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GRACE

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La doctrine de saint Augustin doit spécialement attirer l’attention. Il ne s’est pas appliqué à démontrer ex professo l’existence de ce que nous appelons grâce suffisante ; il est, au contraire, plus préoccupé de l’efficacité de la « race : ce qui s’explique par le fait que sa mission était de défendre la nécessité de la grâce. Néanmoins Augustin montre clairement qu’il admet une grâce suffisante, c’est-à-dire une grâce donnée par Dieu pour que l’homme puisse agir salutairement et cependant frustrée de cet effet parce que l’homme résiste à ce secours divin. a) Quant au premier point, c’est-à-dire que la grâce est un secours donné pour que l’homme puisse agir salutairement, notons les textes suivants : Sanat Drus non solum ut deleat quod peccavimus, sed ut prsestet etiam ne peecemus. De naturel et gratia, c. xxvi, n. 29, P. L., t. xliv, col. 261. Le secours dont parle saint Augustin est la grâce du Christ et celle-ci, notamment quand il s’agit d’éviter le péché, comprend des grâces actuelles. Ce secours dont il est ici question est encore requis pour persévérer dans la justice, pour vivre dans la rectitude morale : ce secours est de fait accordé aux justes, parce que Dieu ne les abandonne pas lorsqu’eux-mêmes n’abandonnent pas Dieu : non deserit, si non deseratur. Loc. cit. Ce secours divin ne détruit pas le libre arbitre, mais il n’est utile qu’à celui qui veut, qui veut humblement, et qui ne s’enorgueillit pas, comme si les énergies de sa seule volonté suffisaient à pratiquer la justice. Op. cit., c. xxxii, n. 36, col. 265. La nature humaine est blessée ; elle est, par suite de la concupiscence, dans un état où elle ne peut éviter tout péché ; pour la délivrer de cet esclavage, il faut la charité qui est infuse dans nos âmes par le Saint-Esprit, op. cit., c. liii-lin, col. 276-281 ; par cette charité l’homme est délivré de la nécessité morale de pécher. Op. cit., c. lxvi, n. 7’. » . col. 280. Par conséquent au degré de charité correspond le degré de justice : charitas ergo inehoata, inchoata justitia est ; charitas provecla, provecla juslitia est ; charitas magna, magna justitia est ; charitas perfecla, pcrjccii justitia est. Cette charité n’est pas le résultat de notre nature, ni de nos œuvres, mais elle est l’effet du Saint-Esprit, qui par là porte remède à notre infirmité et coopère à notre guérison : c’est en cela que consiste la grâce de Dieu par Jésus-Christ. Op. cit., c. i.xx. n. 84, col. 290. Cf. De gratia Christi, 1. I, c. xxxv. n. 38, P. L.. t. xliv, col. 378. Saint Augustin décrit ici la grâce divine considérée en général, en tant qu’elle est secours ajouté à la nature. « Il ramène toutes les affections humaines à l’amour de Dieu…, mais il n’entend pas alors par charité la vertu théologale de ce nom, ni même l’amour de Dieu en général ; il étend le sens du mot charité à tout amour honnête, à tout acte de vertu, à toute bonne volonté conforme à l’ordre éternel. » Le Bachelet, Baius, t. ii, col. 91. La grâce ainsi entendue est opposée à la concupiscence : celle-ci est la force qui incline l’homme au mal et l’entraîne ; la charité est la force opposée par laquelle l’homme peut éviter le péché, mais il ne l’évite que librement. Cf. aussi De gratia Christi, c. xlvii, n. 52, col. 383 ; Contra duas epistolas pclagianorum, 1. IV, c. vi, n. 12, col. 617 sq. ; De gratia et libero arbilrio, c. iv, n. 6 sq., col. 885 sq.

