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GRACE


la session vi, c. xv, Denzinger-Bannwart, n. « 08, et notamment dans ces deux canons : « Si quelqu’un affirme que l’homme, une fois qu’il est justifié, ne peut plus pécher, ni perdre la grâce et que, par conséquent, celui qui tombe dans le péché, n’a jamais été justifié, qu’il soit anathème. — Si quelqu’un affirme qu’il n’y a pas d’autre péché mortel que l’infidélité, ou bien que la « race, une fois reçue, ne se perd par aucun péché, quelque grave et énorme qu’il soit, excepté par le péché d’infidélité, qu’il soit anathème. » Denzinger-Bannwart, n. 833, 837. Nous devons signaler ici aussi l’erreur de Michel de Molinos qui, parti de principes tout différents de ceux des protestants, était arrivé à soutenir des conclusions contraires à la doctrine de l’amissibilité de la grâce : il enseignait que l’homme pouvait parvenir à un degré tel d’union avec Dieu que les actes mauvais ne lui étaient plus imputés et qu’il ne pouvait plus perdre la grâce. Cette erreur fut condamnée par Innocent XI en 1687. Cf. Denzinger-Bannwart, notamment n. 1272-1281.

2. I.a raison intrinsèque de l’amissibilité de la grâce se trouve : </) dans la possibilité de commettre le péché mortel, ce qui est une conséquence nécessaire de la liberté de l’être créé, qui n’a pas atteint sa fin dernière ; b) dans la contrariété ou opposition entre le péché mortel et la grâce sanctifiante. Celle-ci, comme nous l’avons exposé, est le principe radical, qui ordonne ou oriente l’homme vers Dieu, et elle est inséparablement unie à la charité infuse, de façon que, si elle disparait, la grâce sanctifiante ne peut plus demeurer. Saint Thomas, Sum. theol., II a II æ, q. xxiv, a. 12, démontre que le péché mortel doit nécessairement chasser la charité de l’âme : « dans un même sujet, une entité disparaît quand celle qui lui est contraire survient. Or, tout acte de péché mortel est directement contraire à la charité, quant à ce qui lui est essentiel, c’est-à-dire qu’elle fait aimer Dieu par-dessus tout et qu’elle fait que l’homme se soumet entièrement à Dieu, lui rapportant tout ce qu’il a. Il est donc de l’essence de la charité qu’elle aime Dieu de façon à vouloir se soumettre à lui en toutes choses et suivre en tout, comme règle d’action, les préceptes divins ; car tout ce qui est opposé aux préceptes divins [c’est-à-dire le péché mortel] est contraire à la charité, et par conséquent, est tel, en lui-même, qu’il s’opposa à la coexistence de la charité. Si la charité était une vertu acquise dépendamment de l’activité de l’homme, elle ne serait pas nécessairement expulsée par un seul acte qui lui est contraire… Mais la charité, puisqu’elle est une vertu infuse, dépend de l’action divine qui la produit : Dieu se comporte dans l’infusion et la conservation de la charité comme le soleil dans l’illumination de l’air. De même que la lumière cesserait d’être dans l’air si un obstacle s’opposait à l’action illuminatrice du soleil, ainsi aussi la charité cesse d’exister dans l’âme dès qu’un obstacle s’oppose à l’action divine qui produit la charité dans l’âme. Or, il est évident que tout péché mortel, qui est contraire aux préceptes divins, est un obstacle à l’action divine, dont nous avons parlé ; car par le fait même que l’homme, dans un acte libre, préfère l’objet du péché à l’amitié de Dieu (qui exige que nous suivions la volonté divine), immédiatement par un seul acte de péché mortel la charité se perd. »

