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GUERRE


rence provient donc d’un fait purement extérieur, car la guerre qui est vraiment défensive chez une nation, est offensive chez son ennemie, et réciproquement. On pourrait, cependant, appeler aussi guerre défensive, quoique dans un sens un peu plus large, la guerre entreprise pour empêcher une violation de droit imminente, ou ayant déjà reçu un commencement d’exécution, bien que la nation ennemie n’ait pas encore pris les armes, dans le but de soutenir cette injustice méditée, ou déjà perpétrée en partie. Guerre défensive serait, aussi, dans un cas analogue, celle pour demander ou obtenir une réparation proportionnée au dommage matériel ou moral causé ; ou encore, avec un ennemi turbulent et toujours dangereux, pour assurer une paix plus durable et plus solide. Dans ce cas, ce qui semble une agression, ne serait, en réalité, qu’un acte de légitime défense. Cf. Suarez, De charilate, disp. XIII, De bello, sect. i, n. 6, Opéra omnia, 28 in-4°, Paris, 1856-1878, t. xii, p. 738. De même, la guerre offensive est celle qui est soutenue par le parti dont les agissements l’ont provoquée et rendue inévitable, alors même que ce parti n’aurait pas accompli, de son côté les premiers actes d’hostilité matérielle, car, suivant le mot de Montesquieu, le véritable auteur d’une guerre n’est pas celui qui la déclare, mais celui qui la rend nécessaire.

II. La guerre et le droit naturel.

Historique et erreurs.

1. La guerre est certainement un des

plus grands fléaux de l’humanité, et ce n est pas sans motif que l'Église met sur les lèvres de ses enfants cette supplication : A peste, famé et bello libéra nos, Domine. Très souvent ces trois maux n’en font qu’un, car la guerre entraîne à sa suite les épidémies et la famine. La guerre est aussi, à n’en pas douter, une des suites les plus désastreuses du péché originel, soit à cause des misères physiques dont elle est la source, soit à cause de la perte des âmes qui, si nombreuses, paraissent devant le juge souverain, sans aucune préparation, et dans l’ivresse du carnage ou les fureurs de la haine. L’homme, s'étant révolté contre Dieu, non seulement a vu les créatures se révolter contre lui, mais il a été aussi, depuis lors, en lutte avec lui-même et avec ses semblables. La terre, jusque-là paradis de délices, est devenue aussitôt un champ de bataille, et, avec la faute de notre premier père, s’est introduite dans le monde la lutte pour la vie, le struggle [or li/e. Dans son Spéculum doctrinale, Vincent de Beauvais enseigne que le nom latin de guerre, bellum, dérive de bclluis, bêtes fauves, parce que, dit-il, bellanies sœpe ferilatem belluarum imilantur, 1. XI, c. xxvi, 10 in-fol., Strasbourg, 1473. Cf. Cicéron, De ofjiciis, 1. I, c. xi.

Abstraction faite de la faute originelle et de la terrible sanction qui l’a suivie pour toute la postérité d’Adam, car c’est par le péché du premier homme que la mort est entrée dans le monde et a atteint toutes les générations, Rom., v, 12 ; vi, 23 ; 1 Cor., xv, 21, peut-on affirmer que la guerre n’est qu’une manifestation de la loi générale de destruction qui pèse sur le monde, et n'épargne aucun être dans le vaste domaine de la nature vivante ? Une force occulte, mais indéniable et irrésistible, sorte de rage universelle, arme tous les êtres les uns contre les autres. Un décret de mort violente semble écrit aux sources mêmes de la vie, pour que nul n’y échappe ; et le redoutable législateur qui l’a formulé, a choisi, dans chaque grande division du règne animal, des familles qu’il a spécialement chargées de l’exécuter : insectes de proie, reptiles de proie, oiseaux de proie, poissons de proie, quadrupèdes de proie. A chaque instant de l’innombrable série des siècles, des êtres vivants sont dévorés par d’autres. Au-dessus de ces multitudes de races destinées à servir de pâture à d’autres mieux outillées pour la lutte, est placé l’homme dont la main destructrice ne fait grâce à rien de ce qui vit : il tue pour se

