vit frappé à mort, il laissa son travail entre les mains du P. Maisonneuve, religieux du même ordre et son ami. Celui-ci, désirant le publier, demanda l’autorisation du général de l’ordre, qui la lui refusa, à moins qu’il ne fût très exactement revu et corrigé en conformité avec le bon thomisme et d’après le livre du P. Massouillé. Nous n’avons pu jusqu’ici retrouver les documents ayant trait aux pourparlers qui durent s’échanger entre Paris et Rome à ce sujet. Il nous paraît pourtant fort plausible de penser que le manuscrit du P. Goudin ou une copie ait été envoyée à Rome, conformément aux décisions prises pour l’examen de tout ouvrage sur les matières de la grâce. D’ailleurs, le P. Massouillé se trouvant lui-même à Rome — il y mourut en 1706 — il pourrait plus facilement indiquer ce qu’il pouvait y avoir à changer ou à reprendre dans l’ouvrage en question. Quoi qu’il en soit, ce n’est qu’en 1723 que l’on songea à faire paraître ce travail. Parmi les examinateurs députés par le général de l’ordre, Augustin Pipia, qui avait succédé au P. Cloche, nous remarquons un Allemand, le P. Adolphe Schleipen. Ce n’est qu’un indice de plus de ce que nous avancions tout à l’heure, à savoir que l’ouvrage fut examiné à Rome. Nous savons, en effet, que le P. Schleipen avait été appelé à Rome, en 1722, comme théologien de la Casanate. Voir Coulon, Le mouvement thomiste au XVIIIe siècle, dans la Revue thomiste, juillet-août 1911. C’est sans doute en cette qualité de membre du collège des docteurs de la Casanate qu’il eut à juger l’ouvrage du P. Goudin, avec un autre dominicain allemand, le P. Tholen. Il est probable d’ailleurs qu’il ne restait guère de corrections à faire et que le P. Massouillé avait longuement examiné des écrits qui l’intéressaient plus particulièrement à raison de leur auteur et des matières traitées. On avait cru bon d’attendre quelque temps, avant de faire paraître un ouvrage qui ravivait des polémiques regrettables. Bien qu’en 1723, la sévérité fût moindre en France à l’endroit du thomisme, ce ne fut pourtant pas à Paris, mais à Cologne, que les manuscrits de Goudin furent édités. La théologie posthume parut sous ce titre : Traclalus theologici poslhumi juxta inconcussa luiissimaque dogmala divi Thomse Aquinatis docloris angelici. De seienlia et volunlute Dei, de providentia, preedestinationc et reprobalione atque de. gratia in duas parles divisi, 2 in-8o, Cologne, 1723. L’ouvrage paraissait avec toutes les approbations des docteurs de l’ordre et était dédié au général, Augustin Pipia. Une 2e édition de la théologie de Goudin a été donnée de nos jours : Traclalus theologici juxta inconcussa tutissimaque dogmata divi Thomas Aquincdis docloris angelici. Nova edilio emendala cura et studio P. F. A. M. Dummcrmuth O. P., 2 in-8o, Louvain, 1874. Dans cette édition, on a supprimé, à tort, la dédicace à Pipia ainsi que la préface du premier éditeur. Naturellement, jamais on n’avait essayé d’élever le moindre doute sur la parfaite authenticité des traités de Goudin.
