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GNOSTICISME


conçu et fixé sa doctrine au moment de demander et de recevoir le baptême ? Le fait qu’il était déjà alors qualifié comme nous l’avons vu et que la Grande Vertu de Dieu est le dernier mot et comme la raison d’être de son système, pourrait autoriser à le croire.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas sans raison qu’il a passé aux yeux des écrivains ecclésiastiques pour le père des hérésies qui, pendant les premiers siècles, menacèrent le christianisme ; car toutes ont quelque rapport avec son système, pour le fond ou pour la forme. C’est, en effet, Simon qui, le premier, a tracé le cadre et indiqué les sujets du gnosticisme, en traitant les questions relatives à la théogonie, à la cosmologie, à l’anthropologie, à la sotériologie et à l’eschatologie. Et c’est toujours dans ce cadre et autour de ces questions que chaque nouveau chef a brodé dans la suite de nombreuses variantes, au gré d’une imagination et d’une métaphysique sans frein. Il importe donc d’en avoir une idée succincte.

Sans entrer dans des détails qui trouveront mieux leur place à l’article qui lui sera consacré, rappelons à grands traits son système, d’après les données des Philosophoumena. — a) Théogonie. — Simon place en tête de toutes choses le feu, non le feu matériel que nous connaissons, mais un premier principe dont la nature est si subtile qu’on ne peut la comparer qu’au feu. Tel est le principe universel, la puissance infinie, selon ces mots de Moïse : « Dieu est un feu dévorant. » Deut., iv, 24. Ce feu n’est pas simple, mais double, ayant un côté évident et un autre secret, l’un visible, l’autre invisible ; ce qui n’est autre chose que la théorie de l’intelligible et du sensible, d’après Platon, ou de la puissance et de l’acte, d’après Arislote. Ce feu est la parfaite intelligence, le grand trésor du visible et de l’invisible, le grand arbre que Nabuchodonosor avait vu en songe. D’un autre nom, Simon l’appelle Celui qui est, a été et sera, quelque chose comme la stabilité permanente, l’immutabilité personnifiée : 6 éatôi ;, utot :, aTr, aoævoç. Ce Dieu qui est, a été et sera, ayant en partage l’intelligence et la raison, passe de la puissance à l’acte : il pense, il parle sa pensée, il raisonne. Et c’est chaque fois deux par deux, par couples ou syzygies, qu’il se manifeste. De là, dans le monde supérieur de la divinité, six éons : vo3ç et Ircivoia, çcovrj et ovoaa, XoYWjio’ç et Êv8ujA7]atç ; et dans chaque syzygie, l’un est mâle et l’autre femelle. Ces six éons ressemblent au premier principe, passent comme lui de la puissance à l’acte et produisent à leur tour, par voie d’émanation, de nouveaux couples d’éons mâles et femelles dans le monde du milieu. Mais, ici, dans ce monde du milieu, paraît un nouveau personnage, lui aussi appelé Celui qui est, a été et sera, et de plus Père, à la fois mâle et femelle, sans commencement ni fin, et qui joue un rôle semblable à celui du Premier Principe dans le monde supérieur ; c’est le Silence, la Erpi, nommé père par l’È-ivoiot, émanée de lui ; c’est la septième puissance mêlée aux six éons. Dans ce monde intermédiaire, de formation semblable à celle du monde supérieur, trois nouvelles syzygies paraissent, exactement correspondantes aux trois syzygies du monde supérieur : ce sont oùpavoç et yrj, rjXioç et teX^vt), àrjo et jS’op. Six éons et une septième puissance, parce que, selon la Bible, Dieu a créé le monde en six jours et s’est reposé le septième ; et cette septième puissance n’est autre que l’Esprit dont il est écrit qu’il était porté sur les eaux.

On surprend là un exemple de l’exégèse capricieuse dont abusèrent les gnostiques ; on y surprend aussi la théorie de l’existence de trois mondes superposés, qui se développent avec une parfaite similitude, comme on vient de le voir pour les deux premiers. Mêmes hypothèses et mêmes procédés dans tous les systèmes gnostiques, dont on connaît la théogonie ou éonologie et la cosmologie.

