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GNOSTICISME

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sous le titre de De recta in Deum fide ; c’est un travail de science dialectique et théologique en même temps qu’une source de premier ordre pour l’histoire des Églises marcionites.

Saint Irénée.

Le premier en date et l’un des

principaux adversaires du gnosticisme est saint Irénée. De toute sa controverse, une seule œuvre a survécu dans une version latine ; on ne possède que quelques fragments de l’original grec. C’est la fausse gnose démasquée et réfutée, EXE-f/o ; xai àvateo-r, tf) ; ’is’j8’ovj ; j.o’j yvoSastoc, citée sous le titre de Contra hæreses. L’évêque de Lyon estimait que le seul fait de dévoiler les doctrines ésotériques constitue une victoire sur les gnostiques : adversus cos Victoria est sententix corum manifeslatio.Cont. hær., i, 31, 3, P. G., t. vii, col. 705. C’en était une, en effet, mais dont il ne s’est pas contenté, car il a pris soin de contrôler leurs systèmes, tels qu’il les connaissait, avec l’enseignement de l’Eglise et de les réfuter au nom de la raison, de l’Écriture et de la tradition, donnant ainsi, le premier, l’exemple de la méthode dialectique qui sera celle de la théologie. Quelles que soient les réserves à faire sur le défaut d’ordre de son traité, il reste l’une des principales sources de renseignements sur la plupart des chefs gnostiques, plus spécialement sur les valentiniens de l’école italique et sur les essais de liturgie gnostique de Marc.

G Tcrlullicn. — Après saint Irénée et à sa suite, car il l’a pris pour modèle dans son De prxscriplionibus et son Adversus valentinianos, Tertullien a fait valoir d’une manière très originale contre les gnostiques l’argument de prescription. Dans quelques traités spéciaux, comme Adversus Hermogencm, De anima, De carne Christi, De resurrcclionc carnis, il a discuté certains points de doctrine niés ou travestis par les gnostiques, tels que les dogmes de la création, l’anthropologie, l’incarnation et la résurrection de la chair ; dans le Scorpiacc, il a réfuté les idées erronées des basilidiens et des valentiniens sur le martyre, un sujet qui a été repris par Clément d’Alexandrie. Mais c’est surtout Marcion qu’il a pris à partie dans ses cinq livres Adversus Marcionem, où il suit pas à pas et discute les Antithèses de ce chef gnostique, montrant que la différence imaginée entre le Dieu bon et le Dieu créateur est arbitraire et inexistante, et que le Dieu créateur, tant dénigré par ce « Loup du Pont, » est le vrai Dieu, le Dieu unique. Tertullien complète saint Irénée et constitue à son tour une source abondante de renseignements.

Les Philosophoumena.

Ni l’évoque de Lyon,

ni le prêtre de Carthage n’ont négligé les rapports du gnosticisme avec la philosophie ; ils les ont signalés. Mais, à vrai dire, c’est l’auteur des Philosophoumena qui les a fait ressortir. « Nous voulons montrer, dit-il, Philosoph., I, prol., p. 5-6, d’où les hérétiques ont tiré leurs doctrines ; ce n’est pas sur le fondement des Écritures qu’ils ont bâti ces systèmes, ni en s’attachant à la tradition de quelque saint qu’ils sont arrivés à ces opinions. Leurs théories dérivent au contraire de la sagesse des Grecs, des dogmes philosophiques, des mystères mensongers et des contes des astrologues errants. Nous exposerons donc d’abord les théories des philosophes grecs et nous montrerons qu’elles sont plus anciennes et, relativement à la divinité, plus respectables que les doctrines des hérétiques. Nous mettrons ensuite en regard les uns des autres les systèmes divers des philosophes pour faire voir comment l’hérétique a pillé le pbilosophe, s’est approprié ses principes, en a tiré des conséquences plus condamnables et a formé ainsi sa doctrine. » Il n’est question là que des hérétiques en général, mais la suite de l’ouvrage, quelque incomplet qu’il soit, est une mine très riche sur les divers personnages et les diverses sectes du gnosticisme.

