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ENNEMIS (AMOUR DES) — ENNODIUS (SAINT) DE PAVIE

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C’est avec raison que l’on attribue l’amour des ennemis à la vertu théologale de charité. L’amour naturel que l’homme porte à son semblable peut lui inspirer certains sentiments de commisération envers un ennemi malheureux ; mais réprimer tout sentiment de vengeance, pardonner les plus cruelles injures, c"est un acte héroïque inspiré par l’amour de Dieu. Dileciionis inimici, dit saint Thomas, solus Deiis est ratio. Sum. theoL, II » II>', q. xxvii, a. 7. Comme on le voit par les écrits des anciens philosophes, notamment de Cicéron et de Sénèque, certains païens ont pratiqué le mépris des injures ; mais ils ont à peine soupçonné le véritable amour des ennemis. Cicéron, De o’Jlciis, 1. I, c. XXV ; Sénèque, De ira, 1. II, c. xxxii.

II. Obligations pratiques.

Voir t. ii, col. 2260-2261. Les devoirs que nous impose l’amour des ennemis sont de deux genres, d’ordre négatif et d’ordre positif. De là, d’abord l’obligation de s’abstenir de tout sentiment de haine, de tout désir de vengeance. Il ne faut cependant pas confondre la haine d’inimitié qui a pour objet la personne même, avec la haine d’abomination qui se porte sur la mauvaise conduite et les vices du prochain. On ne doit pas rendre le mal pour le mal, ni même se réjouir des malheurs de son ennemi. Il est néanmoins permis de repousser une injuste agression, pourvu qu’on le fasse, scrvato moderamine inciilpatæ tutclse. De même, il n’est pas contraire à la charité de se réjouir d’une épreuve temporelle arrivée à un ennemi, si on la considère comme un moyen qui doit servir à sa conversion et à son salut, mais, dans ce cas, il faut prendre garde à ne pas se faire illusion sur la pureté de ses intentions.

Les devoirs d’ordre négatif que nous impose l’amour des ennemis obligent, selon l’expression des moralistes, semper et pro scmper. Quant aux devoirs d’ordre positif, ils comprennent les signes d’amitié et de l>ienveillance, que, selon les diverses circonstances, nous devons donner même à nos ennemis. A la suite de saint Thomas, Sum. Iheol., Il’- II » , q. xxv, a. 0, les auteurs distinguent entre signes communs et signes spéciaux. Certains signes peuvent être communs absolument, d’autres ne le sont que relativement. Le sont absolument ceux que tous les hommes considérés comme tels se doivent entre eux ; ne le sont que relativement ceux que l’on a coutume de se donner entre personnes de telle ou telle condition, de concitoyen à concitoyen, de parent à parent, de patron à ouvrier, etc. D’où il suit qu’un signe, qui passe pour commun en certains cas, peut devenir spécial ou extraordinaire en d’autres circonstances. D’après Scavini, il faut entendre par signes communs de dilection et de bienveillance, ea quæ communiter omnibus cxhibentur, seu potius quæ cliristiano a quovis clnistiano, concivi a conclue, parenti a parente, pauperi a divitc, supeiiori a subdito, et vicissim privstari soient, uti sunt communes orationes, eleemosyn.T communes. Theolor/ia moralis universa, t. iii, n. 346.

Tout homme, fOt-il notre mortel ennemi, a droit à ces signes communs de bienveillance. Les refuser serait lui faire injure, lui signifier qu’on ne le regarde pas comme son prochain. On ne doit pas exclure ses ennemis des prières que l’on fait en général pour tous les hommes ; s’ils sont pauvres, on doit leur faire l’aumône comme aux autres ; s’ils saluent ou adressent la parole. Il faut leur répondre. etc. (leux qui exercent publiquement un métier ou une profession ne doivent pas refuser de les compter parmi leurs clients ; c’est ainsi qu’un médecin ferait mal si, appelé par un ennemi, il ne voulait pas lui donner les secours de son art.

On admet cependant que l’on peut, pour un juste motif, et non par esprit de vengeance, refuser jjarfois certains signes communs de bienveillance. Un maître,

par exemple, pourra ne point rendre le salut à un élève qui s’est mal comporté, s’il espère de la sorte le ramener à de meilleurs sentiments. Mais il va de soi qu’il ne faut recourir à ces moyens violents que pour un temps et avec une extrême réserve.

