Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/212

Cette page n’a pas encore été corrigée
1659
1660
GRACE


grâce suffisante avec Vadjutorium sine quo non, et la grâce efficace avec Vadjutorium quo. Cela n’est pas exact. D’abord, pour saint Augustin, Vadjutorium sine quo non est l’ensemble des dons concédés à Adam avant son péché, c’est l’ensemble des dons par lesquels Adam pouvait persévérer dans l’état d’intégrité dans lequel il avait été créé. Cet ensemble de dons comporte-t-il des grâces internes actuelles excitantes ? On ne peut l’affirmer avec certitude, comme nous L’exposerons plus loin. En supposant qu’on l’admette, on ne pourrait pas en conclure que saint Augustin enseigne qu’il existe maintenant, dans l’état de nature déchue, des grâces purement suffisantes. Car le secours qu’il oppose au premier est l’ensemble des dons qui réalisent de fait la persévérance finale chez les prédestinés, dans l’état actuel de la nature déchue : c’est pourquoi il appelle cet adjulorium quo une gratta potentior parce qu’elle a pour effet de faire surmonter de grandes difficultés qui n’existaient pas pour Adam. L’adjulorium quo est donc l’ensemble de dons qui est efficace en ce sens qu’elle réalise la persévérance finale ; Vadjutorium sine quo est un ensemble de dons qui eût été suffisant pour obtenir la persévérance d’Adam dans l’état d’intégrité ; mais il n’est pas question ici de la grâce actuelle excitante, accordée après la chute d’Adam, et qui peut être ou bien seulement suflisante ou bien efficace. Cf. Palmieri, De gratia acluali, thés. xlvi, n. 8, p. 409 sq.

3. Les conciles et actes officiels de l’Église.

Le IIe concile d’Orange déclare : « Conformément à la foi catholique, nous croyons que tous les baptisés, après avoir reçu la grâce au baptême, peuvent par le secours et la coopération du Christ, s ils veulent fidèlement travailler, remplir tout ce qui est requis au salut. » Denzinger-Bannwart, n. 200. Tous les baptisés ont donc le secours surnaturel suffisant, et par conséquent les grâces actuelles nécessaires pour satisfaire à toutes leurs obligations ; comme en réalité tous n’évitent pas le péché, il y a donc des grâces actuelles vraiment mais exclusivement suffisantes.

La même doctrine est exprimée au concile de Trente. Denzinger-Bannwart, n. 804. De plus, ce concile a employé à peu près les mêmes termes dont s’est servi saint Augustin, dans son livre De spiritu et litlera, c. xxxiv, pour exprimer la liberté de l’homme sous l’influence de la grâce excitante, et le pouvoir qu’il a d’opposer son dissentiment â l’impulsion divine : le concile ne dit pas explicitement que cette motion est vraiment suffisante à obtenir le consentement, mais cette motion est implicite dans ce qu’il dit ; sans la grâce l’homme ne peut pas se préparer à la justification ; sous l’influence de la grâce l’homme peut y refuser son assentiment (illam ab/icerc potest) ; il doil y consentir pour qu’il se convertisse. Il s’agit ici de grâces internes actuelles excitantes, données avant la justification. Denzinger-Bannwart, n. 797, 814.

Luther et Calvin, ainsi que Baius, niaient l’existence de la liberté, et dès lors, au moins implicitement, la grâce vraiment et seulement suflisante. Voir Baius, t. ii, col. 81 sq. ; Calvinisme, t. ii, col. 1401 sq. Les calvinistes, appelés postlapsaires, au synode de Dordrecht (1618-1619), rejetèrent explicitement la distinction de la grâce en suffisante et efficace, et n’admirent que la grâce efficace. Cf. Guillermin, Revue thomiste, 1901, t. ix, p. 509 sq.

