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GOUTTES


conseils de tempérance, d’ordre et de probité et semblait se souvenir alors qu’il était prêtre et curé. Ses paroissiens le suivaient docilement, conquis par son vaste savoir, et, se détachant petit à petit de leurs croyances traditionnelles, s’acheminaient insensiblement vers la totale indifférence religieuse.

Quand le clergé de la sénéchaussée de Béziers eut à désigner son député aux États généraux, le curé d’Argilliers fut élu. A Versailles, comme à Paris, il fut l’un des meneurs du parti des curés qui apporta son appoint au Tiers-État et lui assura la victoire. Dans le travail quotidien, Gouttes déployait une activité infatigable, prêt à parler, à rédiger, à mettre au service des comités la compétence que lui valaient ses études spéciales. Ses opinions était celles d’un royaliste libéral, mais son loyalisme monarchique ne l’empêchait pas de réclamer l’égalité civile, l’abolition des privilèges et le contrôle effectif des dépenses publiques par les représentants de la nation. Passionnément modéré, il ne sortait de sa mansuétude coutumière que lorsqu’on s’avisait de contester les thèses qui lui étaient chères. Comme un certain nombre de ses collègues, il avait tenu à figurer dans les rangs de la garde nationale et il lui arriva de siéger dans un costume moitié clérical et moitié militaire ; personne ne s’avisa d’en rire, car à cette époque les grands mots et les grands gestes étaient pris au sérieux par une génération qui avait été nourrie des récits de Plutarque.

Quand fut discutée la nouvelle organisation de l’Église de France, Gouttes, qui faisait partie du « Comité ecclésiastique » , soutint quelques-unes de ses théories paradoxales et en fit accepter plusieurs ; aussi, quand la constitution civile entra en vigueur, il sembla équitable de lui réserver un siège épiscopal et, à défaut d’autre, il obtint celui d’Autun que la retraite de Talleyrand rendait disponible. Une dernière fois, le 24 février 1791, l’évêque d’Autun, démissionnaire depuis plus d’un mois, avait consenti à user de ses pouvoirs d’ordre pour donner des évêques à une Église à laquelle il ne croyait pas, puis il était rentré définitivement dans l’état séculier et s’était regardé comme délié de toute obligation sacerdotale.

Gouttes, élu le 15 février 1791, fut sacré à Paris par Lamourette, le nouveau « métropolitain » du Rhône ; il partit aussitôt pour organiser son diocèse. Le département dont il devenait le chef spirituel était un groupement artificiel de régions qui différaient par la nature de leur sol autant que par le caractère de leurs habitants. Le clergé n’avait aucune unité, mais l’élément assermenté y était pauvrement représenté ; ne trouvant nulle part le vicaire épiscopal qui devait être son principal auxiliaire et même son remplaçant pendant qu’il siégeait à l’Assemblée, Gouttes appela près de lui son ami Victor de Lanneau ; c’était un Champenois, qui, après avoir été chanoine, était entré dans l’ordre des théatins ; ses talents d’éducateur l’avaient fait mettre à la tête du collège de Tulle où Gouttes l’avait connu et apprécié. Ayant confié son diocèse à un homme de son choix, l’évêque retourna à Paris.

A la séparation de la Constituante, Gouttes voulut reprendre la direction de son clergé, mais il dut bien vite reconnaître qu’on avait pris l’habitude de se passer de lui ; les vicaires épiscopaux avaient acquis une autorité qui neutralisait la sienne ; de plus, les idées avaient marché, et tout en essayant de se hausser jusqu’au diapason révolutionnaire, Gouttes resta toujours un attardé. Il publia quelques mandements dans lesquels il prêcha « le respect des lois » et enseigna qu’il faut obéir « alors même qu’elles seraient injustes. » Ce fanatisme de légalité devait bientôt le placer dans le plus cruel embarras. Littérairement parlant, la