Remarque, a) De ce qui précède on peut conclure que les œuvres bonnes sont nécessaires à la conservation de la grâce, non pas en ce sens que les actions exerceraient une influence physique qui maintiendrait l’entité de la grâce, mais en ce sens qu’elles sont la condition requise à cette conservation. En elîet, il y a poulies adultes, des actions obligatoires, dont l’omission constitue un péché mortel. « Si quelqu’un affirme que l’homme justifié, quelque soit le degré de perfection auquel il est arrivé, n’est pas tenu à l’observation des

commandements de Dieu et de l’Église, mais n’est tenu qu’à croire, qu’il soit anathème. » Concile de Trente, sess. vi, can. 20, Denzingcr-Iiannwart, n. 830. De plus, il est d’autres œuvres qui sont requises, per accidens, et indirectement : en effet, des prières, des œuvres de miséricorde peuvent être la condition sine qua non, à laquelle Dieu a rattaché l’octroi de grâce ; actuelles ultérieures, plus abondantes, par lesquelles l’homme surmonte les tentations, qu’il ne vaincrait pas sans ce secours : c’est la juste remarque du P. Hurter, Theol. dogm. comp., t. iii, n. 222.

b) Saint Thomas, Sum. theol., II » II æ, q. xxiv, a. 10, dit : Peccatum mortale totaliter corrumpit charitalem et effective, quia omne peccatum mortale. contrariatur charilali, ut infra dicetur, et eliam meritorie, quia cum peccando morlaliler aliquis contra charitalem agit, dignum est ut Dcus ei subslrahal charitalem. On comprend pourquoi le péché mortel soit cause méritoire de la disparition de la charité : en effet, le péché mortel, étant l’aversion volontaire de l’homme à l’égard de Dieu, a pour peine connaturelle que Dieu cesse d’influer en l’homme cette vertu par laquelle l’homme aime Dieu par-dessus toutes choses. Mais comment faut-il entendre que le péché mortel soit cause efficiente de la disparition de la charité ? Certes, ce n’est pas en ce sens que l’action de pécher détruirait physiquement Ventilé surnaturelle, qui est la vertu infuse de charité, cf. S.Bonaventurc, In IV Sent., 1. îf, dist. XXVf, a. 1, q. v, Opéra, Quaracchi, t. ii, p. 641 ; mais en ce sens que le péché mortel est une disposition, d’ordre intentionnel, essentiellement contraire à la charité et à la grâce sanctifiante, et, par conséquent, incompatible avec elles : cette disposition a donc pour effet nécessaire que Dieu cesse d’influer et de conserver la charité et la grâce dans l’âme ; c’est en ce sens que le péché est une cause efficiente de la destruction de la charité et de la grâce. Voir l’explication de Cajétan, In Sum. theol., ID If, q. xxiv, a. 10 ; de Suarez, De gratin, 1. XI, c. iv, Opéra, t. ix, p. 655.

V. Dispositions a la grâce.

Les enfants et ceux qui ne sont jamais parvenus à l’usage de la raison ne doivent avoir aucune disposition pour recevoir, par le baptême, la grâce sanctifiante. Nous nous occupons donc uniquement des adultes, c’est-à-dire de ceux qui ont atteint l’usage de la raison.

Remarquons d’abord qu’on distingue disposition négative et disposition positive : on appelle disposition négative ce qui écarte ou détruit un obstacle à recevoir un effet ou à poser un acte ; on appelle disposition positive ce qui ordonne positivement un être à recevoir une perfection ou à poser un acte. Considérons, par exemple, un morceau de bois humide : l’humidité est un obstacle à ce que le bois s’enflamme ; si le bois est séché, cet obstacle est enlevé : le bois aura ainsi une disposition négative à brûler ; mais supposons qu’on mette dans ce bois une matière facilement inflammable, cescra pour lui une disposition positive à brûler. Quant à l’homme, la connaissance naturelle de Dieu et de ses perfections détruit l’obstacle qui consiste dans l’erreur : cette connaissance naturelle est une disposition négative à la foi surnaturelle ; l’illumination interne du Saint-Esprit est une disposition positive à la foi. Faisons observer, en passant, qu’on ne peut pas logiquement distinguer besoin positif et négatif ; le besoin d’une chose est formellement l’exigence de cette chose, c’est-à-dire la nécessité d’une chose due à l’être auquel elle fait défaut ; quelle que soit l’origine du besoin, celui-ci suppose toujours une disposition positive (soit prochaine soit éloignée) à la perfection qui fait défaut.

Personne ne nie qu’il puisse y avoir des dispositions négatives à la justification et à la grâce : telles sont la connaissance naturelle des choses divines, les bonnes qualités naturelles, l’absence de vices.