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GRACE


avec l’imputabilité qui lui est propre, n’est pas logiquement défendable, car c’est Dieu qui par la prédétermination physique cause immédiatement le choix de l’homme et cette causalité divine est, par sa nature, antérieure à la coopération humaine ; la prédétermination physique enlève donc précisément cette indifférence physique qui est essentielle à l’émision de l’acte libre et la condition sine qua non de son imputabilité. Si donc l’efficacité de la grâce consiste précisément en cette prédétermination, il en résulte que l’efficacité de la grâce enlève la liberté, l’imputabilité et le mérite. Qu’on ne dise pas : la volonté humaine se détermine elle-même en vertu de la prédétermination divine, comme la cause seconde qui agit sous l’influence de la cause première. Il s’agit ici d’une opération spéciale qui diffère de toutes les autres précisément en ce qu’elle n’est pas déterminée physiquement ni par son objet, ni par une forme, qui fasse que l’acte émis soit précisément tel : pour l’intelligence, par exemple, c’est l’espèce intelligible qui détermine entièrement l’acte cognoscitif ; dans ce cas, la motion divine a pour fonction de faire sortir l’acte de sa faculté, la motion divine se termine formellement à l’exercice de l’acte. Il en est de même de toutes les autres opérations. Mais l’acte libre seul a pour propriété d’être déterminé subjectivement par la faculté elle-même qui l’émet, en tant qu’elle a maîtrise sur son acte ; les objets présentés par l’intelligence spécifient l’acte en ce sens que c’est à l’un ou à l’autre que l’acte se terminera, mais aucun d’eux pris isolément (dant l’hypothèse de l’acte libre) nesulfit à déterminer le choix. Dès lors, si Dieu par une entité physique détermine la volonté humaine à vouloir hic et nunc, eeci plutôt que cela, la volonté humaine subit cette détermination, elle est déterminée et ne peut pas sedéterminer elle-même sous l’influence de la prédétermination divine ; il n’y a pas une double prédétermination, l’une divine, l’autre humaine. Dans l’hypothèse de laprédétermination physique, il est vrai que cet acte est émis vitalement par la volonté, mais cela ne réalise pas l’essence de l’acte libre ; celui-ci doit sortir vitalement de la volonté de telle façon qu’il soit déterminé quant à son objet (vouloir ceci) par la volonté elle-même, et que précisément pour cela il soit imputable à celui qui l’a émis. Si l’on exigeait une prémotion physique non déterminante quant à l’objet du choix, mais produisant le seul exercice de l’acte libre, on ne détruirait pas la notion de liberté.

On dira peut-être : la nécessité de l’acte vient tout entière de ce que la faculté qui le produit est remplie par lui ; si elle n’était pas remplie par l’objet de cet acte, si elle est plus vaste que son objet, elle pourra être mue, prémue déterminément à ce choix, elle ne sera en rien nécessitée. Or, dans le cas qui nous occupe, la volonté n’est pas remplie par son objet, puisque le bien qu’elle choisit est un bien particulier. Donc si elle choisit sous la détermination de Dieu, la volonté n’est pas nécessitée, elle reste libre. Cf. Revue thomiste, 191 1, p. 393. Nous répondons que cette explication ne sauvegarde pas la notion de liberté qui, à notre avis, doit être admise. En effet, de ce qu’une faculté n’est pas remplie par son objet, il résulte que son objet ne suffit pas à déterminer l’acte de cette faculté, que, par conséquent, cet acte n’est pas, d’une manière absolue, nécessité par son objet. Mais l’absence de cette nécessité-là ne suffit pas à la liberté d’indifférence qui implique l’imputabilité du choix ; pour que celle-ci soit réalisée, il faut que la volonté elle-même se détermine activement à vouloir ceci plutôt que cela, il faut qu’un principe extrinsèque (par exemple, Dieu) ne vienne pas enlever à la volonté cette causalité qui est précisément la raison de la maîtrise sur son propre choix et de l’imputabilité de celui-ci. Il y a donc à distinguer une double nécessité vis-à-vis d’un acte : celle qui pro vient de l’objet (ainsi l’homme qui jouit de la vision intuitive de Dieu est nécessité à aimer cet objet qui remplit sa faculté), et celle qui provient d’une détermination physique de la faculté de volonté à un acte qui a pour objet un bien qui ne remplit pas toute la faculté. Quand cette dernière détermination physique se réalise par un principe extrinsèque à la volonté, celle-ci n’a plus la maîtrise sur son acte et celui-ci ne lui est pas imputable.