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

b) Cosmologie. — C’est la partie la moins nettement accusée du système de Simon. Saint Irénée nous ap prend du moins, Conl. hær., i, 23, P. G., t. vii, col. 671, que la pensée, Ijstvota, abandonnant le père, se tourna vers les créatures inférieures et fit exister les anges et les puissances qui ont créé le monde inférieur que nous habitons. Ces anges et ces puissances, produits par la pensée divine descendue jusqu’à eux, voulurent Ja retenir, parce qu’ils ignoraient l’existence du père et qu’ils ne voulaient pas être nommés le produit d’un autre être quelconque. Ce fut là le principe de leur faute, la cause de leur chute ; et ce fut aussi ce qui nécessita la rédemption. Mais créèrent-ils réellement le monde ? Il n’est nullement question de la création de la matière, chose inconnue des philosophes, mais de l’organisation de cette matière attribuée à un démiurge, que Simon et tous les gnostiques appellent Dieu.

c) Anthropologie. — Les Philosophoumena abondent en détails sur la création de l’homme, mais assez difficiles à saisir. Dieu, dit Simon, forma, sjcÀacrê, l’homme en prenant de la poussière de la terre ; il le forma double et non simple, selon l’image et la ressemblance. Phitosoph., VI, 14, p. 253. Laissons de côté tout ce qui a trait à la propagation de l’espèce, à la formation et au développement du fœtus, pour ne retenir que ce fait, c’est que l’homme, étant l’œuvre des anges et puissances prévaricateurs, était vicié dans son origine même, participant ainsi à leur faute et soumis à leur pouvoir tyrannique, et par suite avait besoin d’un sauveur.

d) Sotériologie. — Les anges qui retenaient ènîvoia prisonnière la maltraitaient pour l’empêcher de retourner vers le père. Ils lui firent souffrir tous les outrages jusqu’à ce qu’ils eussent réussi à l’enfermer dans un corps humain. Depuis lors cette è^îvoia n’a pas cessé, à travers les siècles, de passer de femme en femme. Ce fut à cause d’elle qu’éclata la guérie de Troie, car elle se trouvait alors dans le corps d’Hélène. Le poète Stésichore, pour l’avoir maudite dans ses vers, devint aveugle ; mais s’étant repenti et ayant chanté la palinodie, il recouvra la vue. Enfin de femme en femme, â-îvoia, au temps de Simon, se trouvait dans le corps d’une prostituée de Tyr. Philosoph., VI, 19, p. 263. Il s’agissait de la délivrer. Le père envoya alors un sauveur pour délivrer i-ivoiæt pour soustraire en même temps les hommes à la tyrannie des anges. Ce sauveur descendit du monde supérieur et changea de forme pour passer au milieu des anges et des puissances sans en être reconnu : c’était Simon lui-même qui, en Judée, se montra aux juifs comme fils, en Samarie, aux Samaritains, comme père, et ailleurs, aux gentils, comme Saint-Esprit. Son arrivée dans le monde inférieur avait été prédite par les prophètes, qui avaient été inspirés par les anges créateurs. Et il s’était mis à la recherche de la brebis perdue, èrtvoia ; il la trouva à Tyr, dans une maison de prostitution, et l’avait délivrée dans la personne d’Hélène dont il avait fait sa compagne. Pour sauver les hommes, il était apparu comme l’un d’eux, tout en n’étant pas l’un d’eux, et il avait paru souffrir, bien qu’il n’eût pas réellement souffert. Croire en Simon et Hélène, c’était conquérir la liberté et être assuré du salut. S. Irénée, Conl. hier., i, 23, 3, P. G., t. vii, col. 672 ; Philosoph., VI, 29, p. 263-264.

c) Morale. — La seule condition de salut étant la croyance en Simon et Hélène, la question des œuvres bonnes ou mauvaises ne se posait pas ou se résolvait dans la libre action. Simon étant venu délivrer les hommes de la tyrannie des anges, et la loi étant l’œuvre de ces anges, la conclusion pratique s’imposait : il n’y avait qu’à mépriser la loi. Aussi, au rapport des Philosophoumena, VI, 19, p. 264, la morale de Simon, fondée sur l’indifférence des œuvres, était-elle crimi.

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