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GRATIEN

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texte que les maîtres commentèrent et enrichirent

de aloses, et plus d’un canon put prescrire ainsi une valeur légale qu’il ne tenait pas de son origine, sans compter que les commentaires et gloses nous marquent très clairement le sens que leurs contemporains donnaient à tel ou tel texte.

On comprend qu’une œuvre de ce genre fût l’objet d’un grand nombre de copies. Elle dut en être aussi plus d’une fois la victime, ce qui explique la nécessité des corrections faites au xvi c siècle. Dès le xve siècle on en publia trente-neuf éditions. Mais elles laissèrent toutes beaucoup à désirer. Les meilleures, sans la glose, sont celles de Em.-L. Richter, 1836, et de Em. Friedberg, 1879 : cette dernière n’est pas parfaite sans doute, elle surpasse pourtant toutes les précédentes, soit quant à la correction du texte, soit quant aux prolégomènes qu’il lui a donnés.

La bibliographie utile tient en peu d’ouvrages, dont voici les principaux : Sarti et Fattorini, De claris archigymasii Bononicnsis professoribus, édit. de 1896, Bologne ; J. Fr. von Schulte, Die Geschichte der Quellen und der Literatiir des Canonischen Redits, t. i, p. 46-75, qui complétera aussi la bibliographie antérieure à 1875 ; Laurin, Inlroduetio in Corpus juris canonici, 1889 ; le travail indiqué plus haut de M. Paul Fournier, Deux controverses sur les origines du Décret de Gratien, qui conduit jusqu’à 1898 la bibliographie, spécialement sur la date de composition du Décret ; Em. Friedberg, dans les prolégomènes, p. ix-cii, de son édition du Décret, Corpus juris, t. i (1879). Commode résumé dans Ph. Schneider, Die Lehrc von den Kirchenrechtsquellen, 2° édit., 1892, p. 106-125 ; plus sommaire encore dans J. B. Sâgmuller, Lchrbuch des kalholischen Kirclicnrechts, S 41, 2e édit., 1909, p. 149 sq.

A. VlLLIEN.


II. GRATIEN. LA THÉOLOGIE DANS SES SOURCES ET CHEZ LES GLOSSATEURS DE SON DÉCRET.

Si le Décret de Gratien ouvre aux matières théologiques une place plus ou moins grande selon les cas, les recueils antérieurs auxquels il fait des emprunts, et les glossateurs subséquents qui le commentent, se caractérisent par un mélange analogue de questions dogmatiques et de droit canonique. Souvent même, chez ceux-ci comme chez ceux-là, la théologie prend beaucoup plus d’extension que chez Gratien. Les rapports mutuels des deux sciences, à cette époque, influent sur leur développement. C’est à ce titre que ces deux séries de recueils, les sources de Gratien, et les travaux de ses glossateurs (Glossæ, Summiu), doivent intervenir dans l’histoire des doctrines théologiques ; à plus d’un point de vue, elles intéressent même l’histoire du dogme, surtout dans les traités De Ecclesia et de romano pontiflee et De sacramentis in génère et in specic ; l’histoire de l’enseignement scolaire, de l’élaboration des programmes et des méthodes, peut s’éclairer aussi de cette étude.

I. Considérations générales sur les points d’attache des matières théologiques avec les recueils canoniques.
II. Rapports des collections canoniques avec la théologie et le dogme, avant Gratien.
III. Rapports des commentaires et des gloses des canonistes avec le dogme, après Gratien.

