Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/343

Cette page n’a pas encore été corrigée
1917
1918
GUERRE


la condamner, en principe, mais seulement pour la régulariser, pour la limiter et la circonscrire, pour en empêcher les excès, en établissant soigneusement ce qui est permis, et ce qui ne l’est pas. Et d’abord, dès les premières pages, la législation canonique définit ce qu’est le droit militaire. A cette question : Quid sit jus militarc, elle répond, d’après un texte de saint Isidore : Jus militare est belli inferendi solemnitas, fœderis faciendi nexus, signo dalo egressio inhostem, vel pugnie commissio. .. Item, flagitii mililaris disciplina… Item, stipendiorummodus, dignilalum gradus, prcemiorum honos, sicuti quum cororta, vel torques donanlur… Item, prædse decisio et pro personarum qualitalibus et laboribus jusla divisio, ac principis porlio. Décret de Gratien, part. 1, dist. I, De jure divino et huma no, c. 10. Au chapitre précédent, en disant en quoi consiste le droit des nations, elle fait mention de la guerre, comme d’une chose parfaitement légitime : Jus gentium est sedium occupatio, munitio, bella, captivilales, serviiules, etc. Hœc inde jus gentium appcllantur, quia eo jure omnes fere génies uluntur. Décret de Gratien, part. I, dist. I, c. 9.

Dans la IIe partie, le Décret de Gratien n’a pas moins d’une centaine de pages de textes législatifs sur tout ce qui concerne la guerre, part. II, caus. XXIII, q. i-viii. — a) La i re question, composée de sept canons traite de la guerre en général : An militare peccatum sil ? La réponse est négative, et appuyée par de nombreux arguments. De plus, il est démontré que non seulement la vie militaire n’est pas coupable, mais qu’elle peut même être très méritoire : In bellicis armis milites Deo placere possunt. In lus eral sanctus David cui Dominus lam magnum perhibuit lestimonium. In his, et plurimi illius temporis justi, c. 3. — b) La iie question traite des causes justes de la guerre. D’abord, il faut que la guerre émane de l’autorité publique légitimement constituée : Juslum est bellum quod ex edicto geritur, de rébus repetendis, aut propulsandorum hostium causa, cl. Les ruses et les embûches sont permises à la guerre : Nihil ad justitiam interesl, sive aperle, sive ex insidiis aliquo pugnet, c. 2. Cette proposition est prouvée par les exemples de l’Ancien Testament, par lesquels on voit que Dieu lui-même conseille ou commande ces ruses de guerre : Dominus enim noster jubel ad Jesum Nave ut constituât sibi retrorsus insidias, id est insidianles bellalores ad insidiandum hoslibus, secundum illud Josue, viii, 2 sq. — c) La m question examine si l’injure ou le tort fait à des alliés est une cause suffisante de guerre : An injuria sociorum armis sit propulsanda, c. 1-11. Dans le canon 7e, on trouve cette formule énergique empruntée à saint Ambroise, De officiis, 1. I, c. xxxvi : Qui socii non repellit injuriam, si potest, similis est ei qui facit ; et celle-ci, dans le canon 8e : Malorum impielati favet, qui eis obviare cessai. Qui enim potest obviare et perturbare perversos, et non facit, nihil aliud est quam favere eorum impielati. Nec enim caret scrupulo societatis occullie, qui manijeslo facinori desinil obviare. D’où obligation stricte pour les empereurs et les rois de défendre les églises contre les entreprises des seigneurs et des puissants de la terre, quels que soient leur nom et leur dignité : Imperalores Ecclesiæ defensionem adversus divitum potentiam debent suscipere, c. 10. — d) La ive question traite de la vindicte I ublique. Si quelquefois, pour le bien de la paix, on doit tolérer les méchants, c. 1-3, il ne faut pas craindre, d’autres fois, de les corriger, et même de les bannir, s’il n’y a pas d’espérance d’amendement, et cela n’est ni contre la charité, ni contre la paix, mais plutôt pour l’avantage de la société entière, dont la charité nous commande de rechercher le bien, plutôt que celui des simples particuliers, c. 5 ; Sicut ab oralione cessandum non est, sic nec a correptione, c. 20 ; Medicinali severilate mali cogantur ad bonum, c. 25. Si, en effet, il est une miséricorde charitable, il en est une qui est injuste,

