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GREVE


contrat, lésait quelqu’un des droits inamissibles de son personnel : comme serait abuser de lui en lui imposant un salaire de famine, un travail exagéré ou exécuté dans des conditions intolérables, etc. Injusla lœsio contractas ex parle domini est depressio mercedis aperte injusla, injusla denegalio requiei festivæ, continualio pcriculi gravis conlra bonos mores. Ibid.

S’ils ne sont liés par aucun contrat, les ouvriers peuvent légitimement cesser de travailler, à la condition, toutefois, de se conformer aux usages locaux et aux coutumes professionnelles. Ces usages et ces coutumes ont une vraie force obligatoire, elles s’imposent aux ouvriers comme aux patrons ; on est toujours censé les avoir acceptées, quand il n’a pas été fait de stipulation contraire. Mais hors de là, on ne peut invoquer aucun motif pour dénier aux travailleurs le droit de se mettre en grève. Ils demeurent libres, tant qu’ils n’ont pas aliéné leur liberté : libres de travailler ou de chômer, de mettre leur activité au service de celui-ci ou au service de celui-là. S’il y a une chose dont l’ouvrier soit incontestablement maître, c’est bien sa personne et, par suite, son travail qui n’est qu’une continuation de sa personnalité. Il n’est tenu de le laisser au service de quelqu’un que dans la mesure où il lui a plu de s’engager.

Si tout ouvier qui n’est pas lié par un contrat peut légitimement cesser son travail, même sans motif, il ne peut légitimement inciter l’ensemble de ses camarades à suivre son exemple, à moins qu’il n’y ait des raisons graves et certaines de faire la grève. Toute grève entraîne des maux aussi considérables que nombreux ; elle est une source de préjudices pour les patrons, la société, l’industrie nationale et même les ouvriers. Il est évident que, pour être en droit de pousser à une mesure qui aura de pareilles conséquences, on a besoin de motifs proportionnés et sur le bien-fondé desquels il n’existe pas le moindre doute.

En résumé, la grève étant parfois la seule arme de défense vraiment efficace que possèdent les ouvriers, on ne peut pas leur interdire de s’en servir, quand ils ont besoin de protéger leurs justes intérêts ; mais l’arme est à deux tranchants, elle blesse fréquemment non moins gravement ceux qui la tiennent que ceux contre qui elle est dirigée, on n’est pas autorisé à la sortir à chaque instant du fourreau et à en faire n’importe quel usage.

III. Grève et sabotage.

Le sabotage est, aujourd’hui, le complément de presque toute grève violente. Il consiste à immobiliser, à détériorer et même à détruire l’outillage patronal. La grève, disent les défenseurs du sabotage, c’est la guerre ; les ouvriers ont par conséquent tous les droits de belligérants. Ils font ce qu’on fait en campagne, on porte à l’ennemi le plus de coups qu’on peut et l’on n’hésite pas à sacrifier tout ce qui pourrait lui être de quelques secours pour emporter la victoire. Si les travailleurs s’attaquent aux machines et au matériel, ce n’est pas pour le vain plaisir de détruire ; c’est Uniquement parce qu’une impérieuse nécessité les y oblige. S’ils n’immobilisaient pas les instruments de production, ils iraient à la défaite. L’intérêt supérieur de la classe leur dicte la conduite à tenir ; briser ce qui peut faire échouer la grève est de bonne guerre.

Ceux qui parlent ainsi oublient que la grève ne peut que très imparfaitement être comparée à la guerre et que, même en temps de guerre, tout n’est pas permis. On reste tenu au respect des personnes et des propriétés. Des torts, seraient-ils considérables de la part des patrons, ne sauraient légitimer de pareils actes. Même commis à titre de représailles ils n’en seraient pas moins criminels ; ils déshonoreront toujours ceux qui s’en rendent coupables. Ils sont, surtout quand ils vont jusqu’à la détérioration grave et à la destruction,

réprouvés par la morale, flétris par la civilisation et réprimés par les lois. Si on se bornait à une simple immobilisation momentanée, sans détérioration, et que la grève fût certainement juste, le procédé, quoique d’ordre délicat, n’apparaît pas comme nécessairement injuste et condamnable. Les ouvriers se comportent à l’égard des machines et du matériel comme à l’égard de leurs camarades disposés à continuer le travail, ils les mettent dans l’impossibilité de faire échouer la grève.