b) Saint Augustin enseigne donc que la grâce est le secours suffisant pour que l’homme puisse éviter le péché et augmenter en lui la justice ; mais la grâce n’obtient son effet que par la libre coopération de l’homme, et quand celle-ci fait défaut, la grâce n’obtient pas l’effet auquel elle est ordonnée. Ce point de doctrine a été clairement enseigné par saint Augustin après que, par la grâce divine, il avait bien compris que la grâce est distribuée à titre gratuit et qu’elle est nécessaire également au commencement de la foi. Cf. De prsedestinatione sanctorum, c. iv, n. 8, P. L.,

t. xliv, col. 965 ; De dono perseverantise, c. xx, n. 52, /’. /.., t. xlv, col. 1026. C’est en écrivant sa dissertalion a Simplicien que cette lumière lui est venue. Dans cet écrit le saint docteur parle notamment de la vocation : il y a une vocation efficace, qui obtient infailliblement son effet, parce qu’elle est si bien adaptée aux dispositions du sujet qu’elle obtient de fait le consentement ; une autre vocation n’est pas ainsi adaptée aux dispositions du sujet et n’obtient pas le consentement. Cf. Augustin, t. i, col. 2390. La même idée est exprimée dans la lettre ccxvii écrite vers 427 : saint Augustin y réfute celui qui lient que le commencement de la foi n’est pas dû à la grâce, mais au libre arbitre, c’est-à-dire au consentement naturel que l’homme donne après qu’il a entendu proposer la doctrine et la loi divine. Saint Augustin enseigne la nécessité de l’influence divine interne, qui prévient l’homme, prépare sa volonté et fait que i homme consente ; cet effet s’obtient parce que cette grâce interne est apte, accommodée au consentement qu’elle doit obtenir ; l’effet ne serait pas obtenu si Dcus non vocatione illa atta alque sécréta sic agerrt sensum ut ( idem accommodarct assensum. P. L., t. xxxiii, col. 980. Saint Augustin enseigne donc que l’efficacité de la grâce consiste à obtenir le consentement de l’homme. Pour l’objet qui nous occupe maintenant, le texte du De spiritu et litlera, c. xxxiii, xxxiv, P. L.. t. xliv, col. 257 sq., est de la plus haute importance. Saint Augustin y pose la question : « L’acte de volonté par lequel nous croyons est-il un don de Dieu, ou bien procède-t-il naturellement du libre arbitre ? Il répond d’abord que le libre arbitre reste, que par lui l’homme peut croire et aussi ne pas croire, employer bien ou mal sa liberté. Néanmoins l’acte par lequel nous croyons doit être attribué à Dieu ; non en ce sens qu’il sort du libre arbitre reçu par Dieu dans la création, mais bien en ce sens que cet acte est l’effet de l’influence divine sur notre âme ; c’est cette influence cpii produit l’acte de croire ; cependant il reste toujours vrai que le consentement (à la grâce prévenante) ou le dissentiment appartient à la volonté de chacun : profeclo et ipsum velle crederc Deus operatur in liominc et in omnibus miscrieordia cjus prævenil nos ; consentire autem vocationi Dei. pet ab ea dissenlire, sicut dixi, propriæ voluntatis est. P. L., t. xliv. col. 240 sq. Saint Augustin explique ensuite comment cette assertion n’est pas en opposition avec le principe qui, pour lui, est fondamental dans I ;  ; doctrine de la grâce : Quîd habes quod non accepisli ? Les dons qui sont désignés ici, l’âme ne peut ni les recevoir, ni les avoir qu’en consentant : elle consent aux dons divins ; c’est pourquoi ce qu’elle a et ce qu’elle reçoit est de Dieu, mais recevoir et avoir est le fait de sa propre volonté. Si l’on demande pourquoi, parmi les hommes, l’un est travaillé parla grâce, de façon à arriver à la persuasion et à l’acte de foi, et pourquoi l’autre ne l’est pas ainsi, il ne reste qu’à répondre : O allitudo divitiarum. Rom., xi, 33. Loc. cit. Saint Augustin enseigne donc ici que, sous l’influence actuelle de la grâce, l’homme peut y donner ou refuser son consentement : il peut consentir ; la grâce est donc suffisante à obtenir cet effet ; il peut refuser ce consentement, la grâce est alors inefficace. Nous avons ici la notion de la grâce véritablement, mais exclusivement suffisante, non efficace. Nous parlerons plus loin de la pensée de saint Augustin sur la nature de l’efficacité de la grâce.

Beaucoup d’auteurs croient trouver la notion de la grâce suffisante et inefficace dans le livre De correptionc et gratia, c. x sq., P. L., t. xliv, col. 931 sq., où saint Augustin distingue le secours sans lequel l’homme ne peut pas persévérer, adjuiorium sine quo non, et le secours par lequel l’homme persévère en réalité, adjutovium quo. Ces auteurs identifient la