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GRACE

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secours suffisant pour qu’ils puissent se sauver. — 1. Nous parlons ici des infidèles négatifs, c’est-à-dire de ceux qui n’ont pas la foi, mais sans Eaute de leur part, de ceux qui n’ont pas refusé d’admettre la révélation chrétienne, mais n’ont pas eu l’occasion d’y adhérer. Les infidèles positifs rentrent dans la catégorie des pécheurs.

Nous disons aussi le secours suffisant, admettant que ce secours peut être ou remote ou proxime sufficiens, et nous abstenant de préciser plus loin la nature de ce secours. Dans ce sens, la proposition est défendue communément par les théologiens et tenue pour theologiquement certaine.

Sa démonstration repose d’abord sur le texte de saint Paul : « Avant tout j’exhorte donc à faire des prières… pour tous les hommes… Cela est bon et agréable aux yeux de Dieu notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » I Tim., ii, 1-4. Ce texte, tel qu’il est aujourd’hui communément expliqué, contient l’affirmation de la volonté salvifique de Dieu, étendue du moins à tous les adultes. Cette volonté salvifique ne peut être véritable et sérieuse que si Dieu accorde à ious les adultes le secours suffisant, au moins remote sufficiens, pour le salut de chacun. La concession du secours suffisant est confirmée par ces paroles de saint Jean : « Il (le Verbe) était la vraie lumière qui éclaire tout homme. » Joa., i, 9. Sans entrer ici dans l’exposé des divergences d’opinions concernant le texte original lui-même et son interprétation, nous pouvons affirmer que des Pères et des commentateurs en très grand nombre virent dans ces paroles l’affirmation que Dieu, de son côté, accorde une lumière surnaturelle à tout homme adulte, qui, d’autre part, ne met pas d’obstacle a la réception de son concours. L’enseignement des Pères concernant ce point a été étudié récemment avec beaucoup de soin et de compétence par M. Capéran, Le problème du salut des infidèles. Essai historique, Paris, 1912. C’est une doctrine traditionnelle que tous les hommes peuvent se sauver et qu’ils reçoivent ce qui leur est requis pour atteindre ce but. C’est dans ce sens que les Pères, avant le pélagianisme, ont interprété le texte de saint Paul. I Tim., ii, 1-4. Saint Augustin l’a expliqué d’une autre façon, mais n’a pas été suivi. Cf. Capéran, op. cit., p. 49, 93, 97-103 ; pour saint Augustin, p. 116 sq. Parmi les Pères, dont le témoignage est particulièrement important, il faut citer Orcse, Liber apologeticus contra Pelagium de arbitra liberlale, n. 19-21, P. L., t. xxxi, col. 1188-1190, et surtout l’auteur du De vocatione omnium geniium qui cherche explicitement la solution de cette question : Quseritur ulrum velit Dcus omnes homines salvos fieri et quia negari hoc non potest, cur volunlas omnipotentis non impleatur, inquiritur. L’auteur enseigne, comme saint Augustin, que les vertus des païens ne sont pas des vertus véritables, que la foi, nécessaire au salut, est un don absolument gratuit, que cependant Dieu veut sincèrement sauver tous les hommes, qu’il donne à tous les grâces générales, mais qu’il ne donne pas à tous les grâces spéciales. De vocatione omnium gentium, 1. II, c. xi, xxv, P. L., t. li, col. 706, 710 sq. « La distinction entre les dona generalia et les munera specialia est très heureuse, dit M. Capéran, op. cil., p. 141. L’originalité du De vocatione omnium geniium consiste justement en ce que l’auteur s’en est servi pour expliquer le passage de saint Paul dont les pélagiens se prévalaient contre les augustiniens. » C’est par cette distinction que se dissipe l’antinomie apparente de la question que l’auteur s’est proposé de résoudre et il l’a trouvée implicite dans le texte de saint Paul : Sidvalor omnium liominum, maxime fulelium, I Tim., iv, 10 : « cette maxime, très simple dans sa concision et très énergique, si on la considère d’un regard calme, dirime toute la controverse en ques tion. En disant : Qui est salvalor omnium hominum, l’apôtre confirme que la bonté de Dieu s’étend, universelle, sur tous les hommes. Mais en ajoutant : maxime fulelium, il montre qu’une portion du genre humain, moyennant le mérite d’une foi divinement inspirée, est élevée par des bienfaits spéciaux au suprême et éternel salut. Cela se passe sans aucune iniquité de la part d’un Dieu très juste et très miséricordieux, dont le jugement en ces dispensations de grâce ne doit pas être discuté avec arrogance mais loué avec tremblement. » De vocatione omnium geniium, 1. II, c. xxxi, col. 716. Dans un second synode tenu à Arles, vers 475, on condamna l’opinion d’après laquelle le Christ n’est pas mort pour tous, et n’a pas voulu le salut de tous les hommes ; on ne peut admettre non plus que le damné n’a pas reçu les secours nécessaires au salut. Cf. Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. ii, p. 909 sq. Les seolastiques ont accentué l’enseignement de la volonté salvifique étendue à tous les hommes et mis en lumière cette loi providentielle : des moyens de salut sont olïerts à tous les hommes. Ils ont aussi rencontré les diverses objections que suscite cette assertion, notamment celle qui concerne la nécessité de la foi et la nécessité d’appartenir à l’Église. Ce n’est pas ici l’endroit d’exposer en détail ce qui concerne ces matières. Cf. Capéran, op. cit., p. 109-218. Voir Église, t. iv, col. 2155-2175 ; Foi, t. vi, col. 512.