c. 33. C’est un devoir des puissances établies de réprimer les perturbateurs de l’ordre, c. 38. L’Église peut donc demander le secours des princes temporels contre ses ennemis et contre les hérétiques, c. 40-42. A l’exemple du Christ, on peut user d’une sainte violence pour amener les méchants au bien, c. 43. Ce n’est pas là de la cruauté, c’est de l’amour, c. 44. Loin qu’il y ait faute, c’est le moyen d’apaiser la juste colère du Dieu tout-puissant, c. 46, 47. Ecclesise religionis inimici etiam bellis sunt coercendi, c. 48. La foi des belligérants prépare la victoire, c. 49 ; tandis que le délai à punir les méchants attire la colère de Dieu, c. 50. — c) La question ve enseigne quand l’homicide est permis. Dans une guerre juste, ceux qui tuent les ennemis ne transgressent pas le cinquième précepte du Décalogue : Non occides, c. 8-9 ; Non est reus homicidii miles qui potestati obediens homincm occidil, c. 13. Souvent, celui qui est la cause de la mort d’un homme est plus coupable que celui qui le tue, en réalité, c. 19. C’est le devoir des rois de mettre les méchants dans l’impossibilité de nuire aux bons, c. 23, 28. Mettre à mort les méchants, c’est servir Dieu, c. 29. La persécution consiste, non pas à forcer au bien, mais à contraindre au mal, c. 42. Mourir en combattant contre les infidèles, c’est mériter le ciel, c. 46. — /) La question vie et la question vne traitent des matières analogues. — g) La question vme examine s’il est permis aux clercs et même aux évêques de prendre les armes, soit de leur propre autorité, soit pour obéir à l’empereur, ou au pape. Dans une trentaine de canons différents, la législation ecclésiastique établit que, si les clercs et les évêques peuvent appeler les princes séculiers, rois et empereurs, à la défense de leurs églises, ils ne peuvent, cependant, pas eux-mêmes prendre les armes, et verser le sang, car non debent agitare judicium sanguinis qui sacramenta Domini tractant, c. 30. Prendre rang dans la milice séculière, défendre par force leurs terres, s’engager dans les combats, en un mot, porter les armes, est contre la profession de leur saint état.’C’est là le rôle des puissances terrestres, non celui des membres de la hiérarchie sacrée, c. 1. Les clercs qui meurent à lu guerre n’ont pas droit aux prières solennelles, pro iis oratio vel oblalio non ojjeratur, c. 2. Les clercs qui osent prendre les armes doivent être dégradés, et enfermés dans un monastère pour y faire pénitence, c. 5 ; car ils doivent être regardés comme méprisant les saints canons, et profanant la sainteté de leur état, c. 6. A plus forte raison, cela est-il défendu aux évêques. Le rôle des évêques, princes dans la milice du Christ, est de prier, non de combattre, c. 19. Qu’ils prennent bien garde de ne coopérer en rien à la mort d’un homme, quel qu’il soit, c. 20. Cf. Décrétâtes, 1. III, tit. i, c. n ; S. Thomas, Sum. theol., II a ir, ’, q. xL, a. 2.

Conformément à ces prescriptions, l’Église n’a jamais fait elle-même la guerre, pour les questions de doctrine. Jamais elle n’a consenti que l’on forçât par le fer les hérétiques ou les infidèles à se convertir. Les guerres que les princes entreprirent contre les hérétiques eurent plutôt pour cause des motifs d’ordre politique, ou le désir légitime de faire rentrer dans l’ordre les perturbateurs du repos public, car très souvent certains hérétiques, tels que les Goths ariens, les donatistes, les albigeois, etc., etc., commettaient des actes de véritable brigandage, et mettaient des contrées entières à feu et à sang. Cf. Luchaire, Innocent III : la croisade des albigeois, in-8°, Paris, 1905 ; Pastor, Histoire des papes, 10 in-8°, Paris, 1907, t. i, p. 285. Les croisades elles-mêmes, et les guerres décrétées à diverses reprises par des conciles contre les Turcs, n’avaient pas pour but de contraindre ceux-ci à embrasser le christianisme, mais de les empêcher de tyranniser les chrétiens, et de recouvrer la Terre’Sainte. Les Sarrasins, au contraire, et les Turcs faisaient la guerre pour une question de