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GRACE

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la grâce fait que l’homme atteigne Dieu par une connaissance surnaturelle et par un amour surnaturel : c’est en cela précisément que consiste l’habitation de ] Dieu. Et qui’t cognoscendo et amando, crcatura rationalis sua operatione attingit ml ipsum Deum, secundum islum specialem modum Deus non solum dicitur esse in crcatura ralionali sed habilare in ca sicut in templo suo. Sam. theol., I’. q. xi. iii, a. 3. La gratia gralum faciens est formellement ce qui dispose l’âme à posséder en elle-même Dieu, le Saint-Esprit. Ibid., ad 3’"". Saint Thomas enseigne aussi que l’union surnaturelle de l’âme avec Dieu est commune aux trois personnes de la sainte Trinité, non seulement en ce sens que les trois personnes sont cause efficiente de l’union, mais encore en ce sens qu’elles sont également le terme de cette union. Sum. theol., III » , q. iii, a. 4, ad 3°’". Cette conclusion suit logiquement du principe énoncé plus haut : en effet, si l’habitation divine consiste en ce que Dieu est objet de connaissance et d’amour surnaturels, et si, comme tous les théologiens l’admettent, c’est la même connaissance et le même amour surnaturels par lesquels nous possédons les trois personnes de la sainte Trinité, il en résulte que les trois personnes sont de même manière le terme de notre union surnaturelle avec Dieu. Aussi saint Thomas admet que c’est par appropriation que l’inhabitation divine est attribuée au Saint-Esprit, en raison de la charité, qui a une ressemblance spéciale avec cette personne divine. De verilale, q. xvii, a. 3, ad 3° u. Le sentiment de saint Thomas peut se caractériser, nous semble-t-il, en disant que l’inhabitation de Dieu dans l’âme du juste consiste fondamentalement dans l’infusion et la conservation de la grâce sanctifiante, et formellement dans la possession de Dieu par la connaissance et l’amour surnaturels : cette possession est d’ordre intentionnel.

Les auteurs qui ont adhéré, avec des nuances diverses d’interprétation, à l’opinion de Petau ont été indiqués à l’art. Adoption surnaturelle, t. i, col. 429 sq. ; il faut y ajouter Mgr Waffelært cjui a repris l’examen de cette question et défendu le sentiment de Petau en la développant. Collaliones Brugenscs, t. xv (1909), p. 441, 513, 625, 673 ; t. xvi (1910), p. 5. Voici le résumé de cette opinion : l’union du juste avec Dieu n’a pas pour cause formelle la grâce créée, qui ne se trouve que dans l’âme et n’est que la cause dispositive de l’acte par lequel on jouit de Dieu ; mais l’union, dont il s’agit, consiste formellement en ce que la troisième personne de la sainte Trinité est appliquée à la personne humaine tout entière, la rend participante de la nature divine, lils adoptif de Dieu et l’unit avec l’objet de la fruilion, c’est-à-dire avec Dieu. Le Père et le Fils sont aussi l’objet de notre fruition, mais le Saint-Esprit est seul le terme de l’union ; celle-ci est une union personnelle, c’est la personne humaine qui est immédiatement unie à la personne du Saint-Esprit, et c’est par lui et en lui que le Père et le Fils habitent dans le juste. L’union susdite consiste dans une relation réelle, d’ordre intentionnel, dont le terme est le Saint-Esprit en tant qu’il est une personne distincte du Père et du Fils, et qui, par cette application du Saint-Esprit, donne à l’homme une dignité morale nouvelle, une personnalité morale, la dignité de fils adoptif de Dieu. Collai. Brug., X.xvi, i). 9-14.

Parmi les auteurs récents qui se sont prononcés contre l’opinion de Petau, il faut signaler Ilugon, Revue thomiste, 1912, t. xx, p. 1 sq. ; Prat, Théologie de saint Paul, IIe partie, Paris, 1912, p. 418 sq. ; Blondiau, dans les Collaliones Namurcenses, t. xii (1912-1913), p. 333 sq.

5° Un autre effet de la grâce sanctifiante consiste à rendre formellement méritoires les actes de l’homme justitié : comme il est établi par la condamnation de Baius. Dënzinger-Bamrwart, n. 1013, 1015. Mais cette question doit être exposée à l’art. Mérite.