Autres écrivains.

Après saint Irénée, Tertullien

et l’auteur des Philosophoumena, il convient de citer Clément d’Alexandrie, non qu’il ait traité spécialement du gnosticisme, mais parce que, loin de redouter les termes de gnose et de gnostique, il s’en est emparé en leur donnant une signification chrétienne en en revendiquant la propriété exclusive pour les fidèles disciples du Christ, et parce que, le cas échéant, chaque fois que s’en offrait l’occasion, il a signalé et discuté, lui aussi, certains points de doctrine ou de morale sur lesquels les partisans de la fausse gnose étaient particulièrement répréhensibles.

Beaucoup plus tard, au ive siècle, saint Épiphane de Salamine, marchant sur les traces de saint Justin, de saint Irénée et de saint Hippolyte, a utilisé leurs hérésiologies, qu’il ne fait souvent que transcrire, mais les a enrichies, notamment en ce qui touche aux nombreuses sectes gnostiques, de renseignements dont il faut tenucompte, qu’il a puisés à d’autres sources, et qui constituent une mine historique précieuse.

II. Histoire.

Observations préliminaires.


Au moment où parut le christianisme, le monde romain était en pleine fermentation intellectuelle, religieuse et morale. Les esprits étaient curieux de toute idée nouvelle, avides de tout savoir, prêts à s’initier à tous les mystères, à essayer tous les cultes, à pratiquer tous les rites. Les faux oracles, les prestiges, les sortilèges, les incantations et opérations magiques jouissaient d’une grande vogue et donnaient un puissant crédit aux devins, aux astrologues, aux mages aux imposteurs et aux charlatans qui exploitaient habilement la crédulité publique. Malgré les prohibitions de la législation romaine, les cultes étrangers étaient à la mode et pénétraient peu à peu, entourés du mystère de leurs initiations secrètes et de leurs fêtes nocturnes. C’est ainsi que s’étaient introduits le panthéisme égyptien avec le culte d’Isis et d’Osiris, le naturalisme syrien avec le culte d’Astarté et de la Bonne Déesse, le dualisme persan avec le culte de Mithra et le mysticisme phrygien avec les Galles.

Au milieu de cette fermentation religieuse, le christianisme ne devait pas manquer d’être exploité à son tour. Mais comme il était la condamnation radicale de l’idolâtrie et du sensualisme sous toutes leurs formes, il ne pouvait pas être accepté tel quel par les agitateurs de l’époque. Ceux-ci, n’en pouvant méconnaître l’importance et la valeur, se gardèrent bien de le négliger, sauf à l’accommoder aux goûts du temps par une contrefaçon ou un escamotage qui le rendait méconnaissable, avec la prétention d’en être l’expression scientifique et de détenir ainsi authentiquement la vérité absolue, la vérité qui sauve. Entreprise assurément audacieuse, car l’Église ne pouvait pas permettre et ne devait pas tolérer un tel travestissement et une telle exploitation, mais entreprise appelée à quelque succès dans certains milieux cultivés et corrompus de l’époque. Elle se dessina peu à peu et, sous l’action de quelques chefs sans scrupule, elle prit au iie siècle une ampleur extraordinaire, qui constitua pour le christianisme un très grave danger. Sans la vigilance et l’activité des chefs de l’Église et des auteurs ecclésiastiques, elle aurait complètement faussé le mouvement chrétien et paralysé pour longtemps l’œuvre du Christ et des apôtres. Il importe donc d’en signaler la nature et l’origine, d’en esquisser la marche et les succès et de noter les causes de son échec définitif.

2° Premières manifestations gnostiques en Asie Mineure. — C’est en Orient, dans l’Asie proconsulaire, et dès les temps apostoliques, autour d’Éphèse et dans la vallée du Méandre, dans ce milieu de culture intellectuelle sans ordre et sans frein, de curiosité éveillée, de sensualisme et de mysticisme maladif, que se produisirent les premières manifestations gnostiques.