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GRÉGOIRE (HENRI)

1856

1790, dès que le décret qui imposait le serment eut été sanctionné par le roi, il se précipita à la tribune de l’Assemblée, afin de ne laisser à personne l’honneur d’avoir été le premier à jurer. Le 18 février 1791, il fut choisi pour évoque dans les deux départements de la Sarthe et du Loir-et-Cher ; il opta pour Blois et fut sacré le 13 niais, à l’Oratoire de la rue Saint-Honoré, par Gobel, assisté par Massieu et Aubry, nouveaux évêques de l’Oise et de la Meuse. Il prit alors un congé d’un mois pour se rendre dans le diocèse que M. de Thémines n’abandonna pas sans protester ; il prit possession et organisa un conseil épiscopal, mais, s’y connaissant mal en hommes, il favorisa des indignes qui déconsidérèrent son administration.

Il lui tardait de retourner à Paris et de retrouver à la Constituante la situation très en vue qu’il s’était faite par son activité et son extraordinaire puissance de travail. Il ne fit pas partie de la Législative et, entre la séparation des Constituants et la réunion de la Convention, il y eut un intervalle d’une année pendant lequel il aurait pu se renfermer dans les devoirs de son ministère épiscopal, mais souvent le politicien qui s’était éveillé en lui reprenait le dessus : l’esprit révolutionnaire transperçait dans ses lettres pastorales et ses mandements. Il prit pour sujet de celui qu’il publia au carême de 1792 : « le devoir pour tous les citoyens de payer exactement leurs contributions. » Présidant, le 14 juillet 1792, les fêtes de la Fédération, son sermon fut une virulente diatribe contre la personne du roi ; il y joignit des insinuations grossières à l’adresse de Marie-Antoinette, qu’il compare à Cléopàtre.

Il avait été élu membre de l’administration départementale et en était le président au mois d’août 1792 ; peu de jours après les massacres des Tuileries, il fit célébrer un service funèbre pour les patriotes qui étaient tombés le 10 août ; il prononça à cette occasion un discours incendiaire sur ce texte : Nolile confidere in principibus. lui même temps, il publiait une lettre pour annoncer l’abolition de la fête de saint Louis, dont le crime était à ses yeux d’avoir régné sur la France. Le 21 septembre 1792, jour où se réunit la Convention, Grégoire prit l’initiative du décret qui abolissait la royauté française. Le 15 novembre, quand l’Assemblée, qu’il présidait, commença à discuter sur le procès du roi, Grégoire demanda la parole pour appuyer la mise en accusation.

Faut-il le ranger parmi les régicides ? Nommé, le 28 novembre, membre de la députation de quatre représentants du peuple qui devait aller organiser républicainement le département du Mont-Blanc, fomupar l’ancien duché de Savoie, il fut absent de Paris pendant trois mois. Il était à Chambéry quand Louis XVI fut jugé et, aux quatre appels nominaux des 16 et 17 janvier 1793, il fut porté « absent pour mission. » Et cependant l’accusation de régicide a pesé sur lui pendant tout le reste de sa vie. Il était légalement excusé, et, en 1816, son nom ne figura pas sur la liste des conventionnels qui furent bannis pour avoir voté la mort de Louis XVI. Ce qui aggrave son cas, c’est que, le 13 janvier 1793, les quatre envoyés de la Convention avaient écrit au président de l’Assemblée : « Par la connaissance que nous avons des trahisons du roi-parjure, nous croyons que ce serait une lâcheté de profiter de notre éloignement pour nous soustraire à l’obligation d’énoncer publiquement notre opinion… Nous déclarons donc que notre vœu est pour la condamnation de Louis, sans appel au peuple. »

