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GNOSTIGISME


du démiurge. Et selon la prédominance de l’un des éléments, les hommes sont divisés en trois catégories : celle des hyliques, fatalement condamnés à périr comme la matière ; celle des psychiques, qui, ne possédant qu’une foi simple et nue, et non la gnose, peuvent pourtant se sauver par la gnose ; et celle des pneumatiques, assurés du salut par leur nature même. Pour ces derniers, les œuvres ne sont pas nécessaires, car l’or tombé dans la boue n’en conserve pas moins son éclat et sa valeur. S. Irénée, Cont. hser., i, 5-6, P. G., t. vii, col. 500-512.

rf. Solériologie. — Le Sauveur est, selon les uns, le fils du Christ et de Marie ; selon d’autres, le composé d’une quadruple essence. Il est la forme visible du quaternaire primitif, c’est-à-dire de pûOoç et de aiyrj, de vou ; et d’àXrJOaa ; il tient d’àyaquiO l’essence pneumatique ; du démiurge l’essence psychique ; et de l’économie divine, l’art avec lequel tout a été préparé. Au moment du baptême il est descendu en Jésus sous forme de colombe ; il n’a nullement souffert, mais a laissé souffrir Jésus. S. Irénée, Cont. hser., i, 7, P. G., t. vii, col. 512-520.

e. Eschatologie. — La rédemption opérée, ce monde doit subsister jusqu’à la fin de toute chose matérielle, c’est-à-dire jusqu’au moment où toute essence spirituelle sera parfaite. Alors àyapS8 entrera dans le plérome et y sera l’épouse de l’éon Jésus, ce fruit du plérome entier ; elle formera avec lui une syzygie et célébrera ses noces mystiques. Les pneumatiques la suivront et deviendront les épouses des anges. Le démiurge quittera l’hebdomade et montera dans l’ogdoade, suivi des psychiques qui auront atteint leur fin. Et alors le feu du centre de la terre fera éruption ; toute matière, et donc les hyliques, sera consumée et anéantie. S. Irénée, Cont. hær., i, 7, 1-2, P. G., t. vii, col. 512-516.

La gnose marcionite.

1. Cerdon. — Certains

germes dont nous avons déjà signalé l’existence, tels que ceux d’une opposition systématique au Jéhovah de la Bible, au Dieu des juifs, se trouvent complètement développés dans la première moitié du IIe siècle. La responsabilité d’un tel développement remonte au Syrien Cerdon, accouru à Rome sous le pontificat d’Hygin, où il put rencontrer Valentin et ses disciples. Voir Cerdon, t. ii, col. 2138-2139. Cerdon ne paraît guère s’être complu, à l’exemple de la plupart des gnostiques, ses prédécesseurs ou ses contemporains, dans les spéculations de haute métaphysique ou dans les rêves d’une imagination sans frein ; mais il a retenu du gnosticisme l’antagonisme entre la matière et l’esprit et le caractère nettement docète de l’incarnation et de la rédemption ; et il a puissamment insisté sur l’opposition de deux Dieux, le Dieu bon, dont il fait le père de Jésus-Christ, et le Dieu de la Bible, le Dieu de la loi et des prophètes, qu’il qualifie simplement de juste. A ses yeux, le Dieu bon doit contrecarrer le Dieu juste, et c’est pour cela qu’il envoie le Sauveur. De telle sorte que le salut consiste, pour les hommes, dans la répudiation du Dieu des juifs et de sa loi : c’est l’antinomisme posé en principe de salut. Sans doute Cerdon répudie le mariage comme une source de corruption et semble condamner théoriquement les œuvres de la chair ; mais pratiquement son système, comme tant d’autres, aboutit, en haine du Dieu créateur, au cynisme le plus effronté, xuvtxtoTÉpw j3£io, comme dit l’auteur des Philosophoumena, X, 19, p. 502. Son souvenir pâlit auprès de Marcion, dont il fut le maître, ô otoctaxaÀoç, Philosoph., X. 19, p. 501, et, comme ajoute Tertullien, V informalor scandait. Adv. Marcion., i, 2, P. L., t. ii, col. 249.

