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GOUSSET — GOUTTES


l’autre en 1853 à Amiens, qui marquera aussi dans L’histoire « lu mouvement catholique, le troisième en 1857 à Reims, dirigé, comme les deux précédents, par un dévouement absolu à l’Église.

Mais les honneurs et les devoirs de la charge épiscopale n’interromperont ni ne ralentiront l’activité littéraire de Mgr Gousset ; l^aversion du rigorisme janséniste, l’attachement au Saint-Siège, la piété envers la Vierge Marie continueront de provoquer et d’inspirer sa plume. Pour déraciner l’usage implantédans notre pays de refuser le viatique aux individus frappés de la peine capitale, il écrit sa Lettre à M. l’abbé Blanc sur la communion des condamnes à mort, Reims, 1841. Il publie, en 1844, la première édition de sa Théologie morale à l’usage des curés et des confesseurs, 2 vol., livre écrit en français, clairet solide, qui, venant à son heure et répondant aux besoins de l’époque, a eu le plus grand et le plus légitime succès ; il a été traduit en diverses langues, et on en comptait dans la France seule, à la mort de Mgr Gousset, treize éditions. L’auteur, quatre ans après, complète son œuvre par la publication de sa Théologie dogmatique, 2 vol., Paris, 1848, destinée aux fidèles autant qu’aux prêtres, et qui battait en brèche le gallicanisme, comme la Théologie morale avait sapé le jansénisme. En 1852, il dénonce au public par ses Observations le Mémoire clandestin sur le droit coutumier et en réfute avec fermeté la doctrine réellement schismatique dans ses tendances et dans sa direction. Après la promulgation du dogme de l’immaculée conception, Mgr Gousset fait paraître son livre : La croyance générale et constante touchant l’immaculée conception de la bienheureuse Vierge Marie, Paris, 1855, et y relève dans l’introduction l’infaillibilité doctrinale du souverain pontife. Son Exposition des principes du droit canonique, Paris, 1859, est une apologie courageuse et opportune de la vraie doctrine sur la primauté du pape et les prérogatives du Saint-Siège. Enfin, dans son ouvrage : Des droits de l’Église touchant la possession des biens destinés au culte et la souveraineté temporelle du pape, Paris, 1862, il dresse un véritable monument canonique et historique en l’honneur du droit, de l’inaliénabilité des biens de l’Église et du domaine temporel de la papauté. Outre les écrits susmentionnés, il en a laissé d’autres, composés sous sa direction et avec sa collaboration, notamment les Statuts synodaux de Périgueux, in-4°, 1837, et les Actes de la province ecclésiastique de Reims, 4 in-4°, 1842-1844. Esprit supérieur par ses initiatives et par ses ouvrages en même temps que bon, simple, cordial, attachant, Mgr Gousset mourut à Reims le 22 décembre 1866, entouré d’hommages sincères et emportant d’universels regrets ; il les méritait à tous les titres.

Deglaire, Le cardinal Gousset, archevêque de Reims, Paris (1865) ; H. Menu, Notice biographique sur Mgr le cardinal Thomas Gousset, Reims (1866) ; I-’èvre, Histoire de son Éminence Mgr Gousset, archevêque de Reims, Paris, 1882 ; Th. Neveu, Le cardinal Gousset, dans les Contemporains, n. 50, Paris, 1892 ; Besson, Panégyriques et oraisons funèbres, Paris, 1870, t. n ; llurter, Nomenclator litcrarius, Inspruck, 11)12, t. v, col. 1351-1353 ; Gousset, Le cardinal Gousset, sa vie, ses œuvres, son influence, Besançon, 1003 ; L’épiscopat français depuis le concordai jusqu’à la séparation, in-1", Paris, 1907, p. 469, 500-503.

