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GRACE

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cernent de la justification doit provenir de la grâce prévenante, c’est-à-dire de la vocation ; par la grâce excitante et adjuvante, s’ils y consentent librement et y coopèrent, ils sont disposés à la conversion et à la justification ; l’opération de Dieu et la coopération de l’homme sont, en outre, expliquées comme il suit : c’est Dieu qui touche le cœur de l’homme par l’illumination du Saint-Esprit ; l’homme peut librement accepter cette inspiration en y consentant (assentiendo), il peut aussi la rejeter en voulant autre chose (dissenliendo). Sess. vi, c. v, et can. 3, 4, Denzinger-Bannwart, n. 797, 8t3, 814. Le concile établit ici, contre les protestants, la nécessite de la grâce et de la libre coopéralion de l’homme : dans l’œuvre de la conversion, la première part revient à la grâce qui prévient, meut, excite ; sous l’empire de cette excitation, l’homme peut librement y consentir ou refuser le consentement ; s’il consent, il coopère avec la grâce. La grâce divine produit l’illumination et l’inspiration : ce sont des actes indélibérés ; le consentement ou le dissentiment, de la part de l’homme, sont des actes délibérés.

Le concile ne dit rien sur une distinction réelle entre la milice excitante et la grâce adjuvante ; sous cette double dénomination il désigne le principe d’où dépend et auquel répond le libre consentement et la libre coopération de l’homme ; mais ce consentement peut aussi ne pas être donné : c’est alors le dissentiment. C’est le libre choix de l’homme qui détermine l’un ou l’autre effet. Après le concile, beaucoup de théologiens, tant de l’école moliniste que de l’école banésienne, ont appliqué principalement, sinon exclusivement, les termes expliqués plus haut à la grâce actuelle, et leur ont donné un sens restreint : ils entendent par grâce excitante la grâce en tant qu’elle suscite l’acte indélibéré dans l’intelligence et dans la volonté ; par grâce adjuvante, la grâce en tant qu’elle est principe de l’acte délibéré. De plus, ils considèrent comme synonymes, d’une part, les termes opérante, prévenante, excitante ; d’autre part, les termes coopérante, subséquente, adjuvante. VoirMolina, Concordia, q. xiv, a. 13, disp. XVII, p. 37 ; disp. XXXIX, p. 223 ; Suarez, De gratta, 1. III, c. xx, n. 8, p. 90 ; c. xxi, n. 14, p. 94 ; c. xxiii, n. 3, p. 100 ; c. xxiv, n. 6, p. 104 ; Goudin, De gratia Dei, q. v, a. 1, p. 252 sq. ; Billuart, Tractatus de gratia, diss. V, a. 1, Summa S. Thomte, Paris, s. d., t. iii, p. 123 sq.

Molina, Concordia, q. xiv, a. 13, disp. XXXIX, p. 222 sq. ; disp. XL, p. 229 sq.. enseigne que la grâce excitante, prévenante, opérante est la même réalité que la grâce adjuvante, coopérante, subséquente ; la première consiste dans les actes vitaux indélibérés ; si l’homme consent (ce qui se fait par le seul acte délibéré de la volonté), cette même grâce est adjuvante. Bellarmin, De gratia et libero arbiirio, 1. I, c. xii, n. 29, p. 244, n’admet pas cette assertion ; pour lui, la grâce coopérante est efficace ab intrinseco ; mais non pas au sens où l’explique l’école banésienne, c’est-à-dire en admettant la prédétermination physique ; Bellarmin réfute cette opinion. Loc. cit., n. 8 sq. ; cf. Le Bachelet, Auctarium Bellarminianum, p. 101 sq. Notons encore que Bellarmin, De gratia et libero arbitrio, c. xiv, n. 8, p. 249, n’admet pas que la grâce opérante concerne uniquement l’acte indélibéré, mais elle a pour effet le premier acte délibéré de la conversion ; tandis que la grâce coopérante a pour effet les actes subséquents. C’est pourquoi Bellarmin donne cette distinction comme une subdivision de la grâce efficace. Mais cette opinion est connexe avec la grande question de l’efficacité de la grâce actuelle que nous exposerons plus loin.