I. Considérations générales.

Il n’y a pas lieu de s’occuper de l’aspect de plus en plus juridique que prennent, vers cette époque, le gouvernement de l’Église et son organisation hiérarchique. Cette question regarde l’histoire beaucoup plus que la théologie ; sa place est donc ailleurs. Elle appelle toutefois ici une remarque : sans doute, il serait puéril de vouloir nier la marche rapide, à ce moment, du droit ecclésiastique vers la centralisation gouvernementale ; mais, d’autre part, 1’« amalgame entre dogme et droit, » dont Harnack fait si grandement état, Lchrbuch der Dogmengeschichte, 4e édit., Leipzig, 1909, t. iii, p. 347, et en général, q. 347-354, se présente, dans son exposé, sous un jour qui n’est pas de nature à éclairer complètement la matière. Car l’absence presque complète de décisions doctrinales, depuis l’apparition des Fausses Décrétâtes, s’explique, entre autres, par la barbarie de la période : dans ces milieux peu cultivés, l’hérésie ne trouvait pas le terrain préparé, et si elle se fait jour, elle est purement « grossière et matérielle, » comme le disait déjà Ampère. Histoire littéraire de la France avant le xue siècle, Paris, 1840, t. iii, p. 273. Plus tard, par exemple, sous Alexandre III, les questions théologiques occupent la papauté beaucoup plus que ne le laisse entrevoir Harnack. Op. cit., p. 350. La manière dont les canonistes entendent l’interprétation des lois mobiles et immobiles, par exemple, dit déjà toute la différence qu’ils mettent entre les choses de foi et les choses de mœurs, comme le serait la dîme. Ibid., p. 351. Ce n’est pas la papauté, du reste, qui fait entrer dans les collections canoniques le chapitre dogmatique le plus important et le plus dogmatiquement formulé ; c’est Yves de Chartres, lequel n’est certes pas en progrès sur les canonistes grégoriens dans l’affirmation des droits du Saint-Siège. Enfin, précisément au moment où ce caractère s’accuse davantage dans l’Église, le mélange de la théologie et du droit devient beaucoup moins intense, à en juger par les travaux des représentants des deux sciences. Déjà, chez Gratien, disparaissent beaucoup de ces matières de pure foi, en dehors du De consecratione. Le développement que nous exposons ici ne peut donc être en connexion bien intime avec le mouvement dont s’occupe Harnack et dont, avec quelques nuances, nous retrouvons l’esquisse chez Seeberg, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 2e édit., Berlin, 1913, t. iii, p. 116-118. C’est bien plutôt aux conditions de l’enseignement scolaire qu’il faut attribuer les rapports entre les deux sciences et les emprunts qu’elles se font mutuellement, surtout dans le domaine de la méthode et de la documentation.

Cette revue des sources ne s’étendra guère au delà de l’époque du concile de Latran en 1215, non pas qu’à cette date les rapports entre les deux sciences aient pris fin. Loin de là ; les services rendus aux théologiens par les dossiers patristiques des canonistes se perpétuent pendant tout le moyen âge, jusqu’à se manifester dans la documentation d’Occam, de Wyclif et de Jean Huss. Les manuscrits des Sentences de Pierre Lombard, non moins que les commentaires des grands théologiens sur les Sentences, montrent combien le Décret de Gratien était continuellement utilisé par leurs études. Le De consecratione surtout alimentait de ses textes l’exposé théologique. Mais tout cela est déjà bien postérieur à la période de l’élaboration des deux sciences et d’importance à peu près nulle dans l’histoire des dogmes ; c’est surtout au moment où la théologie commence à s’organiser en un corps de système, qu’il est utile de rechercher quels éléments elle fait intervenir et à quels auxiliaires elle a recours.

II faut remarquer que tout ce qui est dogme parmi ces éléments n’est pas pour cela hors de sa place en droit canon ; il est des manifestations extérieures de la foi, récitation publique des divers symboles, serment de fidélité, profession de croyances, etc., que l’Église, société organisée, exige de ses ministres ou des chrétiens en général. Rien d’étonnant donc si ces formules, ou les textes qui en donnent la substance, trouvent leur place dans les collections canoniques, auparavant comme certains textes des Pères et des conciles avaient trouvé accès dans la législation impériale, à un moment où le christianisme était devenu religion d’État. Codex theodosianus, I. XVI, 1, édit. Mommsen et Meyer.Berlin, 1905, p. 833 ; Codex justinianus, 1. I, 1, édit. Kriiger, Berlin, 1877, p. 7-18 ; voir aussi Alivisatos, Die kirchîiche Geselzgebung des Kaisers Juslinian I, dans Neue Studien zur Geschichte der Théologie und der Kirche, Berlin, 1913, t. xvii, p. 3 sq., 21. Ce n’est donc pas proprement en cela que consiste l’entrée de la théologie