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GRACE

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et d’autres théologiens répondent que non ; ils disent que la surnaturalisation, produite par la motion à l’acte indélibéré et restée encore dans la volonté quand celle-ci se détermine au consentement, suffit à surnaturaliser cet acte de consentement. Cf. Guillermin, dans la Reuue thomiste, 1902, p. 657 sq. ; Billot, De gratia Christi, p. 155 sq. Il y a cependant à cette thèse une réelle difficulté : la virlus fluens de l’acte indélibéré se termine à cet acte et semble ne pas pouvoir surnaturaliser un autre acte, l’acte d’élection. Le P. Pignalaro, De gratin (lith.), p. 221 sq, enseigne qu’il faut une nouveile virtus fluens supernaturalis pour l’acte d’élection.

III. Division.

Saint Thomas, Sum. theol., I » II æ, q. exi, indique une triple division, a savoir : gratia (jratum /aeiens et gratia gratis data, operans et coopérons, prœveniens et snbsequens. Nous avons expliqué déjà le sens de la première ; il nous reste à parler des deux suivantes, ainsi que d’autres dont saint Thomas ne parle pas à l’endroit cité.

Grâce opérante et coopérante.

Cette distinction

a son fondement dans la doctrine de l’Écriture sainte : on y montre Dieu excitant l’homme au bien salutaire, Eph., v, 14 ; II Tim., i, 9 ; Apoc, iii, 20, et l’aidant à réaliser ce bien. Rom., viii, 26. 30 ; Apoc, iii, 20. Saint Augustin explique clairement ce double effet dû à la grâce divine : Ipse ut velimus operatur incipiens, qui volentibus eooperatur perficiens… Ut ergo velimus sine nobis operatur ; cum autem volumus et sic volumus ut faciamas, nobiscum cooperatur : tamen sine, illo vel opérante ut velimus, vel coopérante cum volumus, ad bona piclalis opéra nihil valemus. De gratia et libéra arbitrio, c. xvii, n. 33, P. L., t. xliv, col. 901. Le IIe concile d’Orange exprime aussi la distinction susdite : Mull t Deus facit in homine bona quæ non facit homo (c’est la grâce opérante). Nulla vero facit homo bona quæ non Deus præslat ut facial homo (c’est la grâce coopérante). Quoties bona agimus Deus in nobis tdquc nobiscum ut operrmur operatur. Denzinger-Bannwart, n. 192, 182.

Saint Thomas, loc. cit., a. 2, explique cette distinction en disant qu’elle exprime divers effets de la grâce, et non diverses entités : c’est la même grâce qui est tantôt opérante et tantôt coopérante. Cette diversité d’effet se trouve réalisée aussi bien pour la grâce sanctiliante que pour la grâce actuelle. La grâce sanctifiante est opérante (non effective, sed formaliler), en tant qu’elle rend formellement l’âme agréable à Dieu, et coopérante en tant qu’elle est principe de l’acte méritoire, qui est un acte libre ; c’est-à-dire quand l’homme justifié opère librement un acte salutaire, c’est la grâce sanctifiante qui est ie principe du caractère méritoire de cet acte : c’est en ce sens qu’elle est coopérante. La grâce actuelle est opérante en tant qu’elle a pour effet une opération salutaire au point de vue de laquelle notre âme est seufement mue et Dieu seul est moteur ; elle est coopérante quand elle a pour effet une opération à laquelle notre âme se meut elle-même en même temps qu’efle y est mue. Cette définition oiïre quelque diffieufté dans son application. Il paraîtrait à première vue que la grâce est opérante quand elle se termine à l’acte indélibéré, et coopérante quand elle se termine à l’acte délibéré, c’est-à-dire au consentement libre donné à l’impulsion divine. Mais tel ne semble pas être le sens de saint Thomas : d’après lui. la grâce est opérante par rapport à l’acte indéliiéré et aussi par rapport à l’acte délibéré, par rapport au consentement librement donné ; mais quand l’homme par ce consentement s’est fixé une fin à atteindre et qu’il y tend par des actes commandés par la volition de cette fin, alors la grâce qui soutient l’homme dans l’exécution de sa volonté est coopérante. Cf. Cajétan, In J am Il’q. exi, a. 2 ; Soto, De

natura et gratia, 1. I, c. xv, fol. 62 ; Alvarez, De auxiliis, disp. LXXXII, c. xlvii ; Billot, De gratia Christi, p. 101 sq. Il faut remarquer encore que la distinction susdite peut s’appliquer à une opération salutaire particulière ou bien à l’œuvre totale de la sanctification personnelle.