2. Marcion.

Le « Loup du Pont, » comme l’appelle Tertullien pour marquer à la fois le lieu de son origine et la nature de son rôle dans le bercail de l’Église, a été

l’un des plus célèbres, sinon le plus grand, parmi les chefs de la gnose. Il connaissait les philosophes. L’auteur des Philosophoumena, VU, 29, 30, p. 370, 380, le rattache à Empédocle ; plus explicite encore, Tertullien indique les principales sources philosophiques où il a puisé les divers éléments de sa doctrine : Marcionis Dais a stoicis venerat. El ut anima interire dicatur ab epicurcis observatur. Et ut carnis rumilulio negetur, de una omnium philosophorum schola sumitur. El ubi maleria cum Deo œquatur, Zcnonis disciplina est. El ubi aliquid de igneo deo allegatur, Hcraclitus intervenit. Prœscript., 7, P. L., t. ii, col. 19. Marcion connaissait aussi les gnostiques, Valenlin entre autres, et Cerdon en particulier, puisqu’il systématisa sa doctrine. Mais il avait d’abord été chrétien ; de Sinope, où il était né, il vint à Rome vers la fin du règne d’Hadrien. Il fit un don considérable à la caisse ecclésiastique. Tertullien, Adv. Marcion., iv, 4, P. L., t. ii, col. 365. Il chercha à justifier les idées de son maître en se servant des comparaisons évangéliques sur le vieux vêtement et les pièces neuves, les vieilles outres et le vin nouveau. Son hétérodoxie le fit chasser de l’Église ; et le vrai Dieu qu’il avait adoré tout d’abord, il le perdit en perdant la foi. Tertullien, Adv. Marcion., i, 1, P. L., t. ii, col. 247. Il fut dès lors tenu en suspect, combattu et réfuté par les écrivains ecclésiastiques. Quand saint Polycarpe, le vieil évêque de Smyrne, vint à Rome, il osa se présenter devant lui, en lui demandant : Me reconnaissez-vous ? L’évêque lui répondit : Je connais le premier-né de Satan. S. Irénée, Cont. hær., ni, 3, 4, P. G., t. vii, col. 853. Tertullien raconte, Præscript., 30, P. L., t. ii, col. 42, que, sur la fin de sa vie, il chercha à rentrer en grâce avec l’Église, qu’on lui aurait imposé pour condition de ramener à la foi ceux qu’il avait égarés, mais qu’il fut prévenu par la mort. Le mal qu’il avait fait était considérable ; car outre le grand nombre de disciples qu’il eut, parmi lesquels sont nommés Apelles, voir Apelles, t. i, col. 1455-1457, Lucien, Potitus et Basiliscus, il fonda des communautés organisées comme celles de l’Église, avec des évêques, des prêtres et des diacres ; et cette organisation fut assez forte pour se maintenir très longtemps, malgré les persécutions pendant lesquelles les marcionites ne reculèrent pas devant le témoignage du sang, et pour ne pas se confondre, malgré des affinités particulières, avec le manichéisme. Dans la première moitié du ve siècle, Théodoret trouvait encore dans son seul diocèse de Cyr dix mille marcionites.

Dans sa conception de deux divinités, l’une bonne, l’autre juste, Cerdon dépendait de la théogonie gnostique qui distinguait le Premier Principe du Démiurge. Marcion en dépend tout autant. Mais, à ses yeux, le Dieu juste, c’est-à-dire le Dieu de la Bible, le créateur et le législateur, l’inspirateur des prophètes, devient le Dieu mauvais, l’auteur du mal, l’ami des guerres, absolument inconsistanl et en contradiction avec lui-même. S. Irénée, Cont. hær., i, 27, 2, P. G., t. vii, col. 688 ; Philosoph., VII, 29, p. 370 ; Tertullien, Adv. Marcion., i, 2 ; iv, 1, P. L., t. ii, col. 248, 361. Le Dieu bon est le Dieu de l’Évangile, en opposition radicale avec le Démiurge, dont il a pris soin de combattre l’œuvre néfaste. Tertullien, Adv. Marcion., i, 6 ; iv, 1, P.L., t. ii, col. 252, 363. De là l’opposition si accentuée entre le Nouveau Testament et l’Ancien. De là aussi la caractéristique du rôle confié au Sauveur.

Ce Sauveur Jésus ne pouvait donc avoir rien reçu du créateur. En conséquence, Marcion nia la réalité de son incarnation, de sa naissance et de sa chair humaine. Tertullien, De carne Christi, 1, 3, P. L., t. H, col. 751, 757. Jésus est l’envoyé du Dieu bon, de celui qui est supérieur au Démiurge ; il est venu en Judée sous Ponce Pilate ; il s’est manifesté sous forme d’homme et a combattu énergiquement la loi, les pro-