Ces paroles semblent correspondre au sentiment intime de Grégoire qui. dans son Essai sur les arbres tir In libellé, écrivait en l’an If, p. IG : Tout ce qui est royal ne doit figurer que dans les archives du crime, » p. 17 : « La destruction d’une bête féroce, la cessation d’une peste, la mort d’un roi sont pour l’humanité des

motifs d’allégresse…, » p. 48 : « L’arbre de la liberté ne peut prospérer qu’arrosé du sang des rois, » et ailleurs : « L’histoire des rois est le martyrologe des peuples, » ou encore : « Les rois sont dans l’ordre politique ce que sont les monstres dans l’ordre de la nature. » Pour se laver de cette terrible imputation, Grégoire s’est prévalu de ce que, dans la lettre de Chambéry, on ne trouve pas les mots « à mort » après celui de « condamnation » ; il a prétendu que ses collègues les avaient écrits d’abord, mais qu’il avait fait de leur omission la condition absolue de sa signature. Il protestait avoir toujours été partisan de la suppression de la peine capitale et il rappela que dans son discours du 15 novembre, il avait formellement dit : « Si Louis est un traître, il faut le laisser en présence de ses remords, et le condamner… à l’existence 1°

En 1801, il essaya de détruire la légende qui s’était accréditée ; pendant le concile constitutionnel tenu à Paris en 1801, il fit présenter par son ami Moïse, évêque du Jura, un mémoire où étaient développés tous ses moyens de défense. Annales de la religion, t. xiv, p. 35-41. En 1819, quand il eut été élu député de l’Isère, beaucoup de ses collègues demandèrent son exclusion pour le motif d’« indignité » . Il se défendit alors avec la dernière véhémence et protesta contre une accusation qu’il déclarait calomnieuse. Le gouvernement trouva dans l’arsenal de la procédure parlementaire un motif différent pour le faire invalider et la Chambre n’eut pas à se prononcer, mais ses adversaires n’ont pas désarme ; ils n’ont jamais cessé de poursuivre sa personne et ensuite sa mémoire, et ses avocats les plus convaincus n’ont pas réussi à effacer complètement le stigmate dont il reste marqué.

Au retour de sa mission en Savoie et à Nice, Grégoire s’enferma dans les travaux obscurs du Comité d’instruction publique ; il dut se prêter à diverses besognes assez méprisables, mais coopéra aussi à des œuvres utiles, comme la création du Conservatoire des arts et métiers, celle du Bureau des longitudes et la restauration de l’Institut de France, auquel il appartint jusqu’à ce que l’épuration de 1815 l’en eût éliminé.

Un jour vint cependant où il sortit de son effacement : le 17 brumaire an II, Gobel, terrifié par les menaces des hébertistes, était venu à la barre de la Convention pour déposer ses insignes épiscopaux et ce fut le signal de ce qu’on a appelé la « déchristianisation » . Les curés et évêques constitutionnels qui siégeaient à la Convention se laissaient emporter par cette vague d’impiété et montaient tour à tour à la tribune pour renier les engagements qui les liaient encore à l’Église. C’est alors que Grégoire entra dans la salle. Il avait été sollicité par les entrepreneurs d’apostasies. M me Dubois, dont il était l’hôte, a raconté que, la veille au soir, deux émissaires du club des jacobins s’étaient présentés à Grégoire ; écoutant à travers la porte, elle avait entendu leurs flatteries, leurs promesses et leurs menaces, scandées par des NON énergiques, seule réponse qu’ils purent obtenir.

Grégoire savait donc d’avance ce qu’on espérait de lui quand il parut à la Convention. lia consigné dans plusieurs de ses ouvrages les courageuses paroles où il affirma sa foi et revendiqua la liberté. A vrai dire, les journaux du temps ne les ont pas enregistrées, soit parce qu’au milieu du tumulte, elles n’avaient été entendues que d’une façon confuse, soit parce cju’il eût été dangereux de reproduire ce langage si peu d’accord avec l’avilissement général des caractères. Grégoire prit soin de rédiger son beau discours, qu’il a peut-être un peu embelli, dans les diverses éditions qu’il en a données. Il n’en est pas moins vrai que cet acte de courage pouvait lui coûter la vie ; il ne s’était fait aucune illusion là-dessus. Bentré chez les époux Dubois, il leur annonça qu’on allait venir l’arrêter ; il acheva de