Mais c’est surtout Jansénius et ses disciples qui ont nié la distinction susdite, et ont soutenu que, dans l’état actuel de la nature déchue, il n’y avait pas de grâce suffisante qui ne fût en même temps efficace, et que, lorsque l’homme n’opérait pas le bienetn’accom plissait pas les préceptes, c’était parce que la grâce qui les eût rendus possibles lui avait manqué. Jansénius, Augustinus, t. ni. D&gratia Christi, I. III, c. i. Louvain,

1640, col. 249 sq. Innocent X en 1653 condamna cinq propositions de Baius, parmi lesquelles il déclarait hérétique celle-ci : « Dans l’état de la nature déchue on ne résiste jamais à la grâce intérieure. « Denzinger-Bannwart, n. 1093. Les jansénistes continuèrent à défendre la même doctrine, au moins quant à sa substance ; ils furent condamnés à différentes reprises. Alexandre VI IL en 1690, condamna cette assertion : « La grâce suffisante, dans l’état où nous sommes, est plus pernicieuse qu’utile, de façon â ce qu’on puisse légitimement faire cette prière : De la grâce suffisante délivrez-nous, Seigneur. » Denzinger-Bannwart, n. 1296. Voir t. i, col. 754. En 1713, Clément IX condamna les erreurs de Quesnel, et notamment celle-ci : « Quand Dieu veut sauver une âme et qu’il la touche de sa grâce intérieure, aucune volonté humaine ne lui résiste. » Op. cit., n. 1363. La même erreur, renouvelée au synode de Pistoie, fut condamnée en 1794 par Pie VI. Op. cit., n. 1521.

4. Après les discussions que nous venons d’indiquer, les théologiens ont clairement défini la notion de la grâce véritablement et seulement suffisante. Voici en quels termes l’expose Tournély, De gratia Christi, t. ii, q. vii, p. 309 : Nomine gratiæ sufficienlis eam Ecclesia intelligit quie expedilam et relalivam ad présentes subjccli circumstanlias conferl voluntati ad opus bonum potentiam, ac vires pares et xquales superandæ opposila’concupiscenliæ ; nec aliter etiam intelligit gratiæ interiori rcsisti, quam quod co privatur e/fcclu, quem relative ad oppositam actualem coneupiscenliam ex ordinalione et voluntate Dei hic et nunc habere potest. Certains théologiens, pour démontrer l’existence de cette grâce, emploient l’argument suivant : Dieu veut le salut de tous les hommes ; or sans la grâce suffisante, l’homme ne peut pas se sauver ; donc Dieu donne à tous les hommes les grâces suffisantes au salut ; mais il y a des hommes qui ne se sauvent pas ; donc il existe des grâces vraiment et seulement suffisantes. Cette argumentation n’est pas concluante ; la première conclusion ne découle pas strictement des prémisses. Nous admettons cjue Dieu veut, de volonté conditionnée (non absolue), le salut de tous les hommes, et que par conséquent il donne à l’homme le secours suffisant, c’est-à-dire au moins le secours remote sufficiens au salut. Mais il n’est pas démontré que ce secours remole sufficiens est nécessairement la grâce actuelle proprement dite, c’est-à-dire l’illumination surnaturelle de l’intelligence et l’inspiration surnaturelle de la volonté. Dès lors il n’est pas démontré par là que tous les hommes reçoivent, de fait, des grâces proprement dites et qu’il y en a qui ne sont que suffisantes. En effet, d’après ce que nous avons exposé en parlant de la distribution de la grâce, il ne répugne pas qu’un homme adulte puisse mourir sans avoir reçu des grâces proprement dites, car les théologiens admettent que l’homme peut, pendant un certain temps, observer la loi naturelle, sans la grâce ; il a donc alors le secours suffisant, l’énergie naturelle pour éviter tout péché mortel. Mais si pendant ce laps de temps il commet le péché mortel et le multiplie, il met obstacle à l’effusion des grâces de Dieu sur lui : peut-on affirmer que Dieu lui donnera encore des grâces actuelles proprement dites ?

5. La notion de la grâce suflisante que nous avons exposée soulève une difficulté : Comment la grâce suffisante, mais inefficace, peut-elle être un bienfait de Dieu ?

Quand on considère cette grâce en elle-même, elle est un don de Dieu, un secours gratuit, conférant à l’homme le pouvoir d’agir salutairement. Cette notion essentielle ne change pas par le fait cjue cette grâce n’obtient pas son effet, car ceci dépend de la liberté humaine ; l’homme pourrait consentir, mais il choisit le dissentiment, c’est lui qui n’use pas comme il faut