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GUERRE


doctrine, afin d’implanter le mahométisme partout. Jamais l’Église ne mérita le reproche d’avoir essayé de faire des conversions forcées. Si elle institua des ordres religieux militaires, ce ne fut pas évidemment dans ce but. Cf. S. Bernard, P. L., t. clxxii, col. 923 sq. ; Pierre de Cluny, Epistola ad Ebrardum militiæ Tcmpli magislrum, dans Hisloiiens de la France, t. xv, p. 650.

Pour ce qui est de la défense aux évêques de prendre part à une guerre, le droit ecclésiastique se relâcha en faveur de ceux qui à l’autorité spirituelle joignaient une principauté temporelle. Ils étaient bien obligés de défendre leurs États contre d’injustes agresseurs. On ne voit pas pour quel motif on les aurait empêchés de soutenir, si ce n’est par eux, du moins par leurs officiers, mais en leur nom et de par leur autorité, une guerre défensive. Cf. Suarez, De charilaie, disp. XIII, sect. iii, n. 1, Opéra omnia, t. xii, p.741. Ce droit de défense, concédé par le droit naturel, n’est enlevé par aucune loi positive, ni divine, ni ecclésiastique. Il est donc permis à tous de défendre leur propre vie, ou leurs biens, ou ceux qui appartiennent à la société dont ils ont la charge et la garde. Cf. Cocquelines, Bullarium, t. iii, p. 31 sq.

Quant à la guerre agressive, il est aussi des raisons qui peuvent la légitimer de la part de prélats ecclésiastiques, évêques ou autres, qui sont à la tête d’une principauté séculière. Ce sont les mêmes que celles qui la légitiment chez les princes séculiers, et, dans ce cas, ces prélats, au dire de Suarez, n’encourent aucune irrégularité. Cf. De charilaie, disp. XIII, sect. iii, n. 27 ; De censuris, disp. XLVII, sect. vi, Opéra omnia, t. xii, p. 741 sq. ; t. xxiii b, p. 503 sq. La raison est que ce droit appartient à la puissance temporelle dont ils sont revêtus, et que nulle loi divine ne le leur enlève. Il n’y a à leur égard, sous ce rapport, que des prescriptions ecclésiastiques dont le souverain pontife peut les dispenser. Pour cela, continue Suarez, loc. cit., il faut évidemment des causes d’une réelle gravité, car si les princes séculiers eux-mêmes ne doivent se résoudre à faire la guerre qu’à la dernière extrémité, et après avoir épuisé toutes les autres voies d’accommodement, a fortiori, en est-il ainsi des princes ecclésiastiques.

Sans encourir l’irrégularité, les clercs peuvent aussi conseiller aux fidèles d’aller à la guerre et de s’y conduire vaillamment : tune enim non consulitur homicidium, sed actus fortiludinis et jusliliae. Cf. Suarez, De charilaie, disp. XIII, sect. iii, n. 7 ; De censuris, disp. XLVII, sect. vi, n. 4-13, Opéra omnia, t. xii, p. 743 ; t. xxiii b, p. 504-508. Voir Irrégularité.

On le voit donc, si l’Église a fait de nombreuses prescriptions pour réglementer le droit de la guerre, elle ne la condamne pas, en général. De fait, il y eut beaucoup de princes chrétiens, tels que Constantin le Grand, Théodose, Valentinien, Charles Martel, Charlemagne, saint Louis, saint Henri, etc., etc., qui ont fait la guerre, sans que l’Église les ait jamais désapprouvés, et, bien des fois même, avec son approbation.

L’Église, il est vrai, a prohibé les tournois et privé de la sépulture chrétienne ceux qui trouvaient la mort dans ces amusements sanglants. Toutefois, elle a réprouvé ces joutes d’armes, non en tant qu’on pouvait les considérer comme un exercice physique préparatoire à la guerre, ce qui eût été indirectement défendre la guerre elle-même ; mais elle les prohiba, sous des peines sévères, comme des jeux périlleux, dans lesquels des hommes s’exposaient à la mort, sans raison suffisante, et souvent uniquement pour la vaine gloire. Cf. S. Thomas, Sum. theol., Il a II*’, q. xl, a. 1, ad l ua’.

