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dans les collections canoniques. D’allure plus spécialement théologique est le développement considérable que prennent ces passages, jusqu’à se transformer parfois en vrais chapitres de théologie positive, comme l’on en trouve chez Burchard de Worms, Decrelum, 1. XIX et XX, P. L., t. cxl, col. 943-1058 ; chez Yves de Chartres, Decrelum, part. XVII, P. L., t. clxi, col. 967, et chez d’autres.

Cette intrusion de la théologie dans les recueils de droit canonique provient, en première ligne, du genre même de ces recueils et du rôle auquel les destinent leurs auteurs : ils veulent être pratiques avant tout et ont pour but de mettre à la disposition du clergé, surtout du supérieur ecclésiastique, tous les renseignements indispensables pour la direction d’un diocèse ou d’une partie de diocèse. Ils appellent cela un recueil manuel, un enchiridion, un codicillam manualem. C’est le mot qu’emploient Réginon de Prum et d’autres après lui. YVassersehleben, Reginonis… libri duo de synodalibus causis et disciplinis ecclesiasticis, Leipzig, 1840, præf., p. 1, 2 ; collection inédite du Vatican, ms. 1339, dans Theiner, Disquisitioncs crMcie, p. 272. Les peuples commençaient à peine à sortir de la barbarie post-carolingienne ; en de tels moments, la théologie pouvait être réduite au strict nécessaire : ni la prédication, ni les connaissances du clergé n’exigeaient grand’chose encore, comme on peut le voir dans les canons des conciles qui s’occupent de l’homélie dominicale et des livres nécessaires aux clercs. Voir J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du XIIe siècle, Paris, 1914, p. 34. Il va sans dire que la prédominance est attribuée par ces recueils aux parties pratiques ; c’est dans celles-ci que s’élargit principalement la place de la théologie. Avant tout, les sacrements et leur administration font l’objet d’une attention spéciale ; de même, les chapitres sur les droits du Saint-Siège à l’obéissance, et sur ses prérogatives de souveraineté, d’universalité, d’infaillibilité, etc.

En outre, les développements donnés à une matière, de préférence à d’autres, seront déterminés par la nature même des sources utilisées, ou par l’objet des controverses agitées à l’époque ou dans le pays de l’auteur ; c’est le cas pour la prédestination et la grâce, chez Burchard de Worms ; pour le sacrement de l’eucharistie, chez Yves de Chartres et chez Gratien ; pour la valeur des sacrements conférés par les indignes, chez tous les auteurs contemporains de la querelle des investitures. Un but nettement déterminé et consciemment poursuivi commande, chez d’autres, le choix des matières traitées et des documents utilisés : c’est le cas chez Anselme de Lucques et chez ceux dont il dérive ou auxquels il sert d’exemple ; ils veulent tous la réforme ecclésiastique et, pour l’accomplir, la reconnaissance des droits du Saint-Siège. Beaucoup de ces questions étant théologiques non moins que canoniques, la solution qu’il fallait donner sur le terrain pratique, au for intérieur comme au for extérieur, supposait déjà, moyennant la réserve apportée plus loin, une réponse sur le terrain doctrinal.

S’il est des traités qui élaguent une bonne partie des matières dogmatiques et se restreignent généralement au seul côté canonique, ils ne rompent pas complètement toutefois avec les habitudes régnantes qui ont uni les deux sciences ; l’on peut citer, comme exemple, la Panormic d’Yves de Chartres ; dans le traité des sacrements, elle fournit sur la confirmation presque autant de matières que la plupart des œuvres théologiques du xii » siècle, et sur l’eucharistie, elle présente tout un agencement de textes patristiques dirigés contre Bérenger, et relatifs à la transsubstantiation et à la permanence des accidents. Les canons formulés dans ce chapitre et les inscriptions qui leur servent de titre, souvent avec beaucoup de précision, passeront en bloc

dans le Décret de Gratien. D’autres fois, les développements relatifs au monde invisible des anges et des démons, ou aux fins dernières, peuvent avoir été inspirés par le désir de faire cesser un certain nombre de croyances et de coutumes superstitieuses, auxquelles le folklore des peuples enfants ouvrait si large place : c’est là, croyons-nous, la raison de ces chapitres dans le Décret de Burchard (fin du 1. XX, p. 41-55) ; de son recueil, ils ont passé chez quelques-uns de ses copistes, comme on le verra plus loin.