vêtir, il tue pour se parer, il tue pour attaquer, il tue pour se défendre, il tue pour s’instruire, il tue pour s’amuser, il tue pour tuer : roi superbe qui a besoin de tout, et à qui rien ne résiste… Le philosophe peut même découvrir comment le carnage permanent est prévu et ordonné dans le grand tout. Mais cette loi s’arrêterat-elle à l’homme ? Non, sans doute. Et quel être exterminera celui qui les extermine tous ? C’est l’homme qui est chargé d'égorger l’homme. Comment, cependant, pourra-t-il accomplir la loi, lui qui est un être moral et miséricordieux ; lui qui est né pour aimer ; lui qui pleure sur les autres comme sur lui-même ; lui à qui il a été déclaré qu’on lui demandera compte jusqu'à la dernière goutte du sang qu’il aura versé injustement, Gen., ix, 5? C’est la guerre qui accomplira le décret. A la terre qui crie et réclame du sang, celui des animaux ne suffit pas, ni même celui des criminels immolés par le glaive de la justice humaine, qui ne peut les atteindre tous ; … qui souvent en épargne par clémence coupable, crainte, lâcheté, énervante sensiblerie, sans prendre garde que cette douceur mal entendue est plus cruelle que la férocité, car, en travaillant à éteindre l’expiation dans le monde, elle contribue à rendre la guerre nécessaire… La terre n’a pas crié en vain : la guerre s’allume ; l’homme, saisi tout à coup d’une fureur divine, étrangère à la haine et à la colère, s’avance sur le champ de bataille, sans savoir ce qu’il veut, ni même ce qu’il fait. Qu’est-ce donc que cette horrible énigme ? Rien plus que tuer n’est contraire à sa nature, et, alors, rien ne lui répugne moins : il fait avec enthousiasme ce qu’il a en horreur… Innocent meurtrier, instrument passil d’une main redoutable, il se plonge, tête baissée, dans cet abîme, où il donne et reçoit la mort… Ainsi s’accomplit sans cesse, depuis le ciron jusqu'à l’homme, la grande loi de la destruction violente des êtres vivants. La terre entière, continuellement imbibée de sang, n’est qu’un autel immense, où tout ce qui vit doit être immolé sans fin, sans mesure, sans relâche, jusqu'à la consommation des choses, jusqu'à l’extinction du mal, jusqu'à la mort même de la mort, le dernier ennemi qui doit être détruit, après avoir tout soumis à son sceptre, suivant la vigoureuse expression de l’apôtre : Novissima autem inimica destruetur mors : omnia enim subjecit sub pedibus, I Cor., xv, 26. Voilà par quelles considérations le comte Joseph de Maistre expose qu’il n’y a pas moyen d’expliquer comment la guerre, « la plus grande des extravagances humaines » , est humainement possible, quand on songe que l’homme est doué de raison, de sensibilité et d’affection 1 Cf. Les soirées de Saint-Pétersbourg, ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la providence, suivis d’un traité sur les sacrifices, 2 in-8°, Paris, 1822, VIIe entretien, t. ii, p. 30 sq. Cet auteur voit donc dans la guerre l’intervention d’une loi supérieure à l’humanité, loi occulte et terrible qui a besoin pu sang humain. De là découle, dit-il, cette prééminence que toutes les nations, antiques et modernes, ont toujours accordée à la profession des armes. N’est-ce pas étrange, en ejjet, que le droit de verser innocemment le sang innocent ait toujours été regardé comme le plus honorable dans le monde, au jugement de tout le genre humain sans exception ? et n’y a-t-il pas quelque chose de mystérieux et d’inexplicable dans le prix extraordinaire que les hommes ont toujours attaché à la gloire militaire ? Cf. Besse, La thèse de Joseph de Maistre sur la guerre, dans la Revue pratique d’apologétique, 1916, t. xxii, p. 466-484, 537-549.

Il nous semble, à nous, que, sans recourir à une loi occulte, il n’est pas difficile d’expliquer, chez tant d’hommes de tous les temps et de tous les pays, l’amour de la gloire. Elle ne se comprend que trop, par le désir de faire parade de la supériorité de leurs forces phy-