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GRACE

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1. Notion.

Signification du mot.

Le mot

grâce, en latin gratia, en grec "I. « p’5, a différentes significations : nous en indiquerons les principales, qui se rencontrent dans le Nouveau Testament.

Grâce signifie : 1. bienveillance, faveur que l’on a à l’égard de quelqu’un, par exemple, gratia Dei eral in illo, Luc, ii, 40, spécialement la bienveillance et la libéralité de Dieu à l’égard des hommes, par exemple, gratia vobis et pax a Deo Pâtre nostro, I Cor., i, 3 ; sed non sicut delictum ita et donum. Si enim unius deliclo multi mortui sunt : multo magis gratia Dei et donum… abundavit. Rom., v, 15.

2. Grâce signifie aussi la conséquence ou l’effet de la bienveillance, c’est-à-dire le bienfait, le don gratuit, spécialement l’ensemble des dons concédés par Dieu aux hommes en vue de leur sanctification et de leur salut, un état de sainteté : exhorlamur ne in vacuum gratiam Dci recipiatis, II Cor., vi, 1 ; habemus accessum per fidem in gradam istam in qua slamus, Rom., ii, 5 ; obsecrans et obleslans hanc esse veram graliam Dei in qua statis, I P. t., v, 12 ; crescite in gratia Dci, II Pet., m, 18 ; ou bien un don spécial concernant le salut, par exemple, et obslupucrunt ex circumeisione fidèles, qui vénérant cum Pelro : quia et in nalione gratia Spirilus Sancti cjfusa est, Act., x, 45 ; secundum gratiam Dei, quse data est mihi, ut sapiens architectus fiindamentum posui, I Cor., iii, 10 ; gratia Dei sum id quod sum et gratia ejns in me vacua non fuit, sed abundanlius Mis omnibus laboravi ; non ego autem, sed gratia Dei mecum.

I Cor., xv, 10. Cf. I Tim., iv, 14 ; I Cor., xii, 4 sq. ;

II Cor., viii, 6 ; xii, 19.

Le mot grâce est aussi employé pour désigner la condition de l’homme juste après la venue de Jésus-Christ et la caractéristique de l’œuvre accomplie par le Christ : dans ce sens, grâce est opposée à la loi (mosaïque) : peccabimus, quoniam non sumus sub lege, sed sub gratia ? Rom., vi, 15 ; lex per Moysen data est, gratia et veritas per Jesum Christum facla est. Joa., i, 17.

3. La grâce est une qualité d’une personne ou d’une chose, qui la rend aimable ou agréable aux autres, par exemple, ut dci (serino) gratiam audientibus, Eph., iv, 20 ; ha-c est gratia apud Deum. I Pet., ii, 20.

4. Enfin grâce signifie la reconnaissance pour le bienfait reçu, par exemple, numquid gratiam habet servo illi ? Luc, xvii, 9 ; gratia Dei per Jcsum Christum, Rom., vii, 25 ; gratias ago Deo meo semper pro vobis. I Cor., i, 4.

Sur les significations du mot grâce, voir Wahl, Clavis Novi Testamenti, Leipzig, 1843 ; Grimm, l.exicon græco-latinum in libros Novi Testamenti, Leipzig, 1903 ; Hagen, Lexicon biblicum, Paris, 1907, t. n ; Zorell, Novi Testamenti lexicon græcum, Paris, 1911.

2° Signification spéciale dans le langage théologique

— Il faut étudier spécialement le sens, indiqué en second lieu, celui de bienfait, de don gratuit, de chose donnée par pure bienveillance, tout gratuitement, sans qu’il y ait, de la part de celui qui la reçoit, un droit ou une exigence. C’est la signification formelle, expliquée par saint Paul, Rom., xi, 6 : il y parle des Israélites qui sont arrivés au christianisme ; ils ont été sauvés par le choix divin, absolument gratuit, dû uniquement à la bienveillance de Dieu à leur égard : « Si c’est par grâce, dit saint Paul, ce n’est plus par les œuvres ; autrement la grâce cesse d’être une grâce. » Le don, en tant qu’il est gratuit, est une grâce.

Tout don, fait par Dieu à ses créatures, est gratuit ; mais il y a une gratuité spéciale qui est propre à certains bienfaits et n’affecte pas les autres, c’est celle des bienfaits surnaturels. Bien que le mot grâce désigne souvent, chez les Pères, les dons naturels, cependant la signification spéciale de don surnaturel, distinct de la nature, est attachée par certains Pères au mot grâce, même avant saint Augustin. Cf. Hurter, Compendium

theologise dogmalicæ, Inspruck, 1890, t. iii, n. 0, p. 5 sq.