P. Godet.

    1. GOUTTES Jean-Louis##


GOUTTES Jean-Louis, évêque constitutionnel, né à Tulle, le 21 décembre 1739. Avant d’embrasser l’état ecclésiastique, il avait servi dans un régiment de dragons et ses détracteurs ont raconté qu’il en était mal sorti, mais ils n’en ont fourni aucune preuve. Ordonné prêtre, l’abbé Gouttes exerça d’abord dans le diocèse de Bordeaux, puis fut attaché à l’église du Gros-Caillou, à Paris, après quoi il alla à Montauban, où il avait obtenu un petit bénéfice. Ces divers emplois

ne l’empêchaient pas de séjourner de temps à autre dans sa ville natale, où sa famille tenait un rang honorable dans la bourgeoisie aisée. C’est là qu’il fut mis eu relations avec Turgot, alors intendant. de la province.

Ce jeune prêtre à l’esprit éveillé et hardi plut au célèbre administrateur, qui l’encouragea à étudier les problèmes économiques et finit par en faire son collaborateur habituel. Il n’eut pas de peine à le gagner à toutes ses idées ; il semble même que l’abbé, dont le jugement n’était pas aussi solide cjue son intelligence était vive, exagéra les enseignements du maître, comme il arrive à bien des disciples et se fit le défenseur des opinions les plus audacieuses. Turgot lisait attentivement ses mémoires, le chargeait d’en composer sur certaines questions à l’ordre du jour, s’appropriait ce qu’il y trouvait d’original et utilisait cet écrivain à la plume bien taillée pour mettre en circulation les idées neuves auxquelles il fallait que l’opinion du public s’habituât.

C’est certainement sous l’inspiration de Turgot que Gouttes rédigea sa Théorie de l’intérêt de l’argent tirée des principes du droit naturel, de la théologie et de la politique, contre l’abus de l’imputation d’usure, Paris, 1780 ; 2e édit., augmentée d’une Défense, 1782. Dans ce livre, il rompait ouvertement avec l’enseignement, alors unanime, des écoles ; en prenant la défense du prêt à intérêt, il était en avance d’un demi-siècle et les arguments qu’il présentait ne sont peut-être pas ceux qui ont amené les théologiens à se départir des principes rigoureux qu’ils avaient longtemps soutenus.

Par cette publication, l’abbé Gouttes se rangeait parmi les écrivains qui travaillaient, plus ou moins consciemment, à précipiter la Révolution, mais les projets de réformes économiques et sociales étaient tellement dans l’esprit du temps que nul ne songeait à lui tenir rigueur de ses audaces. Au contraire, mis en évidence par ses écrits, l’abbé Gouttes en tira pour lui-même un profit matériel très appréciable. L’évêque de Tarbes, M. de Gain-Montaignac, était lui aussi limousin d’origine et s’intéressa à son brillant compatriote. Commendataire de l’abbaye de Quarante, au diocèse de Narbonnc, le prélat disposait de plusieurs cures relevant de cette maison religieuse ; celle d’Argilliers était fort désirabîle, car, située dans un pays riche, elle valait, en dîmes sur les grains, l’huile et le viii, un revenu qui allait, suivant les années, de 3 000 à 6 000 livres. Recommandé à l’évêque, Gouttes fut nommé et triompha d’un compétiteur qui avait usé de la procédure de « prévention en cour de Rome » et était soutenu par l’archevêque de Narbonne. Il fallut aller jusqu’au parlement de Toulouse et Gouttes en conserva rancune contre ce que les gallicans appelaient « les empiétements de la cour romaine. »

Le nouveau curé d’Argilliers jouissait d’une situation très enviable : son physique noble, sa bonne grâce, sa réputation de publiciste, la nouveauté des opinions qu’il développait avec verve, les perspectives séduisantes qu’il ouvrait devant ses auditeurs faisaient de lui l’oracle du clergé ; on lui pardonna bien vite ses origines étrangères. Aux fidèles, il tenait des discours tout remplis des idées en vogue, il parlait rarement du dogme, estimant que les paysans en savent toujours assez sur ce point ; il n’encourageait pas les dévotions, ayant peu de goût pour ce qu’il appelait les superstitions. Ses prônes étaient des leçons d’économie rurale et domestique ; il vantait les progrès de la science, recommandait les procédés d’assolement, les fumures et les méthodes d’élevage ; il préconisait la plantation des pommes de terre, la vaccine et l’allaitement maternel ; il racontait les prouesses des aéronautes et les découvertes des savants. Parfois, il lui arrivait de donner des