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GRACE

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naturelle « lu besoin divin, il n’y a plus de place pour la grâce dans la sainteté humaine ; enfin si l’on disait que l’examen dos tendances psychologiques de l’homme conduit à la conclusion qu’un secours de Dieu est nécessaire, ce secours serait naturel, puisqu il est exigé par la nature humaine.

Les passages de l’encyclique Pascendi, qui concernent ce que nous venons d’indiquer, se trouvent dans Denzinger-Bannwart, n. 2072, 2074, 2077, 2079, 2089, 2094. Pour un exposé plus développé, on pourra consulter ce que nous avons écrit dans les C^’lationes Brugenscs, 1908, t. xiii. p. 111, 195, 275 ; outre les auteurs cités là, voir Miehelet, Dieu et l’agnosticisme contemporain, Paris. 1909 ; Rosa, L’enciclica Pascendie il modernismo, Rome, 1909 ; Bessmer. Philosophie und Théologie des Modernismus, Fribourg-en-Brisgau, 1912 ; Valensin, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, art. Immanence, col. 569 sq.

5. Nous avons indiqué plus haut la théorie de Luther et de Calvin : les protestants croyants ont, semble-t-il, abandonné peu à peu la doctrine de leur maître et se sont, en plusieurs points, rapprochés de la foi catholique. Cf. Krogh-Tonningh, Die Gnadenlehre unit die slille Reformation, Christiania, 1894 ; De gratia Christi et de libero arbitrio, Christiania, 1898.

Les protestants libéraux, qui au fond sont rationalistes, n’admettent pas la réalité de la grâce. M. Harnack, Dogmengeschichle, Fribourg-en-Brisgau, 3e édit., 1897, t. iii, p. 75 sq., reconnaît que saint Augustin admet que la grâce est une réalité, une force agissante, mais il dit que c"est une erreur. Nous avons démontré plus haut que saint Paul et les Pères, tant grecs que latins, ont enseigné la réalité de la grâce, la transformation réelle de l’homme, transformation physique et morale, sous l’inHuence interne du Saint-Esprit dans l’âme. Nous n’avons pas à nous occuper ici du subjectivisme qui, en M. Harnack, préside à l’interprétation de l’origine des dogmes. Voir Dogme, t. iv. col. 1582 sq. III. Nécessité.

Nous ne parlons pas ici de la nécessité d’une révélation divine, mais de la nécessité de la grâce interne. Nous exposerons les questions indiquées par saint Thomas d’Aquin, Sum. theol., I a II’. q. cix. Mais il faut d’abord exposer la notion de nécessité : il y a nécessité physique et nécessité morale. Quand on considère ce qui est requis à l’opération humaine, on distingue une double nécessité : ce que la faculté, en elle-même, prise dans son entité, exige pour que l’opération puisse se produire, est nécessaire physiquement, par exemple, pour connaître naturellement, l’intelligence humaine exige en elle une image de l’objet à connaître (species intelligibilis impressa) ; ce qui est requis, non pour mouvoir ou déterminer telle faculté à tel acte, mais pour que les hommes, dans les conditions ordinaires de la vie et d’après la commune manière de vivre, agissent de telle ou telle manière, est nécessaire moralement, par exemple, pour que les entants parviennent au développement normal de leur intelligence, il leur faut l’enseignement.

Cette distinction est différente d’une autre, admise aussi en théologie : nécessité de précepte, et nécessité de moyen. Une chose est nécessaire au salut, de nécessité de précepte, quand elle est nécessaire précisément parce qu’elle est imposée ou ordonnée : ainsi entendre la messe le dimanche est nécessaire de nécessité de précepte, parce que cet acte nous est imposé ; si, sans raison suffisante, on l’omet volontairement on transgresse la loi, on commet le péché et ainsi on met obstacle au salut. Une chose est nécessaire de nécessité de moyen, quand elle est requise formellement comme moyen pour atteindre un lait, c’est-à-dire quand elle y ordonne positivement et en est cause formelle ou efficiente ou dispositive et qu’elle est précisément requise à ce Litre : ainsi la grf’ce sanctifiante, comme

nous le démontrerons plus loin, est nécessaire au salut, de nécessité de moyen.

