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GRACE

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ne correspond pas à cette première vocation, Dieu ne donne pas des secours proxime sufficienles à la foi surnaturelle. Mais plus tard Dieu renouvelle ses motions salutaires. Si le païen y consent et y coopère, Dieu donne des secours ultérieurs pour qu’il puisse concevoir la foi formelle et parfaite. Si le païen consent a cela, Dieu donne la grâce pour qu’il puisse recevoir le sacrement de baptême ou le sacrement de désir.

4° La doctrine, que nous avons exposée, est parfois exprimée par l’adage : Facicnti quod in se est, Deus non dclî gai ïjrutiafii. Les scolastiques anciens ont donné cette formule d’après des expressions analogues trouvées chez les Pères. Cf. Tabarelli, De gratia Christi. Rome, 1908, p. 132. La plupart des anciens scolastiques ont entendu cette assertion en ce sens : à celui qui, au moyen du secours de grâces actuelles, fait ce qu’il peut, Dieu ne refuse pas la grâce sanctifiante. Voir, à ce sujet, S. Bonaventurc, In IV Sent., 1. II, dis t. XXVIII, a. 2, q. 1, Opéra, t. ii, p. G82 ; S. Thomas, Sum. theol., I » II’. q. cix, a. 6 ; q. cxii, a. 3 ; l’auteur de l’opuscule, Compendium totius theologicæ veritalis, cf. la note du D r Bittremieux, dans Paslor bonus, 1913, t. xxv, p. 650 sq. : Cajétan, In Sum. theol., I a II"’, q. cix, a. 6 ; sur d’autres auteurs, voir Palmieri, De gratia actuali, thés, xxxiv, n. 5, p. 302 sq. Mais Molina, Concordia, q. xiv, a. 13, disp. X, Paris, 1876, p. 43, explique l’adage en ce sens : à celui qui fait ce qu’il peut par ses énergies naturelles Dieu donne toujours les secours actuels suffisants pour qu’il arrive à la foi et ultérieurement à la justification. Cette explication est, pour Molina, l’expression d’une thèse concernant la distribution de la grâce. Quoiqu’il enseigne que les bonnes œuvres naturelles ne peuvent d’aucune manière exiger ou mériter une grâce, il soutient cependant que le Christ a obtenu que fût établie par Dieu cette règle : à tout homme qui, par ses seules forces naturelles, fera le bien moral qu’il peut, le secours de la grâce sera accordé, de façon que le salut de l’homme, aussi longtemps qu’il vit sur la terre, dépend de son libre arbitre ; Molina établit ainsi une connexion infaillible entre une vie naturellement honnête et la concession de la première grâce. La même opinion est défendue par Suarez, De gratia, 1. IV, c. xv sq., Opéra, t. viii, p. 310 ; Lessius, De gratia efficaci, c. x ; par Mazzella, op. cit., n. 863 ; Jungmann, De gratia, h. 212 sq. ; Pesch, op. cit., t. v n. 215 ; Mgr WalTelært, Méditations lliéologiques, t. i, p. 79 sq. L’opinion ne peut pas être taxée de semipélagianisme ; cette hérésie enseignait au fond que les bonnes œuvres naturelles étaient d’elles-mêmes un titre exigitif à recevoir la grâce ; Molina, et ceux qui le suivent, nient cela et tiennent que les bonnes œuvres naturelles ne sont pas autre chose qu’une disposition négative à la grâce, en ce sens qu’elles empêchent l’homme d’y mettre positivement obstacle par le péché. C’est pourquoi l’opinion de Molina ne méritait pas la censure que lui infligeait l’Assemblée du clergé de France, en 1700. Cf. Hugort, Hors de f Église point de salut, Paris, 1907, p. 91. Néanmoins l’opinion de Molina ne semble pas solidement étayée, parce qu’il admet une connexion infaillible entre la vie honnête naturelle et la concession de la grâce. D’où Vient celle infaillible connexion’? Elle vient d’un pacte que Dieu aurait fait avec le Christ, ou d’une règle que Dieu se serait tracée, d’après lesquels il accorderait la grâce à tout homme qui évite le péché mortel. Mais nous n’avons aucun argument par lequel on puisse démontrer l’existence de ce pacte ou de cette règle. De plus, il nous semble que ce décret, que l’on attribue à Dieu, n’est pas conciliable avec la gratuité, sainement en tendue, qui appartient à la notion de la grâce. Cette gratuité, en elfet, implique que dans l’homme et dans ses (envies naturelles il n’y a de fait aucun titre à recevoir la première grâce. Or si l’on dit que la vie honnête naturelle est de fait une condition à laquelle Dieu a

infailliblement rattaché la concession de la grâce, on doit logiquement conclure que la vie honnête naturelle esl devenue en réalité, par une disposition divine, un titre à recevoir la grâce : d’où contradiction.

