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GRACE

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cette fin, et peut s’en détourner, et cependant connaître et faire librement des actes conformes à la loi naturelle ou à certaines lois positives. De là, il faut distinguer les actes salutaires et les actes simplement et uniquement honnêtes.

Une double question se pose maintenant : la "race est-elle nécessaire pour que l’homme fasse des actes simplement honnêtes ; est-elle nécessaire pour que l’on puisse faire des actes salutaires ?

1. Nécessité de la grâce pour les actes salutaires. — Nous entendons ici, par salut, la sainteté ou la nerfeclion morale, telle qu’elle est exigée dans l’ordre actuel, les fruits de la rédemption du Christ, le bonheur éternel dans l’autre vie ; salutaire est toute action qui conduit positivement l’homme à cet ordre de choses ou qui émane de l’homme en tant qu’il y participe déjà.

Jésus Christ enseigne que rien n’est possible dans l’ordre du salut sans la grâce. Après avoir exposé la perfection morale que doivent réaliser ses disciples, Matth., v, 1-vn, 6, il indique le moyen d’y parvenir : c’est la prière persévérante qui obtient le secours divin, Matth., vii, 7-11 ; ce secours, ce principe de perfection morale, c’est le Saint-Esprit. Luc, xi, 13. Ceux qui sont les disciples du Christ possèdent le royaume de Dieu. Luc, vii, 32. Personne ne peut entrer dans le royaume de Dieu sans renaître par l’eau et le Saint-Esprit, Joa., iii, 5 ; cette vie nouvelle est mystique et surnaturelle, puisqu’elle a le Saint-Esprit pour principe. Il existe une union intime et mystique entre le Christ et ses disciples : il est la vigne et ses disciples en sont les branches ; c’est du Christ qu’ils doivent recevoir la vie qui les rend capables de faire des œuvres saintes ; sans le Christ ils ne peuvent accomplir aucune œuvre qui appartient à cet ordre, Joa., xv, 1-5 ; il s’agit ici de la même vie surnaturelle, de cette vie qui s’obtient dans une seconde naissance par le Saint-Esprit. Cette vie dans le Christ a pour conséquence l’observation des préceptes divins, qui a son principe dans l’amour envers le Christ, ibid., 8-10, et avec cet amour coexiste l’habitation de la sainte Trinité dans l’âme. Joa., xiv, 23. Ces textes enseignent donc la nécessité d’une influence surnaturelle, interne, vitale pour toute autre œuvre salutaire. Le Christ, parlant du commencement de la vie chrétienne chez les adultes, c’est-à-dire de la foi en lui, affirme que cette foi est un don de Dieu ; que personne ne croit sans qu’il n’y soit attiré par le Père, Joa., vi, 44, G5-66 ; il s’agit ici encore d’une influence surnaturelle.

Saint Paul, I Cor., ni, 4-6, parle de ceux qui prêchent l’Évangile et dit que ce n’est pas à leur prédication qu’est due la foi de ceux qui les écoutent, mais à l’influence divine. C’est aussi à l’influence divine que les prédicateurs doivent d’avoir des pensées opportunes dans leur prédication, II Cor., iii, 5 ; on peut en conclure que les fidèles aussi n’ont pas de pensées salutaires sans l’influence divine. Le salut, le fait d’être participants de la rédemption du Christ, est indépendant des actions humaines, comme telles, même de l’observation de la loi comme telle : il est un don gratuit de Dieu ; ceux qui le reçoivent sont créés dans le Christ, c’est une nouvelle existence qu’ils reçoivent. Rom., iii, 22-28 ; Eph., ii, 8-10. C’est donc à la grâce qu’est due l’activité salutaire tout entière. Le travail personnel, que l’homme, déjà justifié, doit faire pour persévérer, est encore, en dernière analyse, dû à l’influence divine : c’est Dieu qui opère en l’homme le vouloir et l’exécution de l’œuvre salutaire. Phil., ii, 12, 13. Cf. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, p. 125 sq. La nécessité de la grâce pour être délivré de la servitude du péché, pour être capable de l’éviter, est aussi clairement exprimée par saint Paul, par exemple, Rom., vi, 17 ; vii, 7-vin, 2 ; Eph., ii, 3 ; le fait d’obtenir la justification est un effort, non des actions volontaires

comme telles, mais de la miséricorde divine, Rom., ix. 16 ; cet effet, comme il résulte de l’ensemble de la doctrine de saint Paul, est la grâce interne : celle-ci est donc absolument nécessaire à tout ce qui mène l’homme à l’état de justification. Cf. Hartmann, Lchrbuch der Dogmalik, Fribourg-en-Rrisgau, 1911, p. 423 sq.

