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GRÉGOIRE VII


milieu des progrès incessants du brigandage, la campagne romaine était devenue la proie d’une hideuse anarchie. Il eut été imprudent pour un pèlerin de se hasarder dans la ville sans escorte ; les bandits volaient jusqu’aux offrandes que des mains pieuses déposaient sur les tombeaux, des apôtres et des martyrs. Les finances pontificales se trouvaient dans un état déplorable et le désordre physique ne pouvait disparaître que par la suppression du désordre moral d’un clergé anémié par l'égoïsme de la simonie et de l’incontinence. Hildebrand fut l'âme du travail réformateur. Il fut le centralisateur de l’idée catholique dans l'émiettement voulu par un épiscopat profiteur. Cinq pontificats jouirent de son activité inlassable. Léon IX (10481054), Victor II (1054-1057), Etienne X (1057-1058), Nicolas II (1059-1061), Alexandre II (1061-1073), trouvèrent dans Hildebrand l’observateur sagace, toujours aux écoutes pour déjouer la faction tusculane et tempérer le zèle méritoire sans doute, mais trop encombrant, des Allemands dans leurs candidatures à la papauté. L’archidiacre sut aussi promouvoir le magistère de ses chefs pour la thèse maîtresse qui fut la raison théologique de sa vie et pour les définitions très spéciales nécessitées par l’hérésie consciente ou inconsciente. Le coefficient théologique de Grégoire VII sera présenté dans son ensemble. Ce sera l’exposé de l’idée doctrinale.

Pour les faits, il faut l’ajouter dès maintenant, pendant la durée de son archidiaconat, Hildebrand, restant sourd aux instances d’un parti ami, qui dès la mort de Léon IX (1054) souhaitait ardemment son exaltation à la papauté, parvint à maintenir, sur le siège de Pierre, toute une génération de pontifes, profondément épris de leurs devoirs. En 1054, l'évêque d’Eichstàtt, Gebhard, lui devait son élection sous le nom de Victor II. En 1057, la vacance du souverain pontificat se produisait en pleine crise impériale. L’empereur Henri III était mort en 1056 dans la fleur de l'âge, laissant la régence et un enfant de six ans aux faibles mains de l’impératrice Agnès. Hildebrand faisait alors élire par les Romains, sous le nom d’Etienne X (1057-1058), le cardinal Frédéric de Lorraine, sans attendre l’approbation de la cour de Germanie. Il partait lui-même vers Ratisbonne pour l’obtenir. A son retour, Etienne X était mort, et le parti tusculan venait d’introniser une de ses créatures, Benoît X (1058-1059). La réforme était compromise. Le gâchis féodal allait dominer à nouveau la vieille cité. D’accord avec la régente Agnès, l’archidiacre lit élire à Sienne, par les cardinaux, Gérard de Bourgogne, évêque de Florence, sous le nom de Nicolas II. La lutte fut sanglante. Mais Benoît X rentrait bientôt dans l’obscurité. Très vraisemblablement, les conseils d’Hildebrand ne furent pas étrangers au célèbre décret de 1059, porté par Nicolas II sur les élections pontificales. Cf. Scheiïer-Boichorst, Die Ncuordnunrj der Papstwahl durch Nicolaus II, Strasbourg, 1879. La cour de Germanie, en tout cas, ressentit vivement l’exclusion dont elle était désormais l’objet de la part de la curie romaine. La mort de Nicolas II (1061) donna le signal d’un schisme. Les cardinaux, partisans de la réforme, furent soutenus par la marquise Béatrix de Canossa, et proclamèrent l'évêque de Lucques, Anselme, qui devint Alexandre II (1061-1073). L'évêque de Parme, Cadaloùs, lui fut opposé sous le nom d’Honorius II par la faction de Tusculum. D’accord avec les Allemands vexés, Hildebrand fut là dans la solution du conflit. L’antipape s'était emparé de Rome. En 1062, le concile d’Augsbourg, convoqué par Annon, archevêque de Cologne, et conseiller du jeune roi Henri IV (1056-1106), condamnait l’antipape. Le pape légitime y était reconnu par de nombreux évêques d’Allemagne et d’Italie. Après deux années de résistance, pendant lesquelles Cadaloùs

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s'était retranché dans le château Saint-Ange, Alexandre II était pleinement reconnu. Les fortes et saines affections de la maison de Toscane pour Hildebrand avaient commencé dans cette crise. Elles ne devaient que s’affirmer au cours du pontificat de celui qui, pendant vingt-cinq ans avant son élection, s'était présenté au monde catholique comme le créateur des papes.

