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entre la Panormia et le Decretum est fort suggestive à ce sujd : Yves cependant y ouvre encore la place à divers sujets de dogme, 1. I, 1-7, 8-162, P. L., t. clxi, col. 1045, etc. En second lieu, malgré cette allure plus exclusivement canonique, c’est dans les collections cliartraines, dans la Panormia non moins que dans le pi crelum, que fait son entrée pour la première fois tout un chapitre de théologie dogmatique : celui sur l’eucharistie, De corpore et sanguine Domini. Il faut y voir le contre-coup des erreurs de Bérenger, qui avaient semé le trouble un peu partout. Ce traité, plus soigné peut-être qu’aucun autre, donne un libellé remarquable aux inscriptions des canons sur la transsubstantiation et la survivance des espèces ; Gratien en bénéficiera. Voir Eucharistie au xiie siècle, t. iv, col. 1256-1257 et 12941295. Du reste, l’exemple de la Panormia, qui s’interdisait une bonne partie des sujets dogmatiques abordés jusque-là par les canonistes, ne devait pas être suivi partout, et les tendances représentées par Burchard ne disparaissent que lentement. Par contre, comme on le verra plus loin, l’œuvre maîtresse d’Yves aura son retentissement en théologie de diverses manières.

Citons ici, parmi les productions qui subissent l’influence des recueils d’Yves de Chartres, le traité canonico-théologique d’Alger de Liège, Liber de misericordia et justilitia, qui ne s’occupe que de quelques sujets pour leur donner de grands développements : questions relatives aux sacrements, aux réordinations, etc., P. L., t. clxxx, col. 857-969. Les circonstances de l’époque mettaient au premier plan les graves problèmes des sacrements des indignes. Le Pohjcarpus du cardinal Grégoire s’occupe des mêmes matières et en outre imite Burchard de Worms, dans son dernier livre, qui n’a rien de canonique : fins dernières, anges gardiens, etc., titres des chapitres dans Theiner, op. cit., p. 342-345. Vers le même moment, la collection dite Cœsarauguslana, du lieu où on l’a découverte, Saragosse, contient aussi beaucoup de chapitres dogmatiques sur l’eucharistie. En outre, ces deux dernières collections semblent se ressentir des discussions que les dialecticiens avaient mises à l’ordre du jour ace moment sur le rôle de la ratio et de l’auctoritas : nouveau progrès sur Yves de Chartres, qui, sans doute, fournit la plupart de ces textes, mais les dispose sans aucun ordre à divers endroits. Voir de Ghellinck, Dialectique cl dogme aux Xi*-XHe siècles, dans les Mélanges offerts à Cl. Bâumker, Sludien zur Gcschichle der Philosophie, Munster, 1913, p. 94. Dans les ouvrages cités plus haut, l’on pourra trouver encore d’autres collections issues des recueils chartrains ; elles font toutes une place plus ou moins grande aux matières théologiques. Voir de Ghellinck, Le mouvement théologique, p. 304-306 ; P. Fournier, Les collections canoniques attribuées à Yves de Chartres, dans la Bibliothèque de l’École des chartes, 1897, t. lviii, p. 426, 430, 624, etc.

5. Gratien.

L’œuvre de Gratien, pour avoir une

allure beaucoup plus juridique, ne manque pas, elle non plus, de laisser une place aux matières théologiques. Avec les nombreux passages des distinctiones et causas, qui traitent de divers aspects de la question sacramentaire, sacramenta necessilalis, extrême-onction et sa réitérabilité, valeur des sacrements des indignes, des excommuniés, etc., rôle de l’Écriture et des Pères dans les arguments d’autorité, procession du Saint-Esprit ab ulroque, etc., il faut mentionner ici deux traités importants, le De pxiiitentia d’abord, puis toute la partie III, dite De consecraliom, du Decretum. Là, sont agitées des questions essentiellement dogmatiques.

