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ce sont les actes de volonté qui, consécutivement à la délibération intellectuelle, constituent l’élection, le choix libre, et aussi les actes qui sont commandés par l’élection. Mais la controverse dont nous nous occupons porte uniquement sur l’acte libre de la volonté.

a) Doctrine de saint Thomas. — a. Il faut distinguer deux genres de motion dans la volonté : l’une est celle qui procède de l’objet, c’est-à-dire du bien connu par l’intelligence ; le bien connu meut, en ce sens qu’il excite l’appétit ; l’autre motion est celle qui procède de la cause efficiente, c’est-à-dire de ce qui agit physiquement dans la volonté, de ce qui l’incline intérieurement et lui fait exercer l’opération. « La volonté peut être mue par deux principes : par l’objet, et c’est ainsi qu’on dit que ce qui est aimable meut l’appétit (appetibile apprehensum movet appelitum) ; et d’une autre manière par ce qui met intérieurement la volonté en mouvement (alio modo ab eo quod inlerius inclinai voluntatem ad volendum). » S. Thomas, Sam. theol., F II æ, q. lxxx, a. 1. Cf. I a, q. xcv, a. 4 ; q. evi, a. 2 ; De verilate, q. xxii, a. 9 ; De malo, q. ni, a. 3 ; Del Prado, De gratta et libéra arbitrio, Fribourg (Suisse), 1907, t. i. p. xvin ; t. il, p. 143 sq. ; t. iii, p. 13, 98 sq.

Ces deux genres de motions ont chacun une fonction propre : la motion qui procède de l’objet concerne la spécification de l’acte, la motion qui procède de la cause efficiente concerne l’exercice de l’acte, c’est la doctrine explicite de saint Thomas, Sum. theol., F II 11’, q. ix, a. 1. I.a volonté, comme toute autre faculté, quand elle commence à agir, doit être mue ou appliquée à agir : c’est la prémotion physique dont nous avons parlé plus haut. Cf. Sum. theol., loc. cit., a. 4 et 9.

b. Il faut distinguer aussi, dans la volonté, deux genres d’actes : l’un est l’acte spontané, naturel, qui suit nécessairement l’appréhension intellectuelle d’un objet sous la formalité de bien ou de mal : c’est la voluntas ut natura. L’autre est l’acte par lequel la volonté choisit, veut un bien alors qu’elle pourrait en vouloir un autre, c’est la voluntas ut ratio ; c’est l’acte qui suit la délibération ou le conseil. Cf. Sum. theol., F IF, q. xiv, a. 1, 2 ; II » II 11’, q. xlvii, a. 1, ad 2°"’; III » , q. xviii, a. 4, ad 2° m ; De malo, q. xvi, a. 4. L’acte dont nous parlons est décrit par saint Thomas en ces termes : Proprium liberi arbitrii est cleclio. Ex hoc enim liberi arbitrii esse dicimur quod possumus unum recipere alio recusalo, quod est eligere. Sum. theol., F, q. lxxxiii, a. 3. Parmi les biens particuliers qui sont l’objet de l’élection humaine, se trouve aussi le vouloir même : la volonté peut vouloir ne pas vouloir ou vouloir considérer tel bien, prendre une décision sur telle question, etc. Potest autem ratio apprehendere ut bonum non solum hoc quod est velle aut agere, sed hoc eliam quod est non velle et non agere. Sum. theol., I a IF 1’, q. xiii, a. 6. Mais l’acte par lequel la volonté choisit est toujours un acte positif, alors même qu’elle choisit ne pas vouloir quelque chose ou ne pas consentir à une inclination. Cette négation est l’objet de l’acte libre. Sum. theol., F IF’, q. i.xxi, a. 5. Il s’agit de voir maintenant comment cet acte procède de la volonté. Nous supposons que cette faculté est en acte de vouloir un bien comme une fin : alors elle-même se meut à vouloir ce qui est ordonné à cette fin, c’est-à-dire elle se meut à l’élection, à l’acte de choisir : Inlclleclus per hoc quod cognoscit principium, redurit scipsum de potentia in actum quantum ad cognilionem conclusionum ; et hoc modo movet seipsum : et simililer voluntas per hoc quod inilt finem, movet scipsam ad volendum ca quæ sunt ad finem. Op. cit., q. ix, a. 3. Il s’agit d’un passage de la puissance à l’acte : l’intelligence qui est en acte de comprendre un principe est capable (est en puissance) d’avoir la connaissance des conclusions contenues dans ce principe ; or l’intelligence se meut elle-même à cet acte. De même la volonté qui actuellement veut une

