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1910
GUERRE


droits qu’on tiendrait de la stricte justice, on peut se demander si la guerre est toujours, de soi, à cause des maux incalculables qu’elle entraîne, contraire aux lois de la charité, et, par conséquent, à ce titre, toujours défendue comme intrinsèquement mauvaise.

A cette question ainsi formulée, une réponse négative doit être évidemment faite. On ne peut pas supposer, en effet, que Dieu, comme auteur et législateur suprême de la nature, ait concédé aux sociétés, comme aux individus, le droit de légitime défense, c’est-à-dire pour les sociétés le droit à la guerre, et que, par une autre loi, telle que celle de la charité, il en ait prohibé à jamais l’usage. Ce serait, là, un droit inutile et dérisoire, ce qui répugne à la divine sagesse. Il y aurait, en outre, entre deux parties du décalogue, une contradiction flagrante, l’une défendant ce que permettrait l’autre, et cette contradiction ne répugne pas moins à l’infinie sagesse du législateur éternel. On peut donc affirmer, a priori, comme une vérité certaine, que la guerre, en tant qu’elle est juste en soi, c’est-à-dire légitime de droit naturel, ne peut pas, en même temps, per se et ex naiura sua, être illicite, par rapport à la loi de la charité ; et si, quelquefois, cette loi de la charité s’oppose à l’exercice de ce droit, ce ne peut être que per accidens, dans quelques cas particuliers, et non d’une façon générale. Cf. Bellarmin, op. cit., c. xiv, in fine, Opéra omnia, t. il, p. 330.

Ceux qui, dans une nation, ont la puissance souveraine, ne sont obligés à s’abstenir d’une guerre légitime que si les maux prévus pour le prochain, comme résultat de cette guerre, sont tels qu’il n’y aurait aucune juste proportion entre ces maux et l’avantage auquel ont droit les auteurs de cette guerre légitime. A la guerre s’appliquent toutes les considérations que les théologiens font au sujet du volontaire indirect. Quand un acte, légitime en soi, peut avoir un double effet, l’un bon et l’autre mauvais, il faut, pour poser cet acte, des raisons d’autant plus graves que les maux qui en résultent, quoique non voulus directement, sont plus considérables. Voilà pourquoi les bons princes que l’ambition ou la passion de la gloire militaire n’aveuglent pas, ne se déterminent à faire la guerre que lorsqu’ils y sont contraints par une inéluctable nécessité, et que toutes les autres voies d’accommodement ont été inutilement tentées. Cf. S. Thomas, Sum. theol., II a H- 1 ', q. xl, a. 1 ; Suarez, De charitate, disp. XIII, sect. i, n. 1, 4, 5 ; sect. iv, vi, Opéra omnia, t. xii, p. 737, 743 sq., 749 sq. ; Bellarmin, 1. III, De laicis, c. xv, Opéra omnia, t. ii, p. 331 ; Schmalzgrueber, Jus ecclesiasticum universum, secundum quinque libros Decretalium, 1. I, tit. xxxiv, § 1, De bello, n. 2 sq., 12 in-4°, Rome, 1843-1845, t. i b, p. 276 sq. ; Zigliara, Elliica et jus naturse, 1. III, c. ii, a. 2, n. 2 sq., t. iii, p. 289 sq. ; Meyer, Insfitutiones juris naturalis, part. II, sect. iii, 1. III, c. ii, a. 1, § 2, n. 735 sq., 2 in-8°, Fribourg-enBrisgau, 1900, t. il, p. 788 sq.

3. Les raisons qui peuvent légitimer une guerre offensive se ramènent généralement à une grave offense subie. Celles que les auteurs énumèrent sont les suivantes : réduire à l’obéissance des sujets rebelles ; récupérer une province, ou une ville perdue ; venger une grave offense faite soit au chef de la société, soit à la société elle-même ; punir une autre nation de l’aide qu’elle a donnée à un ennemi injuste ; porter secours aux alliés ; châtier ceux qui ont violé les traités ; obtenir ce que le droit international concède et ce qui est injustement refusé, etc. Mais il est facile de voir que les guerres de ce genre, offensives en apparence, sont défensives en fait. Cf. Laymann, 771eo/o<71’a moralis, 1. II, tr. III, c. xii, n. 6, 2 in-fol., Venise, 1769 ; Schmalzgrueber, Jus ecclesiaslicum universum, ]. I, tit. xxxiv, § 1, n.7, 1. 1 b, p. 279. Un autre motif reconnu juste est celui de punir de leurs 'autes ou de leurs agissements des enne mis qui, s’ils pouvaient espérer l’impunité pour leurs méfaits, auraient toutes les audaces, et ne mettraient aucune borne à leurs mauvais desseins. Cf. Schmalzgrueber, op. cit., § 1, n. 3, 1. 1 b, p. 277. Suarez en donne la raison par les réflexions suivantes : Quia, sicut intra eamdem rempublicam, ut pax servetur, necessana est légitima potestas ad puniendum delicta, ita, in orbe, ut diversæ reipublicse pacate vivant, necessaria est potestas puniendi injurias unius contra aliam. Hœc autem potestas non est in aliquo superiore, quia nullum habent (qua indépendantes) ; ergo necesse est ut sit in supremo principe reipublicæ lœsse, cui alius subdatur ralione delicti. Unde hujusmodi bellum introduclum est loco justi judicii vindicalivi. De charitate, disp. XIII, sect. iv, n. 5, Opéra omnia, t. xii, p. 744. Cf. S. Alphonse, Theologia moralis, 1. III, c. i, dub. v, a. 2, n. 402 sq., in-4°, Rome, 1905-1912, édit. Gaudé, t. i, p. 659.