Parmi les erreurs jansénistes condamnées en 1690 par Alexandre VIII nous trouvons cette proposition : « Les païens, les juifs, les hérétiques et d’autres semblables ne reçoivent aucune influence de Jésus-Christ, d’où l’on conclut logiquement qu’il n’y a en eux qu’une volonté nue et impuissante, sans aucune grâce suffisante. » Denzinger-Bannwart, n. 1295. Il faut donc admettre que l’influence du Christ s’étend aussi aux païens, etc., que la grâce suffisante est donnée aussi aux personnes infidèles, etc. ; on ne pourrait cependant pas conclure de ce texte que tous les païens, juifs, hérétiques, etc., reçoivent de fait la grâce suffisante. Le texte ne fait pas plus qu’énumérer des catégories de personnes auxquelles la grâce est accordée. Mais la doctrine qui a dicté la condamnation est celle qui concerne la volonté salvifique de Dieu et qui affirme que Dieu donne à tous les hommes le secours suffisant au salut. C’est ce principe qui constitue la raison théologique de la proposition que nous avons démontrée.

2. Mais la difficulté surgit quand il faut expliquer comment Dieu réalise sa volonté salvifique, notamment comment il rend possible la foi nécessaire au salut, étant donné que tant d’hommes semblent privés de toute connaissance concernant la révélation divine. Ce n’est pas cette question qu’il nous faut traiter ici. M. Capéran. dans l’Essai théologique, qui fait suite à son Essai historique, nous paraît avoir bien exposé et défendu la solution de ce problème, voir surtout p. 83 sq. Mais la foi n’est pas la première grâce, il y a des grâces qui précèdent la foi, cf. Denzinger-Bannwart, n. 1376, 1377, 1379 ; il peut y avoir des secours, destinés immédiatement à donner à l’homme le moyen d’éviter le péché et qui ne sont pas encore un moyen immédiat d’arriver à la foi. Pour expliquer la proposition démontrée plus haut, nous devons donner des éclaircissements sur le terme secours suffisant.

Remarquons d’abord que les théologiens se contentent d’enseigner que tous les hommes auront le secours au moins remole sufficiens ad salutem. Que faut-il entendre par là ? Plusieurs admettent, sous cette dénomination, des motions surnaturelles quoad modum lantum, c’est-à-dire des impulsions, en elles-mêmes naturelles, mais ordonnées par Dieu à des secours surnaturels dans leur entité, que l’homme recevra s’il coopère aux premières motions. Nous avons exposé ci-dessus que l’existence des secours quoad modum