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GUERRE


et même entre alliés, la parole < ! onnée et les serments les plus solennels ne renfermaient aucune garantie. Nul n’y avait confiance. Tous étaient prêts à se parjurer, et à déchirer les contrats les plus sacrés, dès que leurs intérêts étaient en jeu, et que l’accroissement de leur puissance leur promettait l’impunité. C’était, on peut le dire, une erreur généralement répandue dans la gentilité, qu’il était permis de prendre les armes et de faire la guerre, uniquement pour conquérir des royaumes, acquérir des richesses et un nom glorieux. Cf. Suarez, loc. cit., sect. iv, t. xii, p. 743.

3. Aux temps de la civilisation si avancée de la Grèce et de Rome, les choses ne se passaient guère autrement. Nul ne songeait à contester au vainqueur la plénitude de ses droits. Si Alexandre, ou le Sénat romain consentirent à en rabattre, ce fut uniquement par des calculs d’intérêt plus raffinés, et parce que leur ambition plus habile visait et plus haut et plus loin. A quoi leur aurait servi la domination universelle, si elle ne s’était étendue que sur.de vastes déserts, ou sur des terres sauvagement ravagées par leurs armées, et pour longtemps stériles ? Ils ne voulurent donc pas la destruction des biens des vaincus, ni même la dépossession complète de ceux-ci, ce qui pratiquement revenait presque au même. Aux vaincus, ils se contentaient d’imposer de fortes rançons, des tributs onéreux, souvent une sorte de protectorat, ou d’alliance, qui n’était qu’un assujettissement déguisé. Mais si ces nations, unies par la force à celle qui les avait dominées, frémissaient sous le joug, et tentaient de s’en affranchir, alors le vieil instinct païen se réveillait dans toute sa férocité, et la guerre recommençait, sauvage, cette fois, guerre d’extermination, qui ne se terminait que par la dépopulation, l’expropriation en masse, la destruction, dût un peuple entier être rayé du livre de vie. Cela paraissait juste, et les plus fins lettrés, ouïes meilleurs moralistes de l’antiquité, tels que Cicéron, ou Sénèque, ne trouvaient rien à redire à cela. Cf. Platon, De republica, 1. V.

Au nom de quels principes ces philosophes qui approuvaient la politique romaine envers les vaincus, auraient-ils pu condamner, ou simplement blâmer les barbares, qui, quelques siècles plus tard, se précipitant à l’assaut de l’empire romain, y commirent toutes sortes d’infamies, de meurtres atroces et de déprédations ? Les Teutons et les Cimbres, les Goths et les Visigoths, les Suèves, les Huns et les Vandales, les Hérules, les Francs et les Germains pouvaient-ils avoir des notions plus exactes sur la propriété, la dignité humaine et les droits des vaincus ? A leurs yeux aussi le droit de la guerre, ou le droit du plus fort, comprenait l’ensemble et l’universalité de tous les droits sans exception. Vaincre, c’était tout conquérir, personnes et choses. Le conquérant devenait, de fait et de droit, le maître absolu du pays dont il avait réussi à s’emparer, et pour aussi longtemps qu’il pouvait s’y maintenir. Le chef suprême distribuait le sol à ses compagnons d’armes. Ainsi se forma une aristocratie féodale que le temps consolida, en consacrant toutes les spoliations.

4. Si l’influence du christianisme, en adoucissant les mœurs publiques, et en rendant plus claire dans les masses la notion du devoir opposée à celle du droit, n’a pas fait disparaître complètement la guerre du sein de l’humanité, du moins elle a amené les vainqueurs à apporter une certaine réserve dans leurs exigences. Mais, même chez les nations modernes les plus policées et les plus civilisées, plus le sentiment religieux s’efface, plus le respect de l’humanité disparaît, et l’intérêt devient le seul mobile. L’égoïsme inspire la diplomatie, et, de nos jours, comme il y a trente ou quarante siècles, les chefs des peuples ne sont que trop portés à admettre le vieil axiome païen que la « force prime le