fin est capable (est en puissance) de poser l’acte par lequel elle choisit les moyens à cette fin ; or la volonté se meut elle-même à cet acte. Il s’agit ici de tout acte d’élection, quel que soit son objet, qu’il soit, au point de vue moral, bon ou mauvais, et il s’agit de l’émanation physique de cet acte : la volonté elle-même en est cause efficiente. Cette causalité concerne l’exercice même de l’acte de choisir et elle dépend de l’activité par laquelle la volonté veut la fin : c’est cette fin qui constitue la volonté principe actif ou moteur de tout ce qui doit servir à réaliser cette fin. Loc. cit., ad 1’"" et 3°’". Saint Thomas, après avoir expliqué comment la volonté se meut elle-même, examine à l’art. 4 si la volonté est mue par quelque principe extérieur. 11 répond affirmativement : la volonté est mue par Dieu. La raison est celle-ci : pour commencer à agir, pour poser le premier acte de vouloir, celui qui concerne la fin, la volonté doit être mue, doit être appliquée à agir, cette application vient de Dieu. Quant à cet acte, la volonté ne se meut pas elle-même, elle est mue : Dieu est la cause efficiente de cet acte. On voit clairement la différence, au point de vue de la causalité efficiente, entre l’acte qui est motion spontanée, nécessaire, à un bien comme une fin (voluntas ut natura) et l’acte qui est l’élection (voluntas ut ratio) : au premier acte la volonté est appliquée physiquement par Dieu, au second acte elle s’applique physiquement elle-même. A l’art. G de la même question, saint Thomas se demande si la volonté est mue par Dieu seul comme par un principe extérieur. Il répond que Dieu seul peul mouvoir la volonté. Il explique la nature de cette motion dans la réponse à la troisième objection. Nous l’interprétons ainsi : Dieu meut la volonté au bien, c’est-à-dire que la nature de la motion divine consiste à mouvoir la volonté vers l’objet représenté (par l’intelligence ) comme bon : c’est l’objet formel général de la volonté. Sans cette motion l’homme ne peut rien vouloir, il ne peut pas passer de l’état de non-activité à l’activité actuelle. Mais l’homme, au moyen de la raison, au moyen de la délibération, se détermine à vouloir ceci ou cela, qui est vraiment un bien ou un bien apparent. Deus movet voluntatem hominis sicut universalis molor ad universale objectum voluntatis, quod est bonum, et sine hac universali molione homo non potest aliqùid velle, sed homo per rationem déterminât se ad volendum hoc vel illud, quod est verc bonum vel apparens bonum. Remarquons que saint Thomas explique par là pourquoi l’homme peut pécher : c’est parce que lui-même se détermine à vouloir ceci ou cela.

Saint Thomas n’enseigne donc pas qu’il faut une seconde prémotion physique, une application physique spéciale pour l’acte d’élection ; il semble au contraire l’exclure en montrant nettement la différence, au point de vue de l’émanation de l’acte, entre la volition spontanée d’un bien comme fin et l’élection des moyens. Ceci n’exclut pas évidemment l’influence divine sur l’élection, en tant que cet acte reçoit de Dieu l’être : cette influence se ramène au quatrième mode d’après lequel Dieu agit en toute créature, et elle n’est pas un concours simplement simultané, mais elle est aussi, par sa nature, antérieure à l’acte ; seulement elle ne constitue pas formellement cette application à l’acte qui est requise quand une faculté opérative à l’état de repos passe à l’agir actuel. Ce que nous venons de dire concerne à proprement parler l’exercice de l’acte électif. Mais cet acte est d’une nature spéciale, il n’est pas spécifié objectivement par une forme qui est imprimée dans la faculté comme l’est l’espèce intelligible dans l’intelligence. La spécification vient de l’objet représenté par l’intelligence. La volonté ne peut vouloir actuellement que ce qui est présenté actuellement comme bon par l’intelligence. Mais pour le cas de l’acte libre, la volonté n’est pas déterminée nécessai-