lui fin il est impossible de déterminer ce que comporte la vie honnête pour qu’elle soit la condition à laquelle Dieu donnerait la grâce. On trouvera ces arguments développés par Ilugon, op. cit., p. 84 sq. ; Schifhni, De gratia divina, n. 306 sq., 313, 319 ; Tabarelli, op. cit., p. 128-136 ; Billot, De gratia Christi, p. 198-204. Nous dirons donc avec saint Thomas : « Le seul fait de ne pas mettre obstacle à la grâce est déjà l’œuvre de la grâce. » In Epist. ad Hcbrœos, c. xii, lect. iii, Comment, in omnes S. Pauli Epistolas, Turin, 1896, t. ii, p. 436. Qu’on ne nous oppose pas un texte de Pie IX dans sa lettre adressée aux évêques d’Italie, le 10 août 1863, Denzinger-Bannwart, n.1677 : car Pie IX n’y dit pas que ceux qui ignorent invinciblement notre religion observent la loi naturelle sans le secours de la grâce. Il se peut que les infidèles, avec le secours de la grâce, observent la loi naturelle pendant un certain temps, avant d’arriver à la foi surnaturelle. Notons en dernier lieu que les bonnes dispositions naturelles, les bonnes habitudes acquises, surtout un jugement droit et une naturelle connaissance vraie concernant Dieu, sans être un titre à recevoir la grâce, sont cependant utiles au salut ; car elles rendent plus facile la coopération à la grâce, parce qu’elles enlèvent chez l’homme ce qui est un obstacle à cette coopération, en particulier les faux préjugés et les vices.


II. GRACE HABITUELLE OU SANCTIFIANTE

Dans l’article précédent, nous avons établi l’existence de la grâce considérée en général, en tant qu’elle est une réalité interne à l’homme et surnaturelle ; nous avons constaté aussi une double fonction de la grâce : elle est une force permettant à l’homme d’éviter le péché mortel et d’accomplir ses devoirs ; elle est aussi un principe de surnaturalisation, rendant formellement salutaire l’activité qui dérive d’elle. Nous devons maintenant rechercher l’essence de la grâce et nous divisons la matière de cette enquête en deux grandes parties : l’une a pour objet la grâce habituelle ou sanctifiante, l’autre, la grâce actuelle. Sur la grâce sanctifiante :

I. Existence II. Essence. III. Effets. IV. Propriétés. V. Dispositions requises pour la recevoir. VI. Causes.

1. Existence. —

Données scripluraires.


1. Le Christ, comme nous l’avons indiqué plus haut, a enseigné que l’homme, pour être sauvé, doit renaître spirituellement, être par conséquent vitalement transformé. Ioa., iii, 3, 5. Le principe de cette vie est une influence vivifiante, qui part du Christ, vivifie l’homme et l’unit au Christ. Joa., xv, 1-5.

2. Saint Paul enseigne que l’homme est rendu juste et saint, non par ses propres efforts ou ses œuvres personnelles, mais par un don gratuit de Dieu. Rom., iii, 21-22 ; Tit., iii, 4-7. Cf. Prat, op. cit., t. ii, p. 350-366. Voir Justification. Ce don comporte la rémission des péchés : du péché originel, Rom., v, 18-19, des péchés personnels, I Cor., VI, 11, et une réelle rénovation de l’homme, une naissance nouvelle, Tit., iii, 4-7 ; cette naissance nouvelle donne une nouvelle nature, car par cette naissance l’homme est une nouvelle créature, Eph., ii, 8-10 ; Gal., vi, 15, et ce par quoi il est créature nouvelle est aussi ce par quoi il devient capable d’une activité salutaire, Eph., ii, 8-10, qui est une vie nouvelle. Rom., vi, 3-6 ; Gal., ii, 20.

Il s’agit donc ici d’un étal de sainteté et il est réalisé par une réalité, une nature permanente infuse dans l’âme humaine. Cet état de sainteté (et la réalité qui la constitue) est caractérisé ultérieurement par une triple relation qui lui est indissolublement inhérente : une relation avec Dieu le Père, dont le juste est le fils adop-