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GRÉGOIRE (HENRI


avec l’Église catholique, il se révéla passé maître dans l’art de la controverse cauteleuse et de même, après avoir énergiquement tenu tête aux terroristes, qui menaçaient son honneur et sa liberté, il fit preuve d’une adresse peu commune pour cesser d’attirer l’attention. Il réussit ainsi à vivre, comme son confrère Siéyès, pendant que tant d’autres se montraient même incapables de bien mourir.

Quand des circonstances, qu’il n’avait pas toutes provoquées, le placèrent à la tête de l’Église constitutionnelle, il eut la perspicacité nécessaire pour comprendre que son autorité cesserait d’exister le jour où il en laisserait apparaître l’étendue ; il manœuvra donc avec assez de souplesse pour mettre toujours en avant des compères dociles, auxquels il n’avait qu’à souiller leur rôle.

Il combattait sur le terrain des idées, sans poursuivre d’autre intérêt personnel que celui qu’éprouve un ambitieux satisfait. Très dur pour lui-même, il se sentait en droit de réclamer beaucoup de ses partisans et il entendait être obéi quand l’exigeait le bien de la cause commune. Il dédaigna les premières places, se bornant à exercer une domination occulte et sacrifia volontiers les apparences du pouvoir afin d’en mieux posséder les réalités.

Ce qui fit en grande partie la force de Grégoire et ce qui permet, dans une certaine mesure, de l’excuser, ce fut le plein désintéressement qui caractérise sa vie. Il lutta avec acharnement pour des idées qu’il croyait justes et que sa conscience, étrangement aveuglée, lui faisait un devoir de défendre. Dans ses plus lourdes erreurs, il fut un convaincu et un pur.

Comme écrivain, Grégoire fut d’une fécondité intarissable ; son esprit curieux, servi par une extraordinaire faculté d’assimilation, le poussa à aborder indistinctement les sujets les plus divers : théologie, philosophie sociale, histoire et statistique religieuses, agronomie, sciences naturelles, etc. Quand il siégeait dans les assemblées politiques, il accepta de rédiger d’innombrables rapports et présenta des motions dont quelques-unes étaient précédées de longs préambules, sur une foule de sujets ; l’enthousiasme patriotique lui fournissait une compétence qui ne semble pas trop improvisée.

Si, dans les polémiques, il fut un jouteur redoutable, trouvant, sans les chercher, les traits les plus incisifs, il perdait de ses avantages quand il écrivait. Son style était clair, sa plume alerte, mais il n’avait pas le loisir, dans sa vie enfiévrée, de chercher la perfection littéraire et il ne paraissait pas y tenir.

Ses principaux ouvrages sont mal composés, alourdis par une érudition indigeste, qui n’était même pas de première main et par des digressions interminables qui en rendent la lecture fastidieuse. Il aimait à transposer dans ses volumes nouveaux des chapitres entiers tirés des précédents ; il reprenait sans cesse, sous une forme qu’il ne se donnait pas toujours la peine de rajeunir, des pensées qu’il avait déjà développées ailleurs ; on reconnaît là l’homme tenace qui essaie de vaincre en frappant sans relâche sur le même point comme s’il voulait faire entrer de force dans l’esprit de ses lecteurs la conviction dont il était possédé.

La liste complète des œuvres signées ou anonymes de Grégoire comprendrait plus de 150 articles. J’ai dit sa part prépondérante dans la rédaction des Annales de la religion, journal officiel de son parti ; il collabora pendant toute sa vie aux périodiques dirigés par ses amis : Correspondance sir les affaires du temps (1797), Censeur, Minerve française, Chronique religieuse, Revue encyclopédique, Revue ecclésiastique, etc.