IV. Propriétés.

Les théologiens en considèrent généralement trois : la cognoscibilité, V inégalité et l’augmentation possible, l’amissibilité.

La cognoscibilité.

De ce que nous avons précédemment

exposé, il résulte que la notion de la grâce sanctifiante nous vient de la révélation divine et que c’est en raisonnant sur les données révélées que nous avons pu déterminer davantage l’essence de cette entité surnaturelle.

La question qui se pose maintenant est celle-ci : l’homme peut-il savoir qu’il a en lui-même la grâce sanctifiante ?

1. h’Écriture sainte, nous semble-t-il, ne donne aucune réponse certaine à cette question. Les textes, qu’on invoque généralement pour prouver que l’homme ne peut pas savoir qu’il est en état de grâce, n’ont pas de valeur démonstrative. En efïet, le texte : sunt justi ttltjue sapientes et opéra eorum in manu Dei sunt : et iamen nescit homo utrum amorc an odio dignus sit, Eccle., ix, 1, si on le considère dans son contexte, signifie : l’homme, sur cette terre, ne peut conclure des événements qui le concernent, de sa prospérité ou de son malheur, qu’il est agréable à Dieu ou qu’il ne l’est pas ; car les événements heureux et malheureux arrivent aussi bien à l’homme juste qu’à celui qui ne l’est pas. On ne peut donc pas expliquer ce texte de l’incertitude de l’état de grâce. Cf. Gietmann, Commentarius in Ecclesiasten, Paris, 1890, p. 275 ; E. Podechard, L’Ecclésiasle, Paris, 1912, p. 408. Le texte : De propitialo peccalo noli esse sine metu, Eccli., v, 5, ne signifie pas que l’homme doive douter de la rémission de ses péchés, mais qu’il ne peut s’enhardir à multiplier ses péchés, en escomptant leur pardon. Cf. Knabenbauer, Commentarius in Ecclesiasticum, Paris, 1902, p. 82 sq. Saint Paul, I Cor., iv, 4, dit : Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous ou par un tribunal humain : je ne me juge pas moi-même ; car, quoique je ne me sente coupable de rien, je ne suis pas pour cela justifié ; mon juge, c’est le Seigneur. D’abord, quand l’apôtre dit : je ne suis par pour cela justifié, il ne s’agit pas, au moins directement et littéralement, de la justification interne par la grâce ; mais il dit : quoique je me sois acquitté de ma mission apostolique de telle façon que ma conscience ne me reproche rien, cependant je n’ose pas me juger et me déclarer un ministre fidèle. Quelques théologiens, qui admettent ce sens littéral, en déduisent une conclusion, concernant l’incertitude de l’état de grâce ; l’apôtre, disent-ils, affirme qu’il ne peut pas, avec certitude, savoir s’il n’a pas manqué à son devoir dans l’exercice du ministère apostolique. Or ce qu’il dit ici de lui-même, doit pour la même raison, ou a fortiori, se dire de tous les chrétiens, quant aux obligations qui leur incombent ; par conséquent personne ne peut savoir avec certitude s’il est exempt de péché. Cette conclusion s’entend du péché mortel et on en déduit que l’homme ne peut pas connaître avec certitude s’il est en état de grâce. A notre avis, cette conclusion n’est pas contenue dans les prémisses ; en effet, l’apôtre ne parle pas nécessairement du péché mortel, comme s’il disait : je ne me reconnais pas coupable d’un péché mortel dans l’exercice de mon ministère apostolique. L’apôtre parle en général : ma conscience ne me reproche rien, cependant il se peut que j’aie manqué à mon devoir. On ne peut pas interpréter sa parole ainsi : ma conscience ne me reproche rien, cependant il se peut que j’aie commis un manquement qui constitue un péché mortel. L’assertion de l’apôtre se vérifie s’il s’agit d’un simple péché véniel, qui n’empêche pas l’état de grâce. Remarquons enfin que l’apôtre ne dit pas : quoique ma conscience ne me reproche rien, cependant il se peut que je sois actuellement coupable d’un péché ; mais il parle du jugement à porter sur sa manière d’agir antérieure : de ce qu’il ne puisse pas