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GRACE


l’effet est produit et par Dieu et par la créature, mais la causalité est partagée ; ni Dieu, ni la cause créée n’est cause entière, complète de l’effet. Pour expliquer cela, Molina introduit l’exemple resté célèbre : nox

SECUS W CUM DUO VRAHUNT NAVIMTOTUS MOTUS PROF1-SClCITUn Ail UNOQUOQUE TRABENTIUM, SED NON TANQUAM A IOTA CAUSA MOTUS, SIQUIDE.V QUIVIS EOIiUM SIMUL

EFFICIT CUM altero omnes ac singulas partes ejusdem motus. Ceci encore est inconciliable avec la doctrine de saint Thomas : pour lui, en effet, Dieu est cause entière, totale, de l’opération de la créature, et la créature aussi est cause entière et totale, chacune dans son ordre ; l’activité de la créature est tout entière subordonnée à l’activité de Dieu ; par conséquent la coopération, dont il s’agit, ne peut pas être comparée à celle des hommes qui, en tirant, font avancer un navire ; dans ce dernier cas, l’activité de chacun est, en soi, indépendante de celle de l’autre, non subordonnée, et par suite, au vrai sens, simultanée, tandis que, pour saint Thomas, l’activité de la créature est subordonnée à celle de Dieu, et celle-ci, en conséquence, est par nature antérieure à celle-là. Cf. Contra gent., 1. III, c. lxvii, lxx ; voir aussi Molina, op. cit., disp. XXX, p. 178.

b. Quant à l’ordre surnaturel, Molina fait consister la grâce actuelle prévenante uniquement dans les actes vitaux, op. cit., disp. XLV, p. 256 ; ces actes vitaux sont produits par Dieu, mais il n’y a qu’une distinction de raison entre l’influence de la créature dans le même acte, disp. XXXVIII, p. 215 sq. ; quand il s’agit d’actes posés par l’homme avant qu’il n’ait les habitus infus, Dieu influe en tant qu’il possède lui-même éminemment Vhabiius de la foi infuse, et en tant qu’il supplée la causalité qui est propre à cet habitus, p. 219 sq. Molina n’admet donc pas d’entité physique, transitoire et surnaturelle, qui physiquement surnaturalise l’acte, et, en ce sens, produit l’effet que produirait Vhabiius infus. Suarez défend la même opinion que Molina : pour le concours naturel, voir Opuscula theologica, opusc. I, 1. I, c. v-vn, Opéra omnia, t. xi, p. 22-35 ; pour la grâce, voir De gratia, 1. III, c. i, n. 12 ; c. iv, n. 2, Opéra omnia, t. viii, p. 8, 16. Notons ses paroles : Ego vero nullum taie auxilium internum, potentiisque animainhærens, præter aclus vitales et acliones corum, nec alias qualilates perse infusas agnosco, p. 8 ; Ego vero censco nullam ialem enlitatem infundi, quæ sit prior, lempore vcl natura, ipso aclu gratiæ excitanlis, vel principium proximum ejus, sed solum Spiritum Sanclum immédiate ac per seipsum infundere hos actus elevando potentiam ad conficiendum illos, p. 16. Cependant quant à l’explication ultérieure de la manière dont ces actes indélibérés et surtout les actes délibérés sont rendus surnaturels, il y a divergence entre Molina et Suarez. Cf. Mazzella, De gratia, n. 148153. Bellarmin n’adhère pas à l’opinion de Molina ni pour le concours divin naturel, ni pour la grâce actuelle qui a pour terme l’acte indélibéré ; il admet la prémotion physique et dit que le sentiment qui la défend est celui de saint Thomas. Cf. De gratia et libero arbitrio, 1. IV, c. xvi, p. 324’; De novis conlroversiis inter Patres quosdam ex urdinc pnvdicalorum et P. Ludovicum Molinam ex Societate Jcsu, § 3, publié par le P. Le Hachelet, Auctarium Bellarminianum, Paris. 1913, p. 107 ; voir aussi, p. 10, 19 sq., 31, 34, 92. Mais Bellarmin rejette la prédétermination physique dans l’acte d’élection. Voir op. cit., p. 109 sq., 179 sq. ; De gratia d libero arbilrio, 1. I, c. xii.