Nécessité de la grâce pour connaître le vrai.


L’homme, menudans l’état actuel du genre humain, est physiquement apte à connaître chacune des vérités d’ordre naturel, et leurs divers ensembles, qui constituent les sciences diverses. Cette assertion se prouve en philosophie et se déduit de l’essence même de l’intelligence humaine. Cf. S. Thomas, Sum. theol., F IF’, q. cix, a. 1. Cette conclusion n’est pas infirmée, en théologie, par la doctrine du péché originel, car par suite de ce péché l’homme n’a pas été intrinsèquement déformé dans ses facultés naturelles.

Il nous faut noter spécialement que l’homme, môme dans l’état actuel du genre humain, est physiquement capable de connaître les vérités fondamentales de l’ordre moral, telles que l’existence de Dieu, l’existence de la loi naturelle et de sa sanction, l’immortalité de l’âme. Cette assertion est contenue dans divers documents émanés de l’autorité ecclésiastique. Voir la 6e proposition, souscrite par Bautain, t. ii, col. 483 ; la 2e proposition, souscrite parBonnetty. Ibid., col. 1022. La capacité physique de l’homme à connaître avec certitude, par la force naturelle de son intelligence, l’existence de Dieu, a été définie au concile du Vatican et cette déclaration a été reprise et expliquée dans le serment antimoderniste. Voir t. iv, col. 824 sq.

Enfin, toutes les vérités qui constituent les préambules rationnels de la foi surnaturelle peuvent être connues par la seule raison naturelle. Voir Foi, col. 188 sq.

Nous concluons donc qu’aucune grâce interne n’est physiquement requise pour que l’homme connaisse les vérités d’ordre naturel. On ne peut affirmer non plus que la foi surnaturelle est, dans l’ordre actuel de la providence, moralement nécessaire pour que l’homme échappe aux erreurs même dans le domaine de la connaissance naturelle ; mais il est incontestable que l’adhésion aux vérités révélées donne à la raison humaine des principes qui la guident et la raffermissent dans l’acquisition de connaissances d’ordre naturel, notamment en métaphysique. Comme nous l’exposerons plus loin, une grâce interne (soit actuelle, soit habituelle) est physiquement nécessaire à tout acte positivement salutaire ; il en résulte la nécessité physique de la grâce pour le jugement de crédibilité ou, au moins, de crédentité, et pour l’acte de foi lui-même ; mais cette assertion générale soulève des questions spéciales, nombreuses et difficiles, exposées à l’article Foi, col. 237 sq. ; la question se pose aussi si l’acte de foi divine, c’est-à-dire l’adhésion inielectuelle à une vérité révélée par Dieu, adhésioa ui a pur objet formel l’autorité de Dieu-révélateur, peut se faire naturellement ou bien exige physiquement une grâce interne : c’est la question de l’objet formel des actes salutaires. Voir Billot, De virtutibus injusis, Rome, 1901, p. 68 sq. ; David, De objecta formait aclus salularis, Bonn, 1913.

Nécessité de la grâce pour faire le bien.

Nous

nous occupons ici des actes faits par l’homme en cette vie : un acte moralement bon est un acte libre, conforme avec la règle déterminant l’activité humaine en tant qu’elle mène à l’obtention de la fin dernière ; la conformité de l’acte libre avec cette règle est formellement la moralité.

Mais, dans l’ordre actuel de la providence, la fin dernière, considérée subjectivement, c’est-à-dire la possession menu de Dieu, qui constitue la béatitude, est absolument surnaturelle : elle consiste, en elîet, dans la vision intuitive de l’essence divine ; tous les actes au moyen desquels l’homme tend positivement (soit médiatement, soit immédiatement) vers cette fin, sont appelés salutaires. Mais l’homme peut ignorer