Quant aux témoignages spéciaux d’amitié et de bienveillance, les donner à ses ennemis, c’est aller au de la de ce qui est prescrit, pour s’élever, à l’exemple des saints, jusqu’à la perfection de la charité : Quod prœter articulum neccssitatis hujusmodi bénéficia aliquis inimicis cthibeat, perlinct ad perfcctionem charitatis. S. Thomas, Sum. theol., IMI’^, q. xxv, a. 9. En certains cas cependant, ces signes ou témoignages spéciaux peuvent devenir plus ou moins obligatoires, par exemple, s’ils sont nécessaires pour éviter le scandale ou pour ramener un pécheur à de meilleurs sentiments. « Vn pasteur n’oubliera pas, écrit à ce propos le cardinal Gousset, que le moyen pour lui de se gagner les cœurs et de les gagner à Jésus-Christ, c’est de prévenir en tout ceux qui se donnent pour ses ennemis, de leur rendre le bien pour le mal, de les bénir lorsqu’ils le maudissent, et de chercher à les excuser, autant que possible, devant Dieu et devant les hommes. 1 Théologie monde, t. i, p. 147.

Il n’est cependant pas contraire à la charité, pourvu que l’on ne pousse pas trop loin ses exigences, de demander la réparation d’un dommage injustement causé. Certaines personnes s’imaginent à tort que l’on ne peut pardonner à son ennemi, et être admis à la réception des sacrements sans se désister de toute revendication. Autre chose est de pardonner, autre chose est de renoncer à ses droits.

Est-il permis, non seulement d’exiger une juste réparation, mais encore de désirer le châtiment de ceux qui nous ont fait du mal ? Si ce désir était inspiré par le pur amour de la justice, il ne serait pas illicite ; mais, en cette matière, on est très exposé à se faire illusion ; aussi, d’après saint Alphonse, il ne faut croire que difficilement ceux qui prétendent ne point garder de rancune, tout en voulant que la justice suive son cours. En pratique, chaque cas particulier devra être attentivement examiné.

S. Alphonse, Theolofjia moralis, 1. III, n. 2 !) ; lIn : v.o apostolicus, tr. IV, n. 17. Tous les moralistes parlent de l’amour des ennemis, par exemple, (", . Marc, Insliluliones momies alplionsianip. n. lOS-SO."). Outre les auteurs cités dans le corps de l’article, voir Bossuct, Médiltilions sur V Évangile, Sermon sur la montagne, 11 jour ; lîourdaloue, .Sermon sur le pardon des ininres, prononcé le xxi » diniaiiche après la Pentecôte ; S. Alphonse, Cliuvres ascétiques, trad. Dujardin, t. XVI, p. 112 ; cardinal BcUarmin.Dcx sept paroles de Jcsus-C /iri.<ï< sur Ut croi.v, Irad. Brignon, Avignon, 18, 37, 1. I, e. i-iii ; cardinal lîona. Prinripia et documenta idliv christianx, c. XLi ; Waldmann, Die I-’eindesIiebe in der anIiUen W’elt iind im Chrisirnihum, Vieinie, 1002 ; Handlinger, Die Feindestiebe nacli deni nat iirlichen iind posiliven Sitlennesetz, Paderborn, lllOCi ; F..SteinniùUer, Dic I : ’eindestiebe nach dem naturlichrn nnd positiven Siltengeselz. ICine hislorisclictliisclic Ahhandiung, Ralisbonne, li)00.

L. DEsnnus.

    1. ENNODIUS (Saint) DE PAVIE##


ENNODIUS (Saint) DE PAVIE. — I. Vie. IL Caractère. III. ()u rages.

I. Vir.. — Magnus l-’elix l^nnodius était originaire du midi de la Gaule, d’Arles probableinenl, et aiipartenail à une famille considérable, encore que très ajipauvrie ; il était du monde ou même du sang des Boèce, des Avienus, des Césaire et des Aurélien d’Arles, des Olybrius. etc. Né en 47, ’i, il quitta la Gaule de bonne heure et fut élevé à.Milan. Mais, en 189, à l’âge de seize ans, il se trouva privé de la tante qui l’avait recueilli à la mort de ses parents et déjà peut-être orienté vers l’figlise ; sans avoir et sans appui. Dieu, dit-il dans son autobiographie, lui envoya un secours