c) En ces dernières années, notamment après la publication de l’encyclique JEterni Patris (1879) par Léon XIII, plusieurs philosophes et théologiens ont défendu la doctrine qui établit la nécessité de la prémotion physique, mais qui rejette la prédétermination physique de l’acte d’élection. Voici comment ils raisonnent.

a. Tout être créé qui passe de la capacité d’agir à l’acte, c’est-à-dire qui passe de l’état potentiel ou de repos à l’état d’activité ou d’exercice actuel, donc tout être qui commence à agir, doit être physiquement appliqué à agir par un autre être ; or cet autre être est Dieu ; donc toute créature est appliquée par Dieu à l’opération. La majeure n’est que l’explication du principe analytique : omne quod movetur ab alio movetur ; c’est-à-dire que tout changement qui se produit dans un sujet exige l’action d’un être en acte. Cf. card. Mercier, Ontologie, Louvain, 1902, n. 186 sq., p. 375 sq. L’agir ou l’opération est une perfection physique que n’a pas en soi l’être qui n’agit pas, et que, par conséquent, il ne peut pas se donner à lui-même, car aucun être ne peut donner ce qu’il n’a pas ; la capacité de recevoir une perfection ne peut pas la réaliser ; donc la capacité d’agir ne peut pas être cause efficiente de l’action et le sujet qui est uniquement capable d’agir, qui est en puissance vis-à-vis de son opération, ne peut pas seul et par soi-même s’élever à l’ordre de perfection qui constitue l’opération actuelle. La mineure s’explique : la perfection, dont il est question, est l’opération, c’est une perfection transcendentale, dont la cause première est l’être qui, par essence, est l’action, c’est-à-dire Dieu. Un être corporel peut recevoir d’un autre corps une application immédiate à l’action, mais cet autre corps, pour appliquer le premier, a besoin d’une application provenant d’un troisième corps, et ainsi de suite ; il faut donc nécessairement arriver, dans cet ordre de causalité, au premier être qui meut, sans être mû lui-même, c’est-à-dire Dieu. Les êtres immatériels et les êtres vivants, comme tels, ne peuvent être appliqués immédiatement et physiquement à leurs actes vitaux que par Dieu seul. Outre cette influence divine, qui consiste formellement à appliquer l’agent à son action, il faut l’influence divine dans l’opération elle-même, en tant que celle-ci est aussi un pur être. Cette dernière influence n’est pas non plus un concours purement simultané. Voir card. Billot, De gratia, proleg., i, p. 25 sq.

b. La coopération divine, dont nous venons de démontrer la nécessité, est réalisée par la prémolion physique. Tout être créé, qui commence à agir, passe réellement et physiquement de puissance à acte, acquiert une perfection. Ce passage, comme nous l’avons vii, se fait par une impulsion divine qui précisément fait sortir l’acte de la puissance ; il faut donc que cette impulsion soit une entité, reçue dans la faculté opérative et mouvant physiquement celle-ci à émettre l’opération, à émettre l’action ; cette entité est donc, par son essence, antérieure à l’action et est donc une pré/nul ion /thi/sique.

c. Dans l’ordre surnaturel, il faut une prémotiuii physique surnaturelle, qui détermine physiquement les actes indélibérés d’intelligence et de volonté, par lesquels l’homme est excité et aidé à poser des actes délibérés salutaires. Nous avons démontré précédemment, d’après la doctrine catholique, l’existence de ces actes indélibérés. Nous en cherchons maintenant l’explication. Or, il faut remarquer, d’abord, que ces actes indélibérés sont produits immédiatement par Dieu, qu’ils ne dépendent pas d’actes précédents ; qu’ils constituent une influence spéciale, par laquelle l’homme connaît et aime sicut oporlet ad salulem. En quoi consiste cette influence ? Les actes dont il s’agit sont vitaux, c’est-à-dire des actes qui émanent de la faculté opérative et qui y restent : il faut donc que Dieu applique la faculté à agir, qu’il la fasse entrer en activité, ce qui se fait par la prémotion physique. Cette prémotion appartient à l’ordre surnaturel, car elle est produite immédiatement par Dieu, elle est mise dans une créature qui n’a aucune exigence h être mue ainsi ; car, avant d’avoir cette prémotion, la créature n’est pas constituée en acte premier