Quant à la tradition, remarque le même auteur, il y a différence, au point de vue qui nous occupe, entre les Pères avant et après l’hérésie pélagienne, et, pour l’époque qui précède Pelage, entre les Pères grecs et les Pères latins, p. 424 sq.

Quoi qu’il en soit de ce dernier point, on ne trouve chez les Pères, avant saint Augustin, aucune négation de la nécessité de la grâce ; au contraire, beaucoup l’affirment, par exemple, S. Irénée, Conl. hær., I. III, c. xvii, n. 2, P. G., t. vii, col. 930 ; Tertullien, De anima, c. xxi, P. L., t. ii, col. 685 ; Origène, De principiis, 1. III, c. i, xviii, xxii, P. G., t. xi, col. 289, 291, 301 ; S. Ambroise, In Lucam, 1. II, 84, P. L., t. xv, col. 1583 ; Marius Victorinus, In Epist. ad Phil., ii, 12 sq., P. L, , t. viii, col. 1212 ; S. Grégoire de Nazianze, Orat., xxxvii, 13, P. G., t. xxxvi, col. 297 ; S. Grégoire de Nysse, Orat., iv, de oratione dominica, P. G., t. xliv, col. 1166 ; De instilulo christiano, P. G., t. xlvi, col. 304 ; S. Jean Chrysostome, In Genesim, homil. xxv, 7, P. G., t. lui, col. 228. Cf. Tixeront, op. cit., t. ii, sur les Pères grecs, p. 145 sq., sur les Pères latins, p. 280 sq.

La doctrine de Pelage, développée par Celestius et défendue avec ardeur par Julien d’Éclane, voir Augustin, t. i, col. 2280 sq., contenait la négation de la nécessité de la grâce ; on y affirmait que l’homme peut, par sa libre volonté, vouloir et réaliser tous les préceptes divins et, par conséquent, être juste devant Dieu. On ne distinguait pas entre les préceptes de la loi naturelle et ceux qui sont surajoutés par la révélation ; on considérait tout l’ensemble des obligations qui incombent à l’homme, et on affirmait leur observation possible par l’énergie de la volonté.

Contre cette thèse générale Augustin écrivit, à la fin de l’année 412, le livre De spirilu et littcra, où, après avoir indiqué l’erreur, c. ii, n. 4, il expose la doctrine catholique : l’homme, bien qu’il soit libre, alors même qu’il connaisse ses devoirs, doit cependant recevoir le Saint-Esprit, qui lui donne l’amour requis à l’accomplissement du bien moral, c. m ; c’est lui qui est la source de la perfection morale, c. v, de la délivrance du péché, c. vi, de la justice ou de la vie réellement bonne au point de vue moral, c. vii, P. L., t. xlii, col. 202-207. Cette même doctrine fut défendue par Augustin dans divers écrits subséquents, voir Augustin, 1. 1, col. 2296 sq., dans divers conciles, voir Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. ii, p. 168 sq., et dans les lettres du pape Innocent I er, de 417, P. L., t. xx, col. 584, 586, 587, 591. L’important concile de Carthage, qui s’ouvrit le 1 er mai 418 et où plus de deux cents évêques se trouvaient réunis, proclama la nécessité de la grâce notamment dans trois canons : la grâce divine, par laquelle l’homme est justifié, ne procure pas seulement la rémission des péchés commis, mais elle est un secours donné pour que l’homme évite les péchés, can. 3 ; cette même grâce est un secours, non seulement en ce sens qu’elle nous fait connaître ce que nous devons faire et éviter, mais en ce sens qu’elle nous fait aimer et nous rend aptes à réaliser nos devoirs, can. 4 ; cette grâce n’est pas donnée pour que nous puissions avec elle accomplir plus facilement ce qui nous est ordonné, mais elle est donnée pour que nous devenions capables d’accomplir les préceptes divins : ce que nous ne pouvons pas sans elle. Denzinger-Bannwart, n. 103-105. Ces canons furent approuvés par le pape Zosime, dans sa célèbre Epislola tracloria. Ces décisions proclament donc la nécessité absolue