Grâce suffisante et efficace.

Sur le sens qu’avaient

ces mots avant les controverses du xvie siècle, voir Schneeman, Weiterc Entwiclaiung des thomistisch molinischen Controverse, Fribourg-en-Bri=gau, 1880, p. 124 sq. Actuellement ces termes indiquent une division adéquate de la grâce actuelle. Certains théologiens en donnent une explication qui suppose le système auquel ils adhèrent et proposent par conséquent une définition réelle. Pour le moment nous ne donnons qu’une définition purement nominale : la grâce est efficace quand elle est infailliblement connexe avec l’acte salutaire délibéré ; elle est seulement suffi I ante quand elle procure à l’homme le pouvoir d’agir salutairement, mais n’obtient pas ce résultat. En disant de la grâce efficace qu’elle est infailliblement connexe avec l’acte volontaire délibéré, nous faisons abstraction de la manière dont se réalise cette infaillibilité ; nous faisons abstraction de la question de savoir si la raison de cette infaillible connexion se trouve dans la grâce elle-même ou seulement en Dieu, c’est-à-dire dans sa science infaillible.

L’existence de la grâce seulement suffisante et celle de la pràce efficace est un point de doctrine admis par tous les catholiques et contenu dans le dépôt de larévélation.

1. Écriture sainte.

En effet, elle nous révèle que la grâce est nécessaire pour tout acte salutaire, qu’avant la justification il n’est donné que des grâces actuelles, qu’après sa justification l’homme a encore besoin de grâces actuelles pour persévérer. D’autre part, Dieu donne à ceux qu’il appelle les grâces réellement et pleinement suffisantes pour qu’ils puissent suivre cet appel ; il donne aux justes toutes les grâces véritablement suffisantes pour qu’ils puissent persévérer dans leur état et éviter le péché mortel. Cependant il est des hommes qui, de fait, refusent de faire ce à quoi Dieu les pousse, qui résistent à la grâce ; d’autres, au contraire, consentent aux impulsions divines et les suivent. Il y a donc des grâces simplement suffisantes, et il y a des grâces efficaces. L’existence des premières est affirmée dans la plainte du Christ : « Jérusalem, Jérusalem…, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu. » Matth., xxiii, 37.

II y a donc des juifs qui ont reçu des grâces suffisantes à la foi, mais qui librement et coupablement y ont résisté. Saint Paul dit aux juifs : « Ou méprises-tu les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longanimité ? et ne sais-tu pas que la bonté de Dieu t’invite à la pénitence ? Par ton endurcissement et l’impénitence de ton cœur, tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres. » Rom., ii, 4-5. Saint Etienne s’écrie : « Hommes à la tête dure, vous résistez toujours au Saint-Esprit. » Act., vii, 51.

2. Les Pares.

Saint Irénée, en interprétant Matth., xxiii, 37, enseigne que ceux qui ont opéré le bien (il s’agit du bien salutaire) en seront récompensés parce qu’ils ont opéré le bien alors qu’ils auraient pu ne pas l’opérer ; et ceux qui n’auront pas opéré le bien seront punis, parce qu’ils n’ont pas opéré le bien alors qu’ils auraient pu le faire. Cont. hier., 1. IV, c. xxxvii, n. 1, P. ( !., t. vii, col. 1099. Saint Irénée décrit ici la liberté (libertas clectionis) vis-à-vis de la grâce cjue Dieu concède à tous : les uns y coopèrent librement et font ce bien dont la grâce les a rendus capables ; les autres librement ne coopèrent pas et ne font pas ce dont la grâce les a rendus capables ; il y a donc une grâce suffisante et inefficace et une grâce efficace. Cette efficacité dépend, au moins partiellement, de l’exercice du libre arbitre. Une doctrine semblable est exposée par saint Jean Chrysostome, Homil., viii, n. 1, P. C.. t. liv, col. 65. Pour la doctrine des autres Pères, cf. Habert, Theologia Patrum græcorum, 1. II, c. vi sq. ; Tournély, De gratia Christi, Paris, 1724, t. ii, q. vii, a. 2, p." 369 sq.