Outre cette communauté de matières, qui n’est pas sans influence sur les essais de la codification théologique — ceux-ci suivent d’assez près la codification canonique — les rapports entre les deux sciences au moyen âge s’accusent encore par l’emploi des mêmes textes patristiques, car les recueils canoniques servent souvent de dossier patristique aux théologiens, et par la même méthode dans la conciliation des autorités patristiques. Jusqu’à l’époque de Gratien, la théologie sera plutôt tributaire des canonistes. Dans ces divers domaines, à partir du second quart du xii° siècle, la relation s’établit en sens inverse. Abélard, Hugues de Saint-Victor et Pierre Lombard, pour citer quelques-uns des principaux noms, trouveront souvent écho chez les canonistes, et ceux-ci puiseront à pleines mains chez les théologiens, quand ils s’occupent de théologie.

IL Exposé des relations entre les deux sciences jusqu’à Gratien. — 1° Matières communes.

— 1. Collections jusqu’à la fin de l’époque carolingienne.

— Ces relations commencent surtout avec le groupe des collections rhénanes, représenté par Réginon de Prum et Burchard de Worms. Les recueils précédents, comme le Codex canonum ecclesiaslicorum et la Colleclio decrelorum romanorum ponlificum de Denys-le-Petit, P. L., t. lxvii, col. 139, 230, la collection dite Avellana, édit. Guenther, dans le Corpus scriptorum ecclesiaslicorum de Vienne, 1895, t. xxxv, la Brevialio canonum de Fulgence Lerrand, P. L., t. lxvii, col. 949-962 (courte collection qui suit l’ordre des matières dans ses 232 numéros, mais ne donne qu’un résumé), le Brcviarium canonum, ou mieux la Concordiu canonum de Cresconius, P. L., t. lxxxviii, col. 829-942 (l’ordre des matières, satisfaisant au début, disparaît bientôt de la suite), plus tard la collection Irlandaise, édit. Wasserschleben, Die Irische. Kanoncnsammlung, Leipzig, 1885, ou se contentent de suivre la liste chronologiques de textes sans souci de l’ordre méthodique des matières, ou sont trop éloignées des essais de la codification théologique, et, par suite, n’exercent qu’une influence indirecte sur les prédécesseurs de Gratien, ou sont trop courtes ou conçues dans un sens trop spécial pour ouvrir leurs colonnes aux textes théologiques : Colleclio Avellana, répertoire par ordre historique, précieux surtout pour l’histoire ecclésiastique depuis 367 jusqu’à 553 ; Brevialio canonum, court résumé ; Concordia canonum de Cresconius, puisée dans Denys-le-Petit, donne pas mal de textes sur la rebaptisation, can. 62 sq., op. cit., col. 870 ; la Collection irlandaise, à part le 1. XLVII sur la pénitence, op. cit., p. 196-203, n’a rien de théologique, pas même dans les 1. XXXVIII, De docloribus Ecclesicc, chapitre de pastorale, p. 141-146, ou LVII, De hærcticis, p. 233. Il y a bien aussi l’exemple de l’Hispana, doublée bientôt d’une table systématique des matières (voir 1. IV, tit. iv, v, symboles de foi ; l.VIII, De Deo et quæ sunt credenda de illo ; Maassen, Geschichte der Qucllen und der Literatur des Canonischen Rechls, Gratz, 1870, t. i, p. 667-717, 813-820 ; d’Aguirre, Colleclio maxima conciliorurn omnium Hispanise, Rome, 1754, t. iv, p. 9-56), et celui de la célèbre collection des Fausses Décrétâtes (Hinschius, Decrekdes pseudo-Isidorianse, Leipzig, 1863, p. 99 sq., Trinité et incarnation, etc. ; Môhler, Fragmente aus und ûber Pseudo-Isidor, dans Theologische Quartalschrijt de Tubingue, 1829, p. 177 ;