Tertullien, Adversus Marcionem. 1. V, c xvii, explique le texte, Eph., ii, 10, et dit qu’autre chose est signifiée par facerc, autre chose par condere : c’est le même créateur qui est la cause des deux opérations, mais l’effet en est différent ; l’une (facerc) a pour terme la substance ou nature, l’autre la grâce. Quantum enim ad subslantiam fccil (Deus), quantum ad gratiam condidit. Tertullien attribue à l’influence prépondérante de la grâce les bonnes œuvres, la conversion, et dit : Hsec erit vis divines gratiæ, potentior utique natura, habens in nobis siibjacentem sibi liberi arbilrii potestatem… quæ cum sil et ipsa naturalis alque mulabilis, quoquo vertitur, natura converlitur. De anima, n. 21, P. L., t. ii, col. G85. Voir d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 264 sq., 326 sq. Saint Cyrille de Jérusalem, Cal., m, enseigne que ce n’est pas par nature que nous sommes fils de Dieu, mais par adoption : cette adoption, il l’appelle : ta grâce. P. G., t. xxxiii, col. 444. Saint Ambroise enseigne que celui qui n’est pas Dieu par nature, l’est par grâce, comme l’homme, ou ne l’est pas du tout, comme les démons. De incarnalionis Domini sacramento, c. viii, n. 83, P. L., t. xvi, col. 839. Saint Jérôme, Adversus Jovinianum, 1. II, n. 29, P. L., t. xxiii, col. 326, parle de l’unité morale, qui constitue la société chrétienne, la met en rapport avec Dieu et fait en sorte que les hommes soient unis à Dieu : cette union avec Dieu n’est pas le résultat de la nature, mais bien de la grâce. Saint Augustin montre Dieu créant dans les angesla nature et leur faisant en même temps largesse de la grâce. Simul in eis et condens naturam et largiens graliam. De civilale Dei, 1. XII, c. ix, P. L., t. xli, col. 357. En défendant contre les pélagiens la nécessité de la grâce, il est plus d’une fois amené à dire ce qu’il entend par ce mot : c’est un ensemble de dons, se rapportant au salut, et réellement distincts de la nature et des perfections qui lui sont propres ; si l’on peut appeler grâce le don de la création, si l’on peut appeler grâce ce par quoi l’homme se distingue de l’être inanimé, de la plante et de la bête, cependant c’est une grâce différente de celle par laquelle nous sommes prédestinés, justifiés, glorifiés. Celle-ci est propre aux chrétiens, elle n’est pas la nature, mais elle la sauve, elle n’est pas un secours extérieur à l’homme, mais une forme interne. Epist., clxxvii, n. 7 ; cf. Epist., cxciv, n. 8 ; ccxvii, n. 11, P. L., t. xxxiii, col. 767, 877, 982. Le même docteur, De spiritu et littera, c. xxxiii, n. 57, P. L., t. xliv, col. 257, sedemandesi la volonté de croire est un acte naturel ou un don de Dieu : il marque ainsi la distinction entre nature et grâce. Saint Cyrille d’Alexandrie exprime très clairement et de façon tout à fait explicite la surnaturalité de la grâce : par le Christ nous sommes élevés à une dignité surnaturelle : v.i xo j-Èp çuaiv à ?i<oaa… La créature, qui par elle-même est esclave, est appelée à jouir de biens surnaturels par la seule volonté de Dieu. In Joa., 1. I, c. ix, P. G., t. lxxiii. col. 153 ; cꝟ. 1. XI, c. xi, t. lxxiv, col. 553 ; De sancta et consubslanliali Trinilale, diaL iv, t. lxxv, col. 882, 908. Dans les prières liturgiques le caractère surnaturel de la grâce est exprimé principalement par l’effusion du Saint-Esprit : Effunde, qusesumus, Domine, Spirilum gratias super familiam tuam ; Spirilum nobis, Domine, tuit charilatis infunde, et par l’opération du Saint-Esprit en l’âme : Mentes nostras quxsumus, Domine, Sanctus Spirilus divinis prseparel sacramentis. Adsit nobis.., virtus Spirilus Sancli qui et corda noslra clementer expurget. Sacramentarium leoninum, édit. Feltoe, Cambridge, 1890, p. 80, 134, 27.

Les scolastiques ont approfondi cette notion et saint Thomas explique que les dons naturels sont gratuits parce qu’on ne peut pas les mériter. Les dons surnaturels sont gratuits à double titre, parce qu’on ne peut pas les mériter et parce qu’ils sont positivement indus