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GEORGIE


porée de force à l'Église officielle de Saint-Pétersbourg, a constamment été gouvernée par des exarques russes, dont nous donnerons la liste un peu plus loin. Bien qu’elle jouisse d’une organisation un peu spéciale, elle n’est rien moins qu’autonome, comme on pourra s’en rendre compte en étudiant sa situation canonique.

La réforme ne se fit pas sans tiraillements. Un premier règlement, élaboré en 18Il par l’exarque Varlaam Eristavi et le général Tornasov, gouverneur du Caucase, n’eut pas de succès et fut remplacé par un autre en 1814, après la conquête de l’Imérétie. L'Église géorgienne tout entière, comprenant les diocèses de la Géorgie proprement dite, de l’Imérétie, de la Mingrélic et de la Gourie, était placée sous l’autorité d’un seul exarque résidant à Tiffis et assisté non d’un consistoire, mais d’un bureau synodal pour la Géorgie proprement dite, tandis qu’un consistoire était créé à Koutaïs pour l’Imérétie, la Mingrélie et la Gourie. Il y avait cinq éparchies et un vicariat. Tous les autres évêchés furent supprimés. Le bureau synodal entra en fonctions le 8 mai 1815.

Après trois ans d’expérience, on s’aperçut que la nouvelle organisation n'était pas viable et ne répondait pas suffisamment aux vues bureaucratiques du saint-synode. En 1818, Théophylacte Roussanov, premier exarque russe, se chargea de rédiger un nouveau règlement qui établissait en Géorgie une seule éparchie portant les noms de Karthlie et Kakhétie, et donnait un évêque à chacune des autres provinces : Imérétie, Mingrélie et Gourie. Les évêques dépendaient directement de l’exarque qui résidait à Tiffis et gouvernait l'éparchie de Karthlie et Kakhétie. En même temps, on essaya d’introduire la procédure ecclésiastique pratiquée en Russie. Jusque-là, on avait observé dans le pays des coutumes ecclésiastiques tout à fait patriarcales. Les curés étaient à la fois juges, conseillers, administrateurs et propriétaires. D’après un usage ancien, le prince de Mingrélie et les seigneurs de la province se réunissaient chez le métropolite pour délibérer sur les affaires de la principauté. La plupart des évêques appartenaient aux familles seigneuriales et administraient leurs diocèses sans recourir aux complications d’une chancellerie bureaucratique. Une taxe sur le clergé, quelques contributions prélevées sur la population par manière d’amendes judiciaires et canoniques, suffisaient à les faire vivre avec les revenus des biens ecclésiastiques. Les prêtres étaient trop nombreux ; un village de cent foyers en comptait jusqu'à huit. Ajoutez à cela que les moines employaient les nonnes comme servantes dans leurs couvents et que les évêques s’occupaient plus de ramasser les impôts que de célébrer les offices liturgiques. S’il faut en croire les rapports russes, un évêque officiait en moyenne dix fois en trente ans ! On devine que les projets de réformes de l’exarque ne pouvaient plaire au clergé. Celui-ci se révolta et entraîna avec lui toute la population. On vit les ecclésiastiques s’enfuir avec les femmes et les enfants dans les montagnes et les forêts, emportant tout le matériel du culte, tandis que les guerriers tenaient la campagne. Théophylacte, aidé des Cosaques, réussit à grand’peine à imposer ses réformes dans la Géorgie. La Mingrélie, l’Imérétie et la Gourie ne les acceptèrent que plus tard à la suite de répressions sanglantes.