La question très nette que nous pouvons nous poser et qui intéresse l’histoire de la théologie, est celle-ci : Les traités de théologie de Goudin que nous possédons aujourd’hui représentent-ils absolument la pensée théologique de l’auteur ou ont-ils été corrigés ? Nul jusqu’ici n’en avait douté. Tout d’abord, nous devons remarquer que même eût-on fait des corrections notoires, ceux qui les avaient ordonnées n’avaient nullement outrepassé leurs droits. Vivant, Goudin n’aurait pas davantage échappé à la censure de ses ouvrages, et certes il aurait grandement répugné à prendre le moyen suggéré par Richard Simon pour échapper à une revision de ses écrits ; l’auteur mort, ses écrits pouvaient également paraître avec les corrections jugées bonnes. D’ailleurs, dans toutes les patentes délivrées par les supérieurs de l’ordre des prêcheurs auquel appartenait
le P. Goudin, on avait soin de spécifier que l’ouvrage, dont on sollicitait V imprimatur, ne pourrait paraître qu’une fois toutes les corrections faites par des reviseurs impartiaux. Rien de plus juste, car chaque ouvrage en une certaine manière pouvait engager l’ordre dont il émanait. Nous avons d’ailleurs la certitude qu’Echard était au courant des difficultés que pouvait offrir la publication de la théologie du P. Goudin. Il avait même été pressenti sur ce point par son correspondant, Josse Le Clerc, dans une lettre datée du 21 août 1721 et à laquelle nous avons déjà fait allusion. Nous voyons, d’une part, par la réponse discrète que fait Echard, le 1er septembre, que c’est là un sujet délicat. « Je crois avoir marqué dit-il, parlant de Goudin, tous ses ouvrages théologiques en gros (voir Scriptores, t. ii, p. 740), disant qu’il avait composé une théologie, qu’il aurait imprimée, s’il n’eût pas été prévenu de la mort œtate jlorente, car apparemment ce monitum dont vous me faites l’honneur de me parler est un extrait de ses sentiments sur ces matières, aussi bien que ce que dit M. Simon dans ses lettres est une partie de sa théologie, savoir son traité de la grâce, et un bibliothécaire ne peut pas faire mention de ces minuties. On n’a pas pu juger à propos de faire imprimer cette théologie du P. Goudin pour de bonnes raisons. » Ainsi donc Echard connaissait parfaitement la lettre de Richard Simon à Goudin et par conséquent les tendances que ce critique lui prêtait. Mais chose remarquable, alors qu’Echard, dans la même lettre, prend soin de défendre la mémoire de Nicolai contre l’accusation d’avoir versé tout à fait dans le molinisme, il se garde de rien dire de semblable touchant Goudin. Il eût été fort désirable pourtant que cet auteur nous ait donné son appréciation. Il écrivait avant la publication de la théologie, qui ne parut que deux ans plus tard. Pensait-il que les remarques de Richard Simon répondaient vraiment à l’état d’esprit de Goudin ? Sa réserve à l’égard d’un auteur mort depuis bien des années nous le laisserait presque soupçonner. Mais en réalité quelle attitude Goudin prenait-il dans les questions signalées par Richard Simon ? Celui-ci l’affirme nettement : « Je vous loue d’avoir bien voulu adoucir quelques sentiments durs de vos thomistes sur la prédestination et la grâce efficace. Ils prétendent que cette grâce tire son efficace de la seule toute-puissance de Dieu : ce qui me paraît fort dur. Et, en effet, dans les écrits que vous m’avez communiqués, vous tirez celle efficace de plusieurs autres moyens dont Dieu, qui par sa science infinie connaît tout ce qui se passe dans le cœur de l’homme, se sert, sans cpie vous favorisiez pour cela les sentiments de Suarez ou de Molina. » D’autre part, nous avons appris tout à l’heure d’Echard qu’il avait paru un monitum, qui était un extrait des sentiments de Goudin sur ces matières de la grâce. Il s’agit bien ici, semble-t-il, d’opinions au moins différentes des opinions reçues. Or, si nous ouvrons la théologie de Goudin au traité de la grâce et précisément au passage visé par Richard Simon, nous n’y trouvons rien que de très conforme avec la doctrine reçue dans l’école thomiste. C’est également de là toute-puissance de Dieu que Goudin fait dériver l’efficacité de la grâce et nous ne voyons nullement qu’il la fasse dériver d’autres moyens, ainsi que l’en félicitait Richard Simon lui-même. Nous ne pouvons que citer les paroles même de notre auteur. Tractatus de gratia, Louvain, 1874, p. 294 : Tertia sententia statuit infallibilem gratix e/ficaciam oriri ex omnipotentia divina, et supremo dominio quod Deus habet supra corda hominum, sicut supra omnia quæ in cœlo et sub ceelo sunt, uti eam expressere Patres nostri, in congregationibus De auxiliis. Unde non est infallibilitas præscicnlise ut vult secundo sententia, sed causalitatis. Non enim infallibilitas operationis gratiee fundatur in præscientia nostri consensus, sed