droit » . Cf. Dumont et Brunel, Recueil des tra’tès de paix, d’alliance et de trêves faits en Europe depuis Charlemagnc jusqu’à présent, 8 in-fol., Amsterdam et La Haye, 1726. 5. Ils sont légion encore, parmi nos contemporains, ceux qui, se vantant d’être au nombre des intellectuels les plus cultivés, enseignent ou pensent que le succès justifie tout, et que peu importent les moyens, pourvu qu’on réussisse. Dans son ouvrage L’Allemagne et la prochaine guerre, dont la 5e édit.on allemande parut en 1912, von Bernhardi, général qui aimait à philosopher en faisant fi de la morale, s’efforce de prouver que, pour sa patrie, la guerre de rapines, décorée du nom de guerre de conquêtes, non seulement est un droit, mais un devoir. Et voulez-vous savoir la raison d’une si étrange thèse et d’une si formidable prétention ? C’est que l’Allemagne, pour satisfaire son insatiable soif d’annexions et son désir de grandir sans limites (ce à quoi elle se croit prédestinée), a besoin des terres, provinces ou royaumes, non moins que des richesses naturelles que les autres peuples détiennent, très injustement, selon elle. Et pourquoi les propriétaires actuels sont-ils d’injustes possesseurs ? C’est parce qu’ils ne savent pas tirer suffisamment parti des régions qu’ils occupent, tandis que l’Allemagne saura merveilleusement les mettre en valeur, et que, en outre, par suite de la supériorité des qualités qui la distinguent, elle a droit à la domination universelle. « Tout ce qui est bon à prendre est à nous » , disaient les anciens Germains, dont, selon Tacite, la devise était : Ubi pr<eda, ibi patria l Après vingt siècles, beaucoup de leurs descendants parlent encore de même. Les téméraires qui, même en se défendant, mettraient obstacle à l’expansion de l’Allemagne et l’empêcheraient d’atteindre sa fin qui est de tout absorber, commettraient donc une injustice flagrante, un crime irrémissible. Il n’est que juste de les en châtier par l’asservissement ou la destruction totale. Et plus la guerre qu’on leur fera sera dure, atroce, farouche, impitoyable et inhumaine, plus elle sera méritoire et digne d’éloges, car on arrivera ainsi plus tôt à la victoire, en inspirant partout la terreur et l’épouvante. Une traduction française de cet ouvrage significatif du général von Bernhardi, avec préface du colonel suisse F. Feyler, a paru, in-8°, Paris, 1916. Cf. général von Hartmann, dans la Deutsche Rundschau, 1877-1878. Tel est, d’ailleurs, l’enseignement officiel donné par le grand état-major allemand, dans le manuel paru en 1902, et intitulé : Kriegsbrauch in Landkriege. Il y oppose aux prescriptions des juristes la coutume et la tradition héréditaires, dit-il, de la race germanique. D’après cette tradition nationale, affirme-t-il avec insistance, l’officier allemand doit se mettre en garde contre les » conceptions humanitaires » , humanilare Anschauungen, p. 3, dont se sont inspirées les Conférences de Genève, de Bruxelles et de La Haye. C’est donc non seulement un droit, mais un devoir, pour tout chef d’armée, d’employer sans ménagement les moyens d’intimidation, car c’est précisément dans l’emploi illimité des mesures de rigueur, et dans l’absence totale de scrupules, que réside le plus souvent l’humanité, p. 7, 115. Cette tradition dans la race germanique remonte haut et loin, en effet, car elle remonte jusqu’à Luther, qui écrivait aux princes de son temps : « Déchaînez-vous, exterminez, égorgez. » Cf. Denifle, Luther et le. luthéranisme, trad. franc., t. i, p. 17-18, 213 ; Janssen. Geschichle des deutschen Volkes, 6 in-8°, Fribourg-en-Brisgau, 1876-1888, t. n ; t. iv, p. 506 sq. ; Boutroux, La force substituée au droit, dans la Revue des Deux Mondes du 15 octobre 1914, p. 387 sq. ; Ch. Ander, T^es usages de la guerre et la doctrine de l’état-major allemand, in-8°, Paris, 1915 ; Le pangermanisme, in-8°, Paris, 1915 ; Joachim von der Goltz (le fils du maréchal de ce nom), Les dix commande-