2. Pour refréner les violences de cette féodalité qui gardait encore quelque chose de l’inhumanité de ces peuplades barbares du sein desquelles elle était sortie, les conciles et les papes, du xie au xiiie siècle, s’efforcèrent de limiter le droit de guerre, en interdisant, sous les peines les plus graves, de guerroyer à certains jours

de la semaine et à certaines époques de l’année. Leur intention, qu’on ne saurait trop louer, était de faire jouir les peuples du bienfait de la paix, autant que l’état de la société, alors, le pouvait comporter. Les ennemis de l’Église eux-mêmes ont reconnu qu’elle fut, en cela, une grande bienfaitrice de l’humanité. Non seulement elle restreignit à certains jours la continuation des hostilités, mais elle obtint la cessation des excès les plus contraires au droit des gens, et contribua puissamment à rendre la guerre moins atroce. Les prescriptions de la législation ecclésiastique pour la limitation ou la restriction de la guerre, sont résumées dans les Décrétales de Grégoire IX, 1. I, tit. xxxiv, De treuga et pace. Toute action militaire, attaque, spoliation, elïusion de sang, devait cesser depuis le mercredi soir, au coucher du soleil, jusqu’au lundi matin, en souvenir et par respect des mystères sacrés de notre rédemption accomplis en ces jours de la semaine sainte : le jeudi, par l’institution de la sainte eucharistie ; le vendredi, parla passion ; le samedi, par la sépulture du divin Maître ; le dimanche, par sa glorieuse résurrection. Ainsi trois jours et deux nuits par semaine furent seuls abandonnés aux fureurs de la guerre. On excepta, en outre, deux grandes périodes de l’année : celle depuis le premier dimanche de l’Avent jusqu’à l’Epiphanie, et celle depuis le mercredi des Cendres jusqu’à l’octave de Pâques. Plusieurs conciles commandèrent même de commencer cette suspension d’armes au dimanche de la Septuagésime. On y joignit une troisième période, celle dite des Rogations, que l’on faisait commencer au dimanche avant l’Ascension, pour ne la terminer qu’à la Pentecôte, ou à la fin de son octave. Furent exceptées aussi les fêtes de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge, des apôtres, de saint Laurent, de saint Michel, des patrons principaux, etc., ainsi que tous les jours de jeûne et les vigiles dans l’année. Cf. Décrétâtes, 1. I, tit. xxxiv, De treuga, c. 1 ; Innocent III, Epist. ad Durandum, P. L., t. ccxv, col. 1514.

Certains lieux également furent désignés comme ne devant être en aucun temps le théâtre d’une guerre, mais devant constituer en tout temps des asiles inviolables : c’étaient les églises, les cimetières, les monastères, les endroits où s’élevait une croix, comme aux carrefours des chemins, au centre des places, etc. Certaines personnes aussi furent exceptées, comme ne devant jamais faire l’objet d’une attaque, et préservant même par leur présence ceux qui les accompagnaient, ou qu’elles accompagnaient : c’étaient les clercs, les moines, les frères convers, les religieuses, les pèlerins, les voyageurs, les marchands, les paysans cultivant la terre, par conséquent travaillant pour le bien public. La législation ecclésiastique défendit aussi d’enlever comme butin les outils de labourage, le bétail, etc. ; de ravager les plantations ; de détruire les moulins, les granges, les meules de blé, etc. Cf. Décrétales, 1. I, tit. xxxiv, De treuga et pace, c. 2. Tout chrétien, depuis l’âge de douze ans, devait jurer de se soumettre à ces prescriptions sous peine d’anathème, et promettre de prendre les armes contre ceux qui ne les observeraient pas. Cf. Cocquelines, Bullarium, t. in b, p. 55 sq. ; Gonzalez Tellez, Commentaria perpétua in singulos lextus quinque librorum Decrelalium, 1. I, tit. xxxiv, c. i, il, 51n-fol., Venise, 1737, t. i, p. 593-601 ; Reifîenstuel, Jus canonicum universum juxta tilulos quinque librorum Decrelalium, 1. I, tit. xxxiv, n. 10, 6 in-fol., Venise, 1730, t. i, p. 367 sq. ; Schmalzgrueber, Jus ecclesiaslicum universum, 1. I, tit. xxxiv, § 2, t. i b, p. 283 sq. ; Sémichon, La paix et la trêve de Dieu, 2 in-12, Paris, 1869 ; Pfister, Études sur le règne de Robert le Pieux, in-8°, Paris, 1885, p. 161-176.

Si ces sages prescriptions ne firent pas disparaîtit complètement le fléau de la guerre, elles contribuèrent, du moins, à adoucir considérablement les mœurs pu-