Enfin il reste la distinction classique des baiïésiens : in sensu divisa, et in sensu composito. La volonté serait libre m sensu divisa, c’est-à-dire quand la prédétennination physique n’est pas encore dans la volonté ; celle-ci ne serait pas libre in sensu composito, c’est-à-dire quand la prédéterminalion physique est produite. Cette distinction ne lève pas la difficulté ; elle ne laisse pas subsister ce qui, à notre avis, est essentiel à l’acte libre, à savoir l’indifférence active de la volonté se déterminant au choix. En effet, dans le système banésien, si l’on considère la volonté en acte premier, elle ne peut pas physiquement se déterminer au choix, parce que la prédétermination physique divine n’existe pas ; dès que celle-ci existe, la volonté est physiquement déterminée à vouloir ceci plutôt que cela. Il n’y a donc pas de place pour l’indifférence active et la maîtrise de la volonté sur son acte. Ce qui ressort plus clairement quand on considère ce que nous avons dit plus haut ; il faut, dans le système banésien, une prédétermination physique à tout acte d’élection. Considérez la volonté en acte premier, supposez-la mue par une grâce actuelle excitante (qui a pour terme l’acte indélibéré) à un acte délibéré de vertu ; si aucune prédétermination physique ne survient (hypothèse impossible), elle ne peut physiquement émettre aucun choix, si survient la prédétermination physique au consentement elle est physiquement déterminée à consentir, si survient, au contraire, la prédétermination physique au dissentiment, elle est physiquement déterminée à vouloir ne pas consentir. Il n’y a donc aucune indifférence physique active, aucune maîtrise de la volonté sur son acte. Et — il faut bien que nous le répétions ici — la prédétermination physique infuse par Dieu ne dépend pas de la prévision qu’il a des dispositions de l’homme d’après lesquelles il consentirait ou refuserait le consentement, indépendamment de la prédétermination physique.

b) Quant aux arguments généraux proposés pour étayer la doctrine banésienne, a. le premier est celui de la dépendance complète de l’homme vis-à-vis de Dieu. Certes l’on doit admettre que toute créature et quant à son être et quant à ses opérations dépend réellement et absolument de Dieu ; il faut admettre encore que, dans l’ordre du salut, tout acte salutaire dépend de la grâce et de Dieu qui est seule cause de celle-ci. Mais le système banésien n’est pas la seule explication possible de cette dépendance. Nous ne pensons pas que pour la sauvegarder il faille admettre la prédétermination physique. En effet, Dieu, en créaul les êtres doués de volonté libre, leur a donné une faculté dont l’opération, qui lui est propre, l’élection, est essentiellement diverse de toutes les autres opérations ; celle dilTércnce consiste précisément en ceci, que la volonté veut ceci plutôt que cela, alors qu’elle pourrait vouloir cela plutôt que ceci ; or il y a dans ce choix une réelle indépendance physique qui ne peut pas être enlevée sans que périsse l’essence même de l’acte libre. Cette indépendance physique soustrait-elle la volonté à la souveraine domination de Dieu ? Non, parce que Dieu peut mouvoir la créature intelligente à tout acte volontaire sans détruire cette indépendance qui est le propre de l’acte d’élection. Cette assertion est pour nous une conclusion nécessaire de la connaissance de la nature humaine et de la connaissance de la nature