III. La guerre et l'Écriture sainte. — 1° Dans l’Ancien Testament. — 1. On n’y trouve aucun texte qui insinue que la guerre est une chose intrinsèquement mauvaise, ou qu’elle soit défendue aux fidèles serviteurs du vrai Dieu. Beaucoup de passages, au contraire, la présentent comme une chose bonne en diverses circonstances, et les écrivains inspirés louent, à maintes reprises, les hauts faits de guerre accomplis par les saints de l’Ancien Testament, ou par les hommes suscités de Dieu, à cette fin. Ainsi furent loués Abraham, Moïse, Josué, Samson, Jephté, Gédéon, Barac, David, les Machabées, etc. Gen., xiv, 19, 20 ; Jos., x, 11-13 ; I Reg., xii, 11 ; Is., ix, 4 ; x, 26 ; Ps. lxxxii, 12 ; Jud., v, 1 ; II Mac, x, 29, 31. etc. Les textes qui approuvent la guerre abondent : Exod., xvii, 11, 16 ; Num., xxi, 3 ; xxv, 11 ; Deut., vii, 1 ; xxv, 17 ; Jud., iii, 1-4 ; x, 16 ;

I Reg., xv, 2-3 ; Jos., i, 6, 8, 10. — 2. Non seulement Dieu approuve la guerre, mais souvent il commande lui-même de la faire aux ennemis de son peuple, cf. Num., xxv, 16 ; Jud., iv, 6-7, 13, etc. ; et cela quelquefois uniquement pour punir des injures. Cf. II Reg., x-xi. — 3. Bien plus, parfois Dieu prend fait et cause pour ses serviteurs, opère des miracles et combat avec eux pour leur assurer la victoire. Cf. Gen., xiv, 19-20 ; Jos., x, 11-14 ; Jud., iv, 15 ; v, 20, 21 ; II Mac, x, 29, 31, etc. — 4. Dieu nrend très souvent le titre de Dieu des armées. Tr.., iii, 1 ; v, 7 ; vi, 3 ; viii, 13 ; x, 33 ; Os., xii, 5 ; Amos, v, 14 ; Mich., iv, 4, etc. — 5. Loin de condamner la guerre, les Livres saints rappellent souvent qu’elle est un fléau, dont Dieu se sert pour châtier les peuples dans sa colère. Lev., xxvi, 24 ; Deut., xxviii, 40 ; Jos., xvii, 13 ; Jud., i, 3 ; ii, 21-23 ; v, 6 ; x, 7 ; Is., x, 5 ; Jer., v, 15, etc. Voir art. Guerre, dans le Dictionnaire de la Bible de M. Vigoureux, t. iii, col. 361-366.

Dans le Nouveau Testament.

1. Jean-Baptiste

le précurseur n’a pas commandé aux soldats d’abandonner l'état militaire ; il leur a seulement recommandé de s’y bien comporter, en ne commettant pas de déprédations injustes, en se contentant de leur salaire, etc. Luc, iii, 14. — 2. Notre-Seigneur loua la foi du centurion, et ne lui commanda pas, non plus, d’abandonner l'état militaire. Matth., viii, 10. De même, fut louée la foi de Corneille, centurion de la cohorte italique. Act., x, 2 sq. — 3. De tous les saints guerriers indiqués plus haut, saint Paul affirme que c’est au moyen de leur foi récompensée par le secours de Dieu qu’ils ont triomphé de leurs ennemis dans les combats, et qu’ils les ont mis en fuite. Heb., xi, 32-34.

Objections.

1. Dieu réserve à Salomon, fils de

David, la gloire de lui élever un temple, à l’exclusion de son père, parce que celui-ci, étant homme de guerre, a versé le sang. I Par., xvii, 4 ; xxviii, 3. — Réponse. —

II n’y a pas là une condamnation de la guerre, mais seulement une mesure spéciale à David, soit à cause de l’homicide injuste d’Urie, soit à cause du respect dû au temple de Jéhovah. Cf. Suarez, De charitate,