L’archidiaconat d’Hildebrand avait été aussi pour lui occasion de légations à remplir. La plus célèbre lui fut confiée par Léon IX afin de présider le concile de Tours, en 1054. Il s’agissait de Bérenger et de ses théories sur la transsubstantiation. Voir Bérenger, t. ii, col. 725. La mission de Ratisbonne, exposée plus haut, en vue de l’approbation par la cour de Germanie de l'élection d’Etienne X, n’avait pas eu moins de succès que la première.

En fait, si dans cette œuvre de relèvement moral, qui constituait comme le postulat de la vie dogmatique, plus exactement de la vie intégrale de l'Église, Hildebrand ne s'était pas découragé, des amis sérieux, nourris de pensées très humaines et très surnaturelles, avaient su le maintenir en éveil. Le monastère de Cluny et sessuffragants lui avaient pratiquement répondu, en portant en France la voix du réformateur. Ceux du Campo di Maldulo et de Vallombreuse avaient agi en Italie ; en Allemagne, la grande abbaye souabe d’Hirschau avait aussi travaillé. C'était normal. Les grandes conquêtes desvie et vii c siècles s'étaient opérées par les moines. Le rappel était bien compris par Hildebrand. Les fondateurs avaient racines et bases pour devenir réformateurs. Des amitiés princières étaient venues apporter à l’archidiacre un surcroît de confiance. Béatrix de Toscane, comme épouse et comme mère, avait préparé au futur Grégoire VII le fief des fortes résistances. C'était le refuge de l’idée pontificaie centralisatrice, menacée et parfois même écrasée parla tyrannie impériale ou féodale. Mathilde, fille de Béatrix, duchesse de Toscane et comtesse deBriey, ne devait pas l’oublier. Enfin, il fut une relation des plus efficaces, étroitement cultivée par Hildebrand : celle de saint Pierre Damien. Voir Damien Pierre, t. iv, col. 40. Il est évident que le saint religieux de Fonte Avellana du diocèse de Gubbio, en Ombrie, devenu cardinal évêque d’Ostie, de par la volonté d’Etienne X, avait toutes les puissances theologiques et morales, pour réduire l'âme droite et catholique d’Hildebrand. Grégoire VI et Léon IX avaient d’ailleurs écouté la voix de Pierre Damien. Il n’en fallait pas plus pour décider leur fervent disciple. Ce fut un véritable assaut de la part de l’archidiacre de Rome, quand il s’agit d’empêcher son ami de démissionner de sa charge de cardinal-archevêque d’Ostie. Sous Nicolas II, à l’avènement d’Alexandre II surtout, quand les insistances de l’ancien religieux, pour se désister d’une charge qu’il n’avait nullement sollicitée, mais qui lui avait été imposée de force, se firent plus pressantes, Hildebrand trouva la présence de Pierre Damien à Borne très utile et son appui indispensable. Il demanda au pape de retenir son collaborateur malgré lui. Cf. Baronius, Annales, an. 1061, n. 28. Trouvant l’intervention d’un zèle excessif, le saint s’adressa dans la suite à Alexandre II ainsi qu'à l’archidiacre, en traitant celui-ci de « verge d’Assur » et de sanctus Salarias. La gronderie était bénigne. Elle était d’ailleurs bien corrigée par le distique que l'évêque d’Ostie faisait parvenir à Hildebrand :

Papam rite colo, sed te prostratus adoro ; Tu facis hune dominum, te facit ipse Dcum.

Cf. P. L., t. cxliv, col. 967. Au fond, le même zèle excitait bien les deux serviteurs de Dieu. Leur ciel ne s’assombrit jamais que pour donner ensuite des clartés plus grandes. Il est seulement regrettable que la mort

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