IV. Grève et liberté de travail.

Si la grève dans certains cas est un droit, le travail pareillement est un droit et un droit tout aussi strict et tout aussi respectable. Il est possible que, lors d’une déclaration de grève, certains ouvriers n’en soient pas partisans et désirent ne pas abandonner l’atelier ; en principe, ils doivent être absolument libres de le faire. Ils ont la disposition de leur activité ; ils doivent pouvoir l’utiliser s’ils le veulent. Chacun est maître de faire ce qui n’est pas défendu, et la liberté individuelle n’a d’autre limite que celle qui lui est imposée par la loi ou exigée par le respect des droits d’autrui.

Le droit de travailler peut se trouver en conflit avec d’autres droits. Il y a des grèves incontestablement motivées ; déclarées par la majorité des ouvriers intéressés, elles n’ont été décidées que pour faire respecter des droits certains qu’on s’obstine à méconnaître. Si des camarades refusent de se solidariser avec les grévistes et continuent à travailler, ces camarades pourront être cause que les légitimes revendications formulées seront rejetées et que justice ne sera pas rendue. Leur droit de travailler ne peut pas s’exercer sans qu’il en résulte un préjudice grave, non seulement pour les grévistes, mais pour toute la corporation. Ce préjudice grave, ceux qui ont cessé de travailler sont-ils tenus de le laisser causer ? Si des deux droits qui sont en opposition l’un doit céder, n’est-il pas naturel que le droit de quelques individus s’efface devant celui de la collectivité ?

Tout le monde admet que les grévistes, lorsque la grève a été déclarée pour des motifs certains, sérieux et justes, ont le droit d’essayer d’amener tous leurs camarades à y adhérer, non seulement en employant les moyens de persuasion, mais encore en exerçant une certaine pression morale : In lali casu, quando de lucndo jure magni momenli agitur, fieri potest, ut non violentiam, quidem, al moralem quamdam coactionem conlra alios operarios adhibere liccat, excludendo eos a bonis indebitis, ne ipsi injuriæ repulsam inefficacem reddanl, modo lamen hi sine proprio damno incurrendo communem cum aliis causam agere possint. Lehmkuhl, ibid. Mais jusqu’où peut aller cette coaction morale sans devenir abusive ; c’est très difficile à préciser.

Ce que l’on peut dire, c’est que jamais, pour entraîner les hésitants ou réduire les opposants, il n’est permis de recourir à la violence. Souvent les instigateurs de la grève, pour la faire réussir, usent de menaces graves, de voies de fait même ; ils vont jusqu’aux coups et blessures à l’égard de ceux qui ne leur paraissent pas assez décidés à la cessation du travail. De pareils procédés sont inadmissibles ; dans aucun cas ils ne sauraient être réputés légitimes, il y a des moyens que la meilleure des fins n’arrivera pas à excuser.

Il est encore communément admis que, le droit de travailler étant un droit certain et rigoureux, on doit n’y apporter aucune atteinte tant qu’il ne se trouve pas en conflit évident avec un droit tout aussi certain, tout aussi rigoureux et d’un ordre supérieur. Si le conflit existe évident, il semble naturel que, toutes choses égales d’ailleurs, le droit d’ordre supérieur ou d’ordre plus général l’emporte. L’on devrait donc accorder que les grévistes, pour défendre leurs intérêts et mettre fin à des abus se produisant à leur préjudice,