Sa correspondance fui immense : on en peut juger par les lettres qu’il recevait et qui forment une importante collection, classée avec soin, dont la garde est

confiée à M. Augustin Gazier, le savant professeur de la Sorbonne. On sait avec quelle largeur d’esprit M. Gazier ouvre aux profanes le sanctuaire dont, il est le pieux desservant. Sa courtoisie est d’autant plus méritoire que ceux qu’il introduit au milieu de ses trésors ne sauraient partager absolument toutes ses manières de sentir ; mais il est trop droit et trop respectueux des idées des autres pour vouloir leur imposer les siennes.

Grégoire est un des hommes qui ont fait le plus de mal à l’Église de France. Au moment où semblait s’éteindre l’incendie du schisme constitutionnel, il l’a rallumé et l’a attisé pendant sept années ; jusqu’à sa mort, il a. soufflé sur les cendres à peine refroidies. Dans cette lutte ardente, il a usé sans scrupules des armes les plus déloyales pour salir et compromettre ses contradicteurs, pour propager des calomnies, accréditer de ridicules racontars et faire partager par ceux qui relevaient de lui ses préjugés et ses rancunes. Faut-il en conclure qu’il fut un prêtre indigne, sans mœurs et sans foi ? Ceux qui l’ont dit se sont gravement trompés. Grégoire, je le répète, prêcha et propagea les erreurs les plus pernicieuses, mais il en fut la première victime. Obstinément révolté, il se fortifiait dans sa révolte en prenant pour modèles les glorieux martyrs qui avaient résisté aux persécuteurs ; il se regardait comme un persécuté, comme un autre Athanase, un autre Hilaire et ce qui était de l’endurcissement, il s’imaginait que c’était de la constance.

On conserve à la bibliothèque de l’Arsenal de petits cahiers manuscrits qui jettent un jour insoupçonné sur la vie intérieure de Grégoire. Recopiés chaque année, ils renferment d’abord une sorte de calendrier de ses dévotions personnelles : les anniversaires de son baptême, de son ordination, de son sacre, ceux de la mort de ses parents, puis les fêtes des saints pour lesquels il avait un culte particulier : les patrons de sa Lorraine, ceux du diocèse de Blois ; il invoquait saint Grégoire, sénateur d’Autun, puis évêque de Langres ; enfin les saints et saintes de race noire et tous les apôtres des nègres. En appendice, il a fait transcrire les prières spéciales qu’il récitait en leur honneur. Puis vient son règlement de vie spirituelle : la retraite annuelle, la récollection mensuelle, l’examen hebdomadaire, résumé des examens quotidiens, les pratiques à observer pendant les temps de pénitence et aux quatre-temps. Chaque nuit, « après le premier sommeil, » il interrompait son repos, quittait son lit en récitant le verset du psaume cxviii : Media nocle surgebarn ad confilendum libi, et il commençait une longue oraison nocturne.

Comment concilier cette existence toute pénétrée de surnaturel avec son orgueilleux endurcissement et sa fin scandaleuse ? Sept ans après lui, mourait Maurice de Talleyrand, évêque apostat et marié. Par un geste suprême et probablement sincère, le prince de Bénévent avait paru désavouer toute une vie d’égarements et l’Église avait ouvert ses bras tout grands a » vieil enfant prodigue qui s’était humilié. Hautement retranché dans l’infatuation que fortifiait le souvenir d’une carrière sacerdotalement pure, Grégoire s’obstina jusqu’au bout dans son attitude de révolté et perdit ainsi tous les mérites de son abnégation, de son courage, d’une piété sincère, mais inutile, puisqu’elle était mal dirigée. Son orgueil avait flétri d’incontestables vertus.

I. Œuvres de Grégoire. — Éloge de la poésie, couronné par l’Académie de Nancy (1773) ; Essai sur la régénération… des juifs, mémoire couronné par l’Académie de Metz (1788) ; Deux lettres aux curés lorrains (1789) ; Discours prononcé à SaintGermain-des-Prés, le l’r novembre 1789, pour la bénédiction des flammes (fanions) de la garde nationale ; Motion, rapports, discours et opinions publiés en sa qualité de député a la Constituante (1789-1791) ; Mandements, lettres pasto-