Grâce prévenante et subséquente.

Cette terminologie

a son origine dans les. Psaumes lviii, 11, et xxii, 6 : Misericordia ejus præveniet me ; misericordia ejus subsequetur me. Saint Augustin, invoquant ces textes, enseigne que tous les actes salutaires de l’homme sont un effet de la grâce divine et il la décrit en ces termes : Ubi quidem operamur et nos, sed illo (Deo) opérante cooperamur. Prævenit autem ut sanemur, qui cl subsequetur ut eliam sanali vegetemur ; prævenit ut vocemur, subsequetur ut glorificemur ; prævenit ut pic vivamus, quia sine illo nihil facere possumus. De natura et gratia, c. xxxi, n. 35, P. L., t. xliv, col. 264. De même dans l’écrit Contra duas c/iislolas pelagianorum, 1. II, c. ix, n. 21, P. L., t. xliv, col. 586, il attribue le commencement de l’amour du bien à la grâce par laquelle Dieu nous prévient, et l’achèvement à la grâce qui suit. Sous cette terminologie saint Augustin désigne donc des effets différents de la grâce considérée en général. C’est dans le même sens que s’exprime l’Église dans certaines oraisons liturgiques : Tua nos, quæsumus, Domine, gratia semper et præveniat et scquatur. Orat. dom. XVI po ?l Penlescosten. Aetiones noslras. .. adspirando præveni et adjuvando prosequere ut cuncta nostra operatio et oratio a le semper incipial et per te cœpta finiatur. Oral, in sabbato quai. temp. Quadragesimæ.

Saint Thomas, loc. cit., a. 3, enseigne la même chose : cette distinction ne considère que l’ordre de priorité ou de postériorité qui s’établit entre les divers effets attribués à la grâce, soit habituelle soit actuelle ; par exemple, vouloir délibérément un bien salutaire et puis exécuter cette détermination sont deux effets de la grâce ; quant au premier, elle est prévenante, quant au second, elle est subséquente.

Saint Thomas indique d’autres applications, et dans sa réponse ad 2°"’, il affirme de nouveau que cette distinction ne concerne pas l’essence de la grâce, mais seulement ses effets : la grâce en tant qu’elle est prévenante n’est donc pas, de ce chef, réellement distincte de la grâce subséquente ; la grâce subséquente, en tant qu’elle appartient à la gloire céleste, ajoute saint Thomas, n’est pas réellement distincte de la grâce prévenante par laquelle nous sommes justifiés en cette vie. La chanté de cette vie ne disparaît pas au ciel, mais elle y est perfectionnée : de même la lumière de grâce (c’est-à-dire la grâce sanctifiante ) est fa même en cette vie et dans l’autre ; il en est ainsi parce que la charité et la grâce sanctifiante n’incluent, dans leur concept, aucune imperfection.

La doctrine de saint Thomas est, quant à sa substance, la même qu’expose Pierre Lombard, Sent., 1. ii, dist. XXVI, et que tenaient les scolastiques anciens. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II, dist. XXVI, q. vi, Opéra omnia, t. ii, p. 615 sq., et les Scholia, p. 646, 655.

Grâce excitante et adjuvante.

Nous trouvons

ces termes chez saint Augustin : Quocirca quoniam quod a Deo nos averlimus nostrurn est, et hsec est voluntas mala ; quod vero ad Dcum nos convertimus, nisi ipso excitante et adjuvante non possumus, et hœc est voluntas bona. De piccaliiriim merilis et remissione, 1. II, c. xviii, n. 31, P. L., t. xliv, col. 169. Le concile de Trente s’est servi des mêmes termes pour décrire la conversion de l’adulte et les dispositions requises à sa justification ; c’est depuis lors que la distinction susdite a été universellement employée par les théologiens. Le concile parle des grâces actuelles : chez les adultes, le commen-