Dans les collections précédentes, l’on a pu assister à la préparation graduelle de ces développements de la doctrine pénitentielle, ou mieux de l’administration de la pénitence. Mais à rencontre de Burchard, d’Yves et des collections italiennes qui fixent une large place à la

partie pratique de la pénitence, le De pœnileniia de Gratien aborde directement le côté dogmatique de la question et montre clairement le contre-coup des écoles de théologie dans l’enseignement du droit canon. L’examen des thèses énoncées alors par les théologiens et l’étude du texte même de Gratien fixe exactement le sens de la célèbre question qui fait l’objet de la dist. I du De pxiiitentia : Si sola contrilione cordis… crimen possit deleri (caus. XXXIII, énoncé de la cause) et des quæritur qu’elle soulève : Ulrum sola cordis contrilione et sécréta salis/aclione absque, oris confessione, quisque possit Deo satisfacere, dist. I. Voir Friedberg, p. 1148, 1159. Ce n’est pas la nécessité, d’une manière absolue, de la confession qui fait l’objet de ce chapitre — elle était admise sans conteste — mais le rôle propre de la confession dans le processus de la rémission. A ce sujet, voir Schmoll, Die Busslehre der Frùhscholastik, dans les Vero/lenllichungen aus dem kirchenhistorischen Seminar, 3e série, Munich, 1909, t. v, p. 39 sq. ; de Ghellinck, Le mouvement théologique, p. 307, 344 ; A. Debil, Le De pœnitentia de Gratien, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, avril 1914, t. xv.

Le De consecralione s’occupe de diverses matières sacramentelles et liturgiques : dédicace des églises, eucharistie, baptême, confirmation, etc., en cinq distinctions de longueur fort inégale. Ici encore, l’on peut constater l’aboutissement de deux siècles de codification. Contentons-nous de citer les nombreux passages relatifs aux sacramentaux, dans les chapitres sur la consécration des églises et ailleurs ; le mot toutefois de sacramentalia n’est pas employé encore par Gratien : c’est Pierre Lombard qui l’emploie le premier, semblet-il, et en tout cas, il se rencontre bien longtemps avant la grande époque théologique d’Alexandre de Halès chez divers glossateurs du canoniste bolonais. Voir Gillmann, Die Siebenzahl des Sakramente bei der Glossatoren des Gratianischen Dekrels, dans Der Katholik (extrait), 1909, p. 8.

La partie dogmatique, sur la conversion dans l’eucharistie et la permanence des accidents, mérite aussi une mention spéciale, comme diverses fois déjà l’on a eu l’occasion de le faire remarquer. Voir Eucharistie au xiie siècle, où l’on trouvera un énoncé précis de théologie sur la transsubstantiation et les accidents eucharistiques permanents formulé par les seuls titres des canons : ceux-ci empruntent beaucoup à Yves de Chartres. Panormia, 1. I, 123-162, P. L., t. clxi, col. 1071-1084. La haute considération dont jouit Gratien dans toute la chrétienté était en tout ceci un sûr garant de la fixité du dogme. L’extension prise par les problèmes sacramentaires dans le De consecralione a même décidé les glossateurs de Gratien à donner à cette partie 1 1 1 le nom de De sacramentis, de re sacramentaria, etc. Voir les préfaces de Rufin, d’Etienne de Tournai, etc., citées à la bibliographie. Le même nom, du reste, sert de titre à la partie III, dans un des plus anciens manuscrits du Décret, utilisé par Friedberg (Cologne, chapitre de la cathédrale, CXXV1I, ancien Darmstadt, 2513), Leipzig, 1878, p. xcv. Un bon nombre des commentateurs de Gratien ne manqueront pas de tirer parti de ces matières, pour étendre davantage encore la doctrine théologique dans leurs écrits.

Mais avant de quitter Gratien, il faut rappeler encore un autre passage, dist. XXIII, can. 8, Presbyter, bien qu’il n’appartienne pas au De consecralione. La portée qu’il a dans une question dogmatique est indéniable ; l’on ne peut, en effet, perdre de vue cet enseignement de Gratien dans le problème si souvent débattu de la matière du sacrement de l’ordre. La tradition des instruments a eu, comme chacun le sait, les préférences de beaucoup de théologiens, souvent même d’une manière exclusive ; mais le texte de Gratien, si hautement respecté dans tout le cours des siècles, a fait toujours