Le saint-synode, fidèle à ses procédés de russification, travailla méthodiquement à diminuer l’importance de sa nouvelle acquisition. Après avoir réduit à cinq les nombreux évêchés qui existaient encore au moment de l’annexion (une trentaine environ), il éloigna les ecclésiastiques zélés, parce qu’il les soupçonnait de nourrir de l’antipathie contre le régime russe, et les remplaça par des ecclésiastiques venus de

Russie qui occupèrent bientôt les postes les plus importants. Ces immigrés, dont le saint-synode se servait pour arriver à ses fins de dénationalisation, étaient loin d’avoir tous de hautes qualités. C'était parfois de véritables agents de police qui espionnaient les Géorgiens pour le compte du gouvernement de Saint-Pétersbourg. Leur zèle s’employa surtout à faire disparaître tout ce qui avait un caractère national géorgien, comme la langue et les usages particuliers. C’est ainsi que le staro-slave, langue liturgique des Russes, fut imposé dans les villes et dans les centres un peu importants. Tamarati, op. cit., p. 385. Exarques et simples prêtres acquirent en peu de temps des fortunes scandaleuses, principalement en vendant les biens d'Église, les riches ornements, les livres et vases précieux dont la piété des fidèles avait enrichi les églises et les monastères. On trouvera rénumération de ces pillages, d’après un journal géorgien, l’Issari, de Tiflis, n. 110, dans Tamarati, op. cit., p. 386-387. A lui seul, le gouvernement russe enleva à l'Église géorgienne tous ses biens immeubles, d’une valeur de 137 600 000 roubles, c’est-à-dire plus de 350 millions de francs.

A maintes reprises, le clergé géorgien éleva la voix pour défendre le bien des âmes compromis par les pasteurs indignes que la « sainte Russie » envoyait de plus en plus nombreux. Les plaintes qu’il adressait au saint-synode restaient ordinairement sans réponse, à moins qu’elles ne valussent toutes sortes de vexations à leurs auteurs qu’on accusait de vues intéressées ou d’entente avec les éléments révolutionnaires. En 1901, à l’occasion du premier centenaire de l’annexion de la Géorgie à l’empire russe, quatre évêques indigènes virent dans cette circonstance une occasion favorable pour obtenir quelque adoucissement au régime odieux que subissait leur Église. Ils adressèrent un rapport au saint-synode pour lui demander l’institution d’une chaire d’histoire ecclésiastique géorgienne à l’Académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg. Le texte se trouve dans Tamarati, op. cit., p. 387. Cette requête, bien modeste cependant, n’obtint pas plus de succès que les précédentes. Quatre ans plus tard, sous la pression du mouvement révolutionnaire auquel la guerre malheureuse contre le Japon donnait une force plus grande, le gouvernement russe se décida à publier, le 17 avril 1905, le fameux « oukase de liberté » , qui accordait la liberté de conscience à tous les sujets de l’empire. En Géorgie, clergé, noblesse, peuple, tout le monde vit dans cet acte un encouragement à renouveler les revendications nationales. Le tsar et le saintsynode reçurent de multiples pétitions qui demandaient le rétablissement de l’autonomie ecclésiastique pour la Géorgie. Les nobles présentèrent, le Il octobre 1905, au vice-roi du Caucase une lettre collective réclamant la même faveur. Tamarati, op. cit., p. 393-395. L’espoir de tous fut trompé. Le gouvernement s'étant un peu raffermi, il fit la sourde oreille. De son côté, le saintsynode, pour tromper le public et pour gagner du temps, confia l'étude de la question à une commission de vingt membres, qui étaient tous, sauf deux, des ennemis acharnés des Géorgiens. Les deux membres favorables, deux Géorgiens, ne furent jamais convoqués aux séances, sinon pour entendre des paroles blessantes à l'égard de leur patrie. Comme il fallait s’y attendre, la commission conclut que le projet de rétablissement d’une autonomie ecclésiastique en Géorgie était absolument inacceptable. Les auteurs des pétitions se virent traiter de rebelles par le saint-synode et plusieurs d’entre eux payèrent cher leur audace La première victime fut Mgr Kirion, ancien vicaire de l’exarque, inculpé de délits imaginaires inventés par la police impériale. Il fut envoyé d’abord en Russie en 1909, puis enfermé l’année suivante dans un monastère