 63. Les quatre Évangiles conserveraient leur valeur jusqu’à ce que Manfreda fût en possession paisible du pontificat suprême : alors ces Évangiles, et leur doctrine, et celle des autres apôtres, céderaient la place à quatre Évangiles écrits par quatre sages élus par le Saint-Esprit ou Guillelma.// processo, p. 62. D’après une version différente, p. 29, sicut discipuli Christi scripserunt Evangclia, epislolas et prophetias, ita et ipst Andréas (Saramita), mulando litulos, scripsissel Evangclia cl cpistolas et prophetias sub hac forma, videlicet : In Mo temporc dixil Spiritus Sanctus discipulis suis, et cetera, et : Epistola Sibilie ad Nooarienses, et : Prophctia Carmei prophète ad taies civitates et génies, et cetera. Manifestement André Saramita fut l’âme du guillelmitisme.

N’en aurait-il pas été le créateur ? A la suite d’A. Ogniben, H. C. Lea, Histoire de V Inquisition au moyen âge, trad. S. Reinach, Paris, 1902, t. iii, p. 110-111, estime improbable que Guillelma ait encouragé ces absurdes histoires. De témoignages divers recueillis au cours du procès on aurait le droit de conclure qu’elle fut étrangère à ces folies. « Vous êtes insensés et croyez sur mon compte ce qui n’est pas, » aurait-elle dit. Et encore : « Je ne suis qu’une vile femme, un ver de terre misérable. » Un moine de Chiaravalle raconta que, ayant eu une discussion, avec André Saramita, au sujet des bruits qui concernaient Guillelma, ils décidèrent de s’en rapporter à elle-même : elle leur répondit avec indignation qu’elle était faite de chair et d’os, qu’elle avait amené un fils à Milan, et que, s’ils ne faisaient pénitence pour avoir proféré de semblables paroles, ils seraient condamnés à l’enfer. Il processo, p. 85, 108, 123-124. Par ailleurs, les guillelmites déclarèrent tenir leurs croyances non de Guillelma, mais de Manfreda et d’André ; Manfreda elle-même affirma n’avoir guère connu Guillelma de son vivant et avoir été instruite par André de toutes choses ; enfin, André avoua qu’il avait ajouté de son cru mulla et mullas corum circumslantias ad ornatum et credulitatem prædictorum errorum, et donna un curieux spécimen de son procédé : ayant ouï dire à Guillelma qu’elle était née le jour de la Pentecôte, il conclut, dans un entretien avec Manfreda, que, de même que l’ange Gabriel avait annoncé à Marie l’incarnation du Christ, ainsi l’ange Rapnaël avait dû annoncer à Constance, reine de Bohême, l’incarnation de Guillelma, et il affirma carrément l’annonciation par l’archange Raphaël. Il processo, p. 19, 28, 72, 61. Tous ces faits sont impressionnants. Remarquons, toutefois, qu’à l’égard de ces témoignages la méfiance s’impose. Les témoins ne sont ni d’accord avec les autres, ni avec eux-mêmes, et nous savons que le mot d’ordre avait été de mentir. Il processo, p. 16, 70, 78. Tous avaient voulu couvrir Guillelma, tant qu’on eut l’espoir que ses ossements seraient respectés. Quand le cadavre eut été exhumé et brûlé, quand André Saramita vit que son propre sort était fixé irrévocablement, à la différence de Manfreda tenace dans ses négations, il dit que certains dévclop VI. — 63