prose épiscopale de Gouttes n’existe pas : la composition est alourdie par d’interminables digressions ; la phrase est sans élégance, la pensée est vulgaire et se traduit dans une forme où la banalité s’allie à la trivialité. Quelles comparaisons ont pu faire ceux qui se souvenaient du style aristocratique de Maurice de Talleyrand ! de ces lettres vraiment épiscopales où, en termes nobles respirant une hautaine déférence pour ses lecteurs et souvent une onction qu’on eût pu croire sincère, il cachait sous les fleurs d’une brillante rhétorique la causticité de son esprit incisif 1 Auprès de lui, Gouttes écrivait comme un lourdaud.

Lanneau s’était emparé du premier rôle politique : Gouttes fut bien obligé de le lui laisser. S’eiïaçant, il assista sans protester à la déprédation du patrimoine de son Église et au pillage méthodique de tout ce que la générosité et le goût avaient accumulé de trésors dans les sanctuaires du diocèse. Pendant que Lanneau trônait à la municipalité, au club, au comité révolutionnaire et trouvait moyen de cumuler ces fonctions avec celles de principal du collège, Gouttes parcourait les campagnes et donnait la confirmation aux enfants des paysans.

Au mois de novembre 1793, un vent d’anticléricalisme parcourut la France comme une tempête furieuse : par ordre du comité révolutionnaire, les prêtres devaient renoncer à leur titre pastoral, livrer leurs lettres de prêtrise et répudier leur sacerdoce. Lanneau conduisait ce mouvement : depuis près d’un an, il s’était marié, et, en remettant ses papiers ecclésiastiques, il annonce que dans quelques jours il va être père. Gouttes avait été profondément offensé par ces scandales ; il s’en était senti humilié dans sa dignité sacerdotale, mais il n’avait pas eu le courage de manifester son indignation. La loi autorisait le mariage des prêtres ; elle encourageait l’apostasie ; en serviteur aveugle de la loi, Gouttes en subissait les dispositions les plus odieuses.

Quelques jours plus tard, la cathédrale d’Autun allait être dédiée au culte de la Raison ; on organisait des mascarades infâmes au cours desquelles Gouttes savait qu’il serait invité à déposer ses insignes épiscopaux et à abjurer sa foi. C’en était trop ! Cette fois, sa conscience se souleva et, à la veille de la cérémonie impie, il quitta la ville pour se réfugier dans une propriété, propriété d’église, qu’il avait achetée pour en faire sa maison de campagne. Ce fut son premier acte de courage, et qui lui coûta la tête.

Les fureurs antireligieuses du début s’étaient calmées ; se faisant tout petit, Gouttes était rentré à Autun et il avait pensé se faire bien venir en ofïrant ses services au comité révolutionnaire qui l’employait à écrire des lettres ; le malheureux s’essayait à les rédiger dans le style furibond qui était alors de rigueur, mais sa bonne volonté ne désarma pas ceux qui avaient juré sa perte.

La lettre et l’esprit de la loi ne permettaient pas d’intenter des poursuites criminelles contre un prêtre parce qu’il n’avait pas apostasie. Il fallut prendre un détour : on se souvint que, le 9 avril 1793, au cours d’une des tournées pastorales, l’évêque avait passé une soirée au presbytère de Mont-Arroux (ci-devant : Saint-Didier-sur-Arroux) ; dans l’abandon d’une conversation amicale, Gouttes avait rappelé les souvenirs de sa carrière politique ; il avait évoqué les grandes journées révolutionnaires, raconté les luttes auxquelles il avait été mêlé ; il concluait en exprimant son admiration pour les hommes de 89, pour la Constituante où il avait travaillé à fonder la liberté. « Les Constituants valaient mieux que les membres de la Législative et surtout que ceux de la Convention 1° Ces réminiscences un peu chagrines étaient sans